Sara Speicher (*)

Pour certains, la célébration du soixantième anniversaire s'accompagne de perspectives de retraite et constitue l'occasion de se féliciter de ce qui a été accompli et de rêver de nouvelles entreprises. Pour sa part, le Conseil oecuménique des Eglises (COE), en célébrant son 60e "anniversaire" en 2008, n'a pas l'intention de se reposer sur ses exploits passés mais plutôt de considérer les défis du 21e siècle. La communauté d'Eglises la plus vaste et la plus inclusive, véritable symbole de l'oecuménisme du 20e siècle, se trouve confrontée actuellement à un monde bien différent - du point de vue politique, économique et religieux - de celui qui existait à la fin de la deuxième guerre mondiale.

L'existence officielle du COE débuta le 23 août 1948 à Amsterdam, où les délégués de 147 Eglises de 44 pays s'étaient réunis pour participer à son Assemblée constitutive, première du nom. Ce rassemblement était certes impressionnant par sa diversité sans précédent, puisqu'on y trouvait des délégués d'Eglises anglicanes, vieilles-catholiques et orthodoxes, ainsi que de presque toutes les Eglises protestantes, mais il était aussi notable par l'absence des deux plus grandes Eglises mondiales, l'Eglise catholique romaine et l'Eglise orthodoxe russe.

En fait, le COE existait déjà. En 1938, un comité provisoire avait été formé par des responsables d'Eglises pour créer la structure de ce nouveau conseil et organiser sa première assemblée, prévue pour 1941. Mais l'irruption de la guerre avait bouleversé ces plans. Le comité provisoire s'était donné pour mission de maintenir les liens entre Eglises des deux camps, de venir en aide aux prisonniers de guerre et aux réfugiés et de préparer la réconciliation et les efforts de reconstruction de l'après-guerre.

L'expérience du conflit donna à l'Assemblée d'Amsterdam une tonalité marquée à la fois par l'humilité et par le défi face à un monde dont la désunion tragique appelait à une réconciliation sans réserve. Willem Visser 't Hooft, premier secrétaire général du COE, évoqua la crainte de voir se créer une "super-Eglise" et proclama le désir de "faire la différence ensemble" en affirmant: "Nous ne constituons pas ce Conseil dans un esprit d'ambition, ni avec l'intention de participer à quelque lutte pour le pouvoir que ce soit. Nous le constituons dans un esprit de repentance face à notre incapacité de former ensemble une seule Eglise et dans l'intention de rendre témoignage plus clairement et ensemble au Seigneur qui est venu nous servir tous."

Il est facile de donner des exemples du témoignage rendu par le COE au cours des décennies écoulées: contribution majeure à la création des Nations Unies et au texte de la Déclaration universelle des droits de l'homme; travail théologique crucial sur le baptême, l'eucharistie et le ministère; apports considérables à la réflexion missiologique; activités prophétiques au sujet de questions comme le développement durable, le racisme, le dialogue interreligieux et le changement climatique, bien avant qu'elles ne fassent l'objet de débats généralisés.

Mais il n'est guère de réussites sans critiques. Au cours des années 1970, les évangéliques prirent leurs distances à l'égard du Conseil, déplorant la mollesse de ses efforts dans les domaines de la mission et de l'évangélisation. A la même époque, le Programme de lutte contre le racisme attirait sur lui les foudres de ceux qui lui reprochait son soutien sans faille au mouvement de lutte contre l'apartheid en Afrique australe.

Pourtant, lorsque le COE célébra son 50e anniversaire dans le cadre de son Assemblée de Harare, Nelson Mandela, l'un des "bénéficiaires" de ce Programme, rappela qu'il constituait l'expression d'une "vraie solidarité" qui "n'était pas simplement le soutien charitable de lointains bienfaiteurs mais une lutte partagée pour des aspirations communes. … En Afrique du Sud, en Afrique australe et sur tout le continent, le COE est connu depuis toujours comme le champion des opprimés et des exploités."

Pourtant, en parlant avec ceux qui ont été touchés par les activités du COE au cours des années, on constate que sa plus grande réussite ne se situe pas au niveau d'une question, d'un programme ou d'une publication, mais qu'elle réside dans le fait qu'en dépit de tout ce qui aurait pu les séparer, les Eglises membres sont demeurées ensemble, attachées à la communauté qui est la leur grâce au Conseil. Comme l'a déclaré un responsable oecuménique asiatique: "Les relations établies entre les Eglises constituent la plus belle réussite du COE. Il ne s'agit pas d'une unité au sens strict, mais d'une communauté fondée sur la connaissance d'un héritage et de traditions et sur les prises de conscience - comme une famille."

Ne cessant de s'agrandir, le COE rassemble actuellement 347 Eglises et dénominations de plus de 110 pays et territoires du monde entier. L'Eglise orthodoxe russe est membre depuis 1960, tandis que l'Eglise catholique romaine collabore étroitement avec le Conseil dans le cadre de nombreux programmes et est membre à part entière des commissions de Foi et constitution et de Mission et évangélisation.

La croissance du COE témoigne de sa réussite en même temps qu'elle constitue un défi pour l'avenir, car elle reflète bien les mutations de l'oecuménisme et du christianisme. La plupart des Eglises fondatrices du COE étaient européennes et nord-américaines, même si d'autres régions étaient aussi représentées, alors que de nos jours la grande majorité des membres se trouvent en Afrique, en Amérique latine, en Asie, aux Caraïbes, au Moyen-Orient et dans le Pacifique.

C'est la diversité de ses membres qui constitue pour l'oecuménisme un défi constant, celui de créer des liens, d'évaluer, d'évoluer pour donner une image plus fidèle de l'unité. Le dialogue approfondi qui s'est déroulé ces dix dernières années entre les Eglises orthodoxes et d'autres traditions a permis à la communauté d'Eglises de prendre conscience que certaines pratiques chères à la plupart des membres occidentaux étaient peu familières à beaucoup d'autres, qui les jugent contraignantes. Il en est résulté de profondes modifications des méthodes du COE, dont la plus notable est celle de l'introduction de la prise de décisions par consensus.

Il n'est pas facile de déterminer les priorités du programme du COE, du fait que ses Eglises membres connaissent des réalités très diverses dans leurs milieux. Mais on voit se dessiner un fil conducteur commun, inspiré par ce qui est l'essence même du Conseil depuis sa fondation. Pour reprendre les termes d'un théologien européen, "le rôle du COE consiste à être par excellence le lieu où l'on peut rassembler les diverses voix chrétiennes".

Dans cet espace commun, les Eglises affrontent ensemble des défis actuels: réagir aux menaces qui pèsent sur la vie, comme la pauvreté, le changement climatique et le VIH/sida; explorer les dimensions traditionnelles et nouvelles de la vie spirituelle; encourager le dialogue et la coopération entre les religions; entrer en contact avec les traditions chrétiennes marquées par un scepticisme durable à l'égard de l'oecuménisme; formuler une nouvelle vision de l'oecuménisme au 21e siècle.

Célébrer la communauté

En 2008, les membres du Conseil oecuménique des Eglises (COE) célébreront le soixantième anniversaire de leur engagement: "Nous sommes décidés à demeurer ensemble." Durant la session du Comité central de février 2008 à Genève, Suisse, d'éminentes personnalités de l'Eglise et de la société civile viendront se joindre aux représentant(e)s des Eglises membres du COE dans la célébration, la réflexion et la prière.

La communauté mondiale des églises membres est encouragée à marquer le soixantième anniversaire du COE tout au long de l'année par des célébrations et des prières pour l'unité des chrétiens. Des matériels pour la prière commune, l'étude biblique et la réflexion seront mis à disposition sur le site web du COE (www.oikoumene.org) à partir de février 2008. Des bandeaux portant le logo de l'anniversaire permettront aux Eglises membres et à leurs paroisses de rendre visible leur engagement en faveur de l'unité de l'Eglise sur leurs propres sites web et dans leurs publications.

Dans un concours d'essais sur le thème "Ensemble, faire la différence", les étudiant(e)s en théologie et les jeunes théologien(ne)s sont invités à offrir de nouvelles perspectives et à enrichir le débat sur le thème "Perspectives pour l'oecuménisme au 21e siècle".

Ensemble, faire la différence - comme l'exprime le thème choisi pour le 60e anniversaire du COE, il ne s'agit pas de célébrer une institution, mais une communauté, un mouvement et une vision. A Amsterdam, il y a 60 ans, les participants ont reconnu: "Nos divisions existent non seulement en matière de foi, d'ordre ecclésiastique et de tradition; notre orgueil national, notre orgueil de classe ou de race y ont aussi leur part." Si cette réalité persiste, il en va de même de la vision oecuménique, et le message d'Amsterdam se poursuit par ces mots: "Mais le Christ a fait de nous son peuple et, lui, n'est pas divisé."

Ainsi donc le COE ne célèbre pas seulement son anniversaire, mais aussi l'engagement visible et durable des Eglises qui, malgré leurs divisions et celles du monde, reprennent l'affirmation formulée en 1948 à Amsterdam: "Nous sommes décidés à demeurer ensemble."

(*) Sara Speicher, rédactrice indépendante, a été coordinatrice de l'équipe "Information" du Conseil oecuménique des Eglises.

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