ParAlexander Belopopsky (*)

Parmi les paisibles vignobles qui surplombent le lac Léman, il est un lieu dont on n'imagine guère qu'il prépare de futurs dirigeants d'Eglise. Et pourtant, depuis six décennies, l'Institut oecuménique de Bossey, qui dépend du COE, est un centre international unique en son genre pour l'enseignement, la formation et le dialogue chrétiens.

Cette semaine encore est arrivé un groupe d'une quarantaine de jeunes responsables, venus de presque autant de pays, pour y suivre une formation intensive de cinq mois dans le cadre du Cycle universitaire d'études oecuméniques. Tous titulaires d'un premier diplôme universitaire, ils découvrent avec enthousiasme les locaux et les cours de l'Institut oecuménique et apprécient grandement l'occasion de connaître les conceptions et traditions les uns des autres.

C'est le pasteur Willem Visser 't Hooft, fondateur et premier secrétaire général du COE, qui a créé cet Institut en 1946 pour être un lieu de guérison dans une Europe déchirée par la guerre; aux premiers cours qui y furent dispensés participaient des survivants de camps de concentration, d'anciens militaires et des membres de mouvements de résistance. A partir de cette volonté fondamentale de relancer le dialogue et d'oeuvrer à la réconciliation, Bossey est bientôt devenu une institution académique reconnue, qui entretient des liens avec l'Université de Genève et attire des étudiants du monde entier.

L'un de ses plus récents étudiants, Fritz-Gerald Romulus, pasteur baptiste d'Haïti, reconnaît que Bossey offre un cadre d'études exceptionnel qui, en pratique, va le préparer à son travail en Eglise dans son pays où, il l'admet, les Eglises éprouvent parfois une profonde méfiance à l'égard de l'oecuménisme.

Le pasteur Tegwende Kinda, de l'Eglise réformée du Burkina Faso, souligne que le dialogue n'est pas un luxe mais qu'il peut être une question existentielle: "L'occasion qui m'est offerte ici peut m'aider à développer ma culture théologique et à renforcer ma conception du dialogue, ce qui, pour moi, est indispensable dans un contexte à majorité musulmane où peuvent trop facilement se développer des malentendus entre Eglises et entre religions."

On a dit de l'Institut qu'il est un "laboratoire oecuménique" du fait de sa capacité à rapprocher des chrétiens de diverses origines pour explorer et discuter certaines des questions les plus complexes et controversées auxquelles les Eglises sont confrontées.

Le pasteur Konrad Raiser, ancien secrétaire général du COE, qui assure un cours à l'Institut cette année, considère celui-ci comme un lieu privilégié de rencontre malgré les divisions, que ce soit dans l'Eglise ou dans la société.

"La liberté de Bossey, dit-il, signifie que les gens peuvent aborder de façon constructive et ouverte certaines des questions les plus douloureuses auxquelles les Eglises et les communautés sont confrontées, et c'est là quelque chose qui est extrêmement nécessaire à notre époque."

Outre l'enseignement universitaire et post-universitaire qu'il dispense, Bossey accueille toute une série de séminaires sur des sujets aussi divers que la religion et la violence, le dialogue entre orthodoxes et évangéliques, la justice économique et la théologie féministe.

Dans la longue liste des anciens élèves de Bossey, on trouve des professeurs d'université, des responsables oecuméniques, des évêques, des pasteurs et des prêtres, ainsi que des responsables politiques et civils de tous les continents - et jusqu'à un patriarche oecuménique. Au cours de ces 60 dernières années, plus de 25 000 personnes, provenant de quasiment toutes les Eglises, confessions et cultures, ont suivi des cours à Bossey.

A Bossey, les étudiants apprennent "24 heures par jour", dit le directeur de l'Institut, le père Ioan Sauca, théologien orthodoxe originaire de Roumanie, lui-même ancien étudiant de l'Institut. "Mais, souligne-t-il, la partie la plus importante et la plus transformatrice de la formation oecuménique, c'est la vie spirituelle."

Outre l'enseignement théorique officiel, les étudiants de Bossey participent à la vie de prière quotidienne commune, qu'ils préparent et animent, ce qui place la spiritualité au coeur même de la vie communautaire. Comme l'explique le père Sauca, "les groupes d'étudiants d'origines diverses en arrivent, malgré de profondes différences, à former une communauté cultuelle authentique, démontrant ainsi comment des chrétiens peuvent constituer un seul corps avec de nombreux membres." Le thème du Cycle universitaire de cette année est"La spiritualité oecuménique".

Anna Eltringham, étudiante anglicane, reconnaît que cette expérience peut changer la vie: "Pour moi, Bossey est un lieu où les préjugés peuvent disparaître et où on peut arriver à redécouvrir le sens de l'appartenance au Corps du Christ dans le monde. Cela, on le ressent plus intensément grâce à la vie spirituelle de l'Institut, dans laquelle on éprouve un profond sentiment d'authenticité et de satisfaction à découvrir des modes de prière interculturels et interdénominationnels."

A 60 ans, Bossey a gardé toute sa jeunesse, et les idées de nouvelles initiatives ne manquent pas. Il est en particulier envisagé d'intensifier la vie spirituelle de l'Institut en renforçant les liens avec des communautés chrétiennes en d'autres lieux. Une autre orientation éventuelle serait d'établir un lien entre la théologie et l'attention pratique portée à la création, avec, par exemple, une introduction aux techniques de culture organique, puisque beaucoup d'étudiants exerceront leur activité dans des pays en développement.

Entre autres plans, on envisage aussi une université d'été interreligieuse qui rassemblerait des jeunes issus des principales religions mondiales, afin d'élargir le dialogue et l'ouverture au delà du contexte chrétien traditionnel. En 2005 a été créé à l'Institut un Centre de recherche oecuménique, chargé en particulier d'entretenir des relations justes, harmonieuses et durables entre les cultures et les religions.

Le père Sauca considère que, au bout de six décennies, le travail de l'Institut oecuménique ne fait que commencer: "Etant donné les formidables fractures sociales que nous constatons dans le monde entier ainsi que l'accélération des transformations dans le monde chrétien, il est plus nécessaire que jamais de disposer d'un centre de rencontre et d'enseignement exceptionnellement diversifié tel que celui-ci. Les Eglises ont encore besoin d'un Bossey, et le monde aussi."

(*) Alexander Belopopsky est le coordinateur de l'équipe Information du COE.