World Council of Churches
Federation of Swiss Protestant Churches
Reformed Churches Bern-Jura-Solothurn

Palestine Israel Ecumenical Forum (PIEF)

INTERNATIONAL THEOLOGICAL CONFERENCE
“Promised Land”

Church Center Bürenpark, Bern, Switzerland
10 - 14 September 2008

Justice et Paix israélo-palestiniennes
Approche épistémologique et praxéologique

Fr Dr Fadi Daou
Université Saint Joseph, Liban

Introduction

La question israélo-palestinienne de la justice et de la paix est politique avant même qu’elle ait des dimensions éthiques ou théologiques. C’est la thèse principale que j’entends défendre dans ce bref exposé, tout en indiquant les différences et les intersections entre ces trois dimensions : politique, éthique et théologique ainsi que le rôle de la pensée chrétienne et des chrétiens vis-à-vis de chacune de ses dimensions de la question. Souvenons-nous que ce qui importe pour le Palestinien, qu’il soit chrétien, musulman ou athée, c’est de pouvoir vivre dans toute sa dignité humaine dans un cadre politique juste, et non de savoir s’il y a une terre qui a été vraiment promise aux Juifs ou si ces derniers sont le peuple élu et le sens de ces affirmations - qui d’ailleurs ne peut être entièrement perçu que par la communauté qui y croit. Certes ces concepts représentent pour les chrétiens des défis sur le plan théologique et celui du dialogue et des relations avec le judaïsme. Je n’oublie pas aussi la réalité des chrétiens sionistes non plus ; mais elle représente pour moi une anomalie plutôt qu’une problématique. Par conséquent, adopter et intégrer par une assemblée comme la nôtre les concepts théologiques utilisés par certains juifs pour interpréter ou justifier ce qu’Israël représente aujourd’hui en tant qu’entité politique, est pour moi une perte et un abandon par les chrétiens que nous sommes du rôle critique que nous devons avoir vis-à-vis de ce problème.

Ma présentation qui ne prétend pas avoir une identité catholique ni sur le plan de la représentativité ni sur celui du contenu, elle se place plutôt sur le plan méthodologique et épistémologique afin de préciser en ce bref temps qui m’est imparti le cadre réflexif dans lequel notre réflexion – selon mon point de vue – doit s’inscrire. Je le ferai en trois temps.

1. La nature politique du problème israélo-palestinien de justice et de paix

Affirmer que la réalité politique d’un Etat – qu’il soit Israël ou l’Iran – répond à une volonté divine est un propos anti-politique et anti-moderne, et je m’y oppose personnellement sous ces deux attributs avant de la faire plus loin théologiquement. Justice et paix sont deux catégories politiques et dans ce registre il faut qu’on regarde d’abord la question israélo-palestinienne. Si certains juifs, ou certains musulmans croient qu’ils défendent politiquement et militairement la cause de Dieu, c’est leur problème. Laissons-leur ce problème ou aidons-les à sortir de leur pathologie politique, par laquelle le christianisme est passé aussi. Le danger, le plus grand et qui peut être une tentation pour nous dans le cadre de ce colloque, est de « théologiser » notre quête de la solution ou notre lecture du problème. Mon expérience, en tant que Libanais, confirme en moi cette conviction et me montre combien d’énergie peut être perdue, sans résultat ou avec des désastres, parce que des initiatives de type théologique tentent de se placer sur le plan politique ou vice-versa. En dehors de sa sphère correspondante, le langage devient obsolète, sinon dangereux. Il y a quelques jours, j’ai lu dans un quotidien suisse l’initiative de citoyens qui demandent un référendum pour l’interdiction définitive de construction de minarets en Suisse. Est-ce une question théologique ou politique ? Sur quel plan attendez-vous la réaction des musulmans et d’autres et comment répondre à cette question ? Je pense que cet exemple vous aide – j’espère du moins – à constater le danger d’une confusion théologico-politique dans ce type d’affaire. Certes, il est plus séduisant et parfois plus attirant de prôner des idées ou des solutions pseudo-mystiques au problème, mélangeant le théologique avec le politique, ou pire encore sacralisant le politique, dans une remise en cause irresponsable des acquis de la modernité et une méconnaissance des leçons de l’histoire dans ce domaine.

Au nom de la liberté de conscience, que nous devons défendre jusqu’au bout, chacun peut croire qu’il est élu et qu’il a reçu des promesses divines, et nous pouvons respecter cela tout comme certains se donnent la légitimité de le « caricaturiser », au nom de la liberté d’expression. Mais ces propos deviennent inadéquats quand il s’agit de les porter sur un plan politique, c’est-à-dire l’organisation rationnelle de la vie sociale pour le plus grand bien possible de tous, partant des principes d’égalité, de dignité et de liberté. Si nous avions deux Etats, Israélien et Palestinien, avec des chances équitables de survie et de développement pour les deux et un traitement juste pour tous les citoyens à l’intérieur de chacun des deux Etats, toute la problématique de cette rencontre et les débats auraient étaient radicalement différents. Il me peine vraiment de devoir dire de si simples généralités et de sentir le devoir de les rappeler devant une si honorable assemblée. En politique la cohérence est de rigueur. Si pour certains l’existence de l’Etat d’Israël est un signe providentiel, pour de millions d’autres la disparition de cet Etat l’est encore davantage, inaugurant l’ère de l’avènement du Mahdi. Porter ce type de discours sur un plan politique est ouvrir les portes à la barbarie de notre temps.

2. Théologie politique versus Politique théologique

Face à ce type de questions, je pense qu’il y a une urgence de réhabiliter le concept de « théologie politique », en le distinguant de ce que j’appellerais « politique théologique ». La « Politique théologique » correspond aux systèmes politiques qui se fondent, se justifient ou s’interprètent à travers des données de type métaphysique. Pour au moins deux raisons majeures, l’une politique et l’autre théologique, je n’hésite pas à dire qu’il est du devoir de chacun de résister à toute menace de ce genre d’ordre politique théologiquement fondé. Politiquement parlant, la neutralité de l’Etat est indispensable afin de pouvoir garantir d’une part l’égalité des citoyens en dignité, en devoirs et en droits et d’autre part, la liberté individuelle face à toute contrainte, notamment communautariste. Et du point de vue théologique, l’écart entre Dieu et l’homme, entre le Créateur et ses créatures, garant de la transcendance du premier et de la liberté et de la responsabilité des dernières, nécessite un écart insurmontable entre la cité de Dieu ou le royaume, et la cité des hommes ou l’Etat. Si certains commentateurs des textes sacrés y trouvent la justification d’une politique théologique, il n’est pas difficile de démontrer que, vue globalement, cette entreprise devient inéluctablement une ruine de la religion elle-même.

Or, la théologie politique, est un discours critique qui se fonde sur des données de l’ordre de la foi afin de promouvoir les valeurs qui permettent au croyant de vivre sa foi au service du bien de tous et de sa société.

Elle est par conséquent un discours dont la légitimité, non sur le plan de la vérité mais de l’expression, doit être garantie et qu’il serait illusoire de penser l’abolir. Je peux résumer en disant que c’est un droit pour chaque religion de penser le rapport de l’homme à son environnement social et politique et de transmettre cet enseignement en premier lieu à ses adeptes et aussi de le faire savoir publiquement. Elle assurerait donc une fonction critique qui, d’une part, purifie en permanence la politique de tout ce qui peut être une déviation par rapport aux valeurs fondamentales dans chacune des religions concernées et, d’autre part, reconnaît les limites des communautés dans l’espace citoyen commun à tous. Elle use ainsi de l’autorité de la raison, et relativise, dans ce domaine précis, la raison de l’autorité religieuse, communautaire ou idéologique. Sur ce plan, la théologie politique peut ainsi devenir un chapitre de la culture politique des citoyens. Le défi que nous aurons à assumer ici c’est celui lancé par Habermas de pouvoir dire dans un langage séculier – commun à tous les citoyens – ce que nous pensons à partir de notre foi.

En revanche, il reste du devoir de l’Etat et des citoyens d’empêcher toute religion d’exploiter ou d’usurper le pouvoir politique sous quelque prétexte que ce soit. Je pense que la théologie politique, au moins dans le cadre du christianisme constituerait une importante prévention contre ce danger. Je veux dire que l’émergence d’un débat libre et raisonné, à l’intérieur de la communauté de foi, sur son rapport avec la politique marginaliserait les idéologies intégristes ou fondamentalistes, dont les membres confondent trop facilement la volonté de Dieu avec leur soif de domination. La condamnation du Christ et sa crucifixion restent pour nous, à travers les siècles, la raison et le signe d’une dénonciation radicale de toute alliance obscène entre le politique et le religieux ou de tout pouvoir au nom de la religion exercé sur la vie des autres.

3. La « cité » comme catégorie étique

Aristote écrivait que « l’homme qui est dans l’incapacité d’être membre d’une communauté, ou qui n’en éprouve nullement le besoin parce qu’il se suffit à lui-même, ne fait en rien partie d’une cité, et par conséquent est ou une brute ou un dieu »1. Cette maxime est également vraie sur le plan des communautés, notamment religieuses. La tentation de l’auto-ghettoïsation chez toute communauté la met automatiquement en dehors ou en marge du processus commun et universel de civilisation et d’humanisation. La « cité » dans ce sens est certes une institution, mais elle est surtout une « catégorie éthique ». Car si la fin ultime de la politique est l’épanouissement humain – clé du bonheur individuel et collectif – dans une société juste, le moyen pour s’y rendre est d’assumer chaque jour davantage notre origine et notre destinée communes et d’abattre tous les murs de la haine ou de tout genre de ségrégation. Ainsi, l’éthique devient juge de la théologie, j’ose même dire de la foi autant que de la politique.

Le rôle politique primordial des religions est de participer à la promotion des valeurs éthiques, autour desquelles il faut accepter de mener un dialogue interreligieux et inter-social permanent afin de mettre sans cesse à jour la liste de ces valeurs et leur compréhension. L’éthique est un discours qui cherche de se placer sur un niveau d’universalité représentant ce qui semble être fondamentalement lié à la nature humaine et à son propre bien. On y accède, sur le plan national ou international, par la « raison discussionnelle ». En effet, par le dialogue, les religions avec les autres composantes de la société peuvent développer un « éthos » commun reconnu sur le plan international sous le titre de la « Charte universelle des droits de l’homme », avec toutes les conventions qui lui sont liées.

Par conséquent, le rôle des différentes composantes de notre assemblée serait de travailler au développement d’un éthos politique commun, et en priorité dans un partenariat et un dialogue interculturel et interreligieux avec le judaïsme d’Israël et de la diaspora, en y incluant progressivement l’autre partenaire dans le contexte israélo-palestinien, à savoir le musulman et tout autre acteur engagé sur cette voie.

Je souhaite enfin dire que je sors de ce colloque ayant appris une chose fondamentale : le danger que représente un discours théologique détaché d’un côté de la rigueur philosophique (cohérence et élévation vers l’universel) et de l’autre de la réalité concrète de la vie (prise en compte de l’existentiel).

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1 Aristote, Politique, livre I, chapitre II.