«Plus que d'une justice réparatrice, c'est d'une justice transformatrice qu'ont besoin les victimes du racisme», ainsi d'ailleurs que les auteurs d'actes racistes et les tenants de systèmes et d'institutions racistes, dit un rapport du Conseil oecuménique des Eglises étudié par le Comité central de l'organisation en session à Genève.

A partir d'exemples concrets, le Comité central, qui se souvient que depuis 1968 le COE conduit un Programme de lutte contre le racisme hautement apprécié par les uns et contesté par les autres, s'est interrogé sur les nouvelles dimensions apparues dans la lutte contre ce fléau de l'humanité, ce «péché»: l'Afrique du Sud, avec sa Commission «Vérité et réconciliation» instituée après la fin de l'apartheid et présidée par l'évêque Desmond Tutu; le Canada, dont l'Eglise unie - entre autres Eglises - a entrepris de reconnaître et de réparer les torts causés aux Premières Nations (les populations amérindiennes autochtones) par les «écoles résidentielles» où les enfants des familles aborigènes étaient enfermés, «éduqués» et maltraités sous prétexte de les civiliser et de les évangéliser; ou encore les Etats Unis où l'Eglise méthodiste unie a entrepris de reconnaître le racisme qui survit en son propre sein; ou encore l'Eglise luthérienne de Norvège, qui a demandé pardon aux Rom - qui vivent dans ce pays depuis 500 ans - pour les discriminations et la politique d'assimilation forcée auxquelles elle a pris une part active jusque vers le milieu du XXe siècle.

Ces exemples figurant dans le rapport font apparaître que s'il est nécessaire de confesser un tel passé raciste, ancien ou récent, de demander pardon aux victimes du racisme ou à leurs héritiers voire même de «réparer» les torts commis en restituant les biens spoliés, cela ne suffit pas. D'une part, le retour à la dignité exige que les «victimes» puissent désigner le tort qu'elles et leurs ancêtres ont subi, dire les souffrances passées et présentes et définir elles-mêmes ce qui doit leur être restitué. D'autre part, il faut que les «fautifs» acceptent de porter, collectivement et personnellement, la responsabilité du racisme pratiqué par les générations précédentes et que la démarche de confession, de pardon et de restitution les amène à la guérison de ce qui en eux les portait, et peut-être les porte encore, vers une attitude raciste. Autrement dit: la lutte contre le racisme demande une «justice transformatrice», qui va plus loin qu'une justice distributive ou réparatrice, puisqu'elle va s'adresser et à la victime et au fautif, chacun en ce qui le concerne.

A l'évidence, un tel processus ne peut être transposé d'une situation à l'autre: «Il n'existe pas de formule toute faite pour rechercher la guérison, la réconciliation et de nouvelles relations avec ceux à qui nous avons causé du tort», dit le rapport. C'est pourquoi il propose que le COE s'adresse à chacune de ses Eglises membres pour l'interpeller à ce sujet et l'inviter à examiner son passé et son présent, ses pratiques et ses structures et à se mettre à «dire la vérité» - quelque douloureuse qu'elle soit - par exemple sur les procédés utilisés pour imposer la culture occidentale en même temps que l'Evangile.

Un processus conduisant authentiquement à la guérison, affirme le document, ne pourra être que douloureux puisqu'il s'agit d'une «réorientation de la mentalité»: «Regarder la vérité en face n'est jamais facile, ni pour un individu, ni pour une communauté.» Dans le processus de guérison, «la première chose à faire est de nous ouvrir à l'expérience de la souffrance, passée et présente. Vient ensuite un tournant: c'est lorsque nous nous rendons compte que la source la plus profonde de notre souffrance et de notre solidarité, c'est le lien que nous établissons avec ceux qui ont souffert et notre solidarité avec eux. Ce tournant peut nous permettre de nous rapprocher d'une repentance et d'une transformation authentiques.»

Le texte soumis aux délégués admet qu'il n'existe pas de recette magique pour obtenir la réconciliation. Celle-ci se développe «comme un mystère et une grâce. Il nous faut les dons de l'Esprit: patience, humilité, compassion, bonté et respect - autant de choses que nous ne pouvons pas fabriquer nous-mêmes».

Finalement le rapport attire l'attention sur des sources de racisme: «le mythe de la supériorité des blancs», certaines «croyances - qu'elles soient religieuses, culturelles ou historiques - qui ont alimenté et continuent d'alimenter des attitudes et pratiques racistes», ainsi que «le racisme institutionnel et d'autres formes de racisme déguisées telles que les dispositions juridiques qui vont dans le sens de la séparation et de la discrimination entre différentes populations ou différents groupes ethniques et que l'on trouve, par exemple, dans les politiques d'immigration».

Quant aux Eglises, «la justice transformatrice exige qu'elles soient prêtes à entrer dans des discussions, à mener des études et à payer des réparations, en prenant au sérieux les points de vue et les approches des victimes dans la mesure où celles-ci sont les premières intéressées et où c'est à elles qu'il appartient de définir comment de justes relations peuvent être établies».