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De nombreux habitants de la Vallée du Jourdain pensent que "Israël essaye d'en chasser les habitants palestiniens en leur interdisant l'accès à l'eau". Photo: Campagne de solidarité de la Vallée du Jourdain

Par Doris R., Accompagnatrice œcuménique à Yanoun, et l'Equipe EAPPI de l'été 2010

Il y a quelques jours, je distribuais des bouteilles d'eau à quelques kilomètres du Jourdain, seule rivière d'une certaine importance en Israël/Palestine. Le village d'Al Fasayel est situé dans un paysage désertique qui contraste avec les colonies israéliennes toutes proches qui disposent d'eau en quantité presque illimitée. Al Fasayel en revanche n'a plus d'eau courante depuis plus de sept semaines.

La Vallée du Jourdain est une région d'une beauté naturelle et farouche stupéfiante. Les collines sont arides, alors que les colonies illégales, au fond de la vallée, sont d'un vert sombre, fertile. Mais la discrimination et une misère noire règnent aussi dans la vallée.

La première fois que j'ai visité Al Fasayel avec d'autres participants au

Programme œcuménique d'accompagnement en Palestine et en Israel (EAPPI), on nous a offert des verres de thé sucré. Ce n'est que lorsque nous sommes sortis pour parler avec les enfants qu'ils nous ont montré que le robinet était à sec depuis près de deux mois.

EAPPI fait venir des volontaires internationaux pour qu'ils se rendent compte de ce qu'est la vie sous l'occupation. Les accompagnateurs œcuméniques, par leur présence, offrent une protection; ils surveillent et dénoncent les violations des droits de la personne et soutiennent les Palestiniens et les Israéliens qui œuvrent ensemble en faveur de la paix. Nous étions venus dans la Vallée du Jourdain pour visiter quelques unes des communautés les plus vulnérables de la région.

L'absence d'accès à l'eau est depuis longtemps un problème pour les Palestiniens de la Vallée du Jourdain. Depuis 1967, année où a commencé son occupation de la Cisjordanie, l'Etat d'Israël refuse aux habitants l'accès au Jourdain et limite strictement l'accès à d'autres ressources aquifères locales. Les accords d'Oslo, passés en 1993, n'ont fait que renforcer le contrôle d'Israël sur les ressources en eau de la Cisjordanie. Cet Etat restreint sévèrement aujourd'hui leur utilisation par les Palestiniens.

Dans les Territoires palestiniens occupés, la consommation d'eau est de 70 litres environ par personne et par jour, alors que celle des Israéliens est d'environ 300 litres, selon un rapport d'Amnesty International. Certains Palestiniens survivent avec à peine 20 litres par jour, quantité qui, selon les calculs de l'Organisation mondiale de la santé, permet la survie à court terme en situation d'urgence. Les 450'000 Israéliens des colonies de peuplement de Cisjordanie utilisent une quantité d'eau égale ou supérieure à celle dont disposent les 2,3 millions de Palestiniens vivant dans la même région. La Banque mondiale signalait en 2009 que l'accès à l'eau des Palestiniens est en recul.

Le campement bédouin d'Ein Al Hilweh est situé près d'Al Fasayel. Les 25 familles qui vivent dans ces tentes modestes doivent aller chercher leur eau à un puits qui se trouve à une heure de route. Il arrive que l'armée les empêche d'utiliser la route et s'ils s'y risquent, ils peuvent être condamnés à payer une amende de plusieurs centaines de shekels. Les colons, qui vivent dans des maisons bien construites avec l'eau courante, harcèlent aussi régulièrement ces bédouins.

Près de 9'600 Israéliens vivent aujourd'hui dans les colonies illégales qui couvrent une grande partie de la Vallée du Jourdain. Ils cultivent une grande variété de fruits et de légumes destinés à l'exportation vers l'Europe, notamment au travers de la compagnie israélienne Agrexco. Des experts estiment que ces colonies, avec leurs systèmes d'irrigation artificielle, utilisent plus de la moitié de l'eau consommée en Cisjordanie. Cela soumet les maigres ressources en eau à une pression intense, déclare George Rishmawi du Conseil des Eglises du Proche-Orient.

"Israël essaye d'isoler la Vallée du Jourdain du reste de la Cisjordanie et d'en chasser les habitants palestiniens en leur interdisant l'accès à l'eau", dit-il.

La plupart des eaux usées des villes palestiniennes ne sont pas traitées parce qu'Israël ne permet pas à l'autorité palestinienne de construire de nouvelles stations d'épuration. Selon un rapport récent d'Amnesty International, l'armée israélienne détruit souvent les infrastructures, et même celles visant à la récolte des eaux de pluie, construites par les Palestiniens.

Les devoirs de l'occupant

Que pouvions-nous donc faire? Nos avons contacté un homme d'affaires local, Arab Al-Shorafa, qui dirige la compagnie Yanabee qui vend de l'eau en bouteilles. Il est aussi maire de la ville palestinienne de Beita. Nous l'avions appelé au numéro de téléphone figurant sur l'étiquette d'une des bouteilles de la compagnie et nous lui avons parlé de la situation à Al Fasayel.

Il a immédiatement offert de faire don de 700 litres d'eau en bouteilles, à condition que nous allions les chercher à l'usine ce même soir. Il a rappelé un peu plus tard, offrant de quadrupler le nombre de litres.

Nous nous sommes dits prêts à aller chercher et à livrer un premier lot ce soir-là. Nous sommes allés à l'usine et avons chargé une fourgonnette. Al-Shorafa est venu à notre rencontre et a promis de fournir davantage d'eau, ainsi qu'un camion pour une autre livraison le lendemain.

Nous sommes retournés à Fasayel. Le soir tombé, nous avons distribué l'eau aux familles qui s'approchaient dans la nuit avec les enfants. Le matin suivant, alors que la température était de plus de 30°C, nous avons fait une autre livraison.

Tony Blair, envoyé du Quartet pour le Moyen Orient, a récemment visité Fasayel. Il a réussi à persuader les Israéliens d'annuler l'ordre de démolition de l'école locale. Mais les robinets du village restent à sec.

Nos livraisons à Fasayel ont fourni suffisamment d'eau à chaque famille du village pendant une semaine. Mais l'acte de charité d'Al-Shorafa ne fait que souligner le fait qu'il est du devoir de la puissance occupante de donner accès à la nourriture et à l'eau en quantité suffisante.

De nombreux habitants pensent que le fait qu'Israël ne remplit pas ce devoir fait partie d'une stratégie visant à les chasser de leurs terres ancestrales. En livrant les bouteilles par une chaleur étouffante, nous avons compris leur point de vue.

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De plus amples informations sur la pénurie d'eau en Cisjordanie, en anglais, sont disponibles sur le site de la Campagne de solidarité de la Vallée du Jourdain

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Eglises membres du COE en Palestine et Israël

Le Programme oecuménique d'accompagnement en Palestine et en Israël (EAPPI) a été lancé en août 2002. Les accompagnateurs œcuméniques contrôlent et signalent les atteintes aux droits de la personne et au droit humanitaire international ; ils apportent leur soutien aux actions de résistance non violente, aux côtés de militants pacifistes locaux, palestiniens et israéliens, chrétiens et musulmans; par leur présence non violente, ils constituent une possibilité de protection ; ils s'occupent de la défense de l'ordre public et sont solidaires des Eglises et de toutes les personnes qui luttent contre l'occupation. Ce programme est coordonné par le Conseil œcuménique des Eglises.

Les opinions exprimées dans les reportages publiés par le COE ne reflètent pas nécessairement la politique du COE. Ce texte peut être reproduit gratuitement, en indiquant le nom de l'auteur.