«C’est lui, en effet, qui est notre paix: de ce qui était divisé, il a fait une unité. Dans sa chair, il a détruit le mur de séparation: la haine […] Il est venu annoncer la paix à vous qui étiez loin, et la paix à ceux qui étaient proches. Et c’est grâce à lui que les uns et les autres, dans un seul Esprit, nous avons l’accès auprès du Père.» (Éphésiens 2,14.17-18)

La 11e Assemblée du Conseil œcuménique des Églises (COE) se réunit à Karlsruhe, en Allemagne, sur le thème «L’amour du Christ mène le monde à la réconciliation et à l’unité».  Le thème invite les délégué-e-s et les participant-e-s à prendre au sérieux l’appel à l’unité en Christ et à vivre en peuple de la réconciliation du Christ avec Dieu et avec les autres.

La guerre en Ukraine

Alors que nous nous rassemblons à Karlsruhe, hélas, nous sommes témoins d’une guerre qui touche l’Europe. Les pensées et les prières de toutes les personnes participant à la 11e Assemblée du COE se tournent vers le peuple et la nation d’Ukraine, et vers les conséquences tragiques subies par la population depuis l’invasion russe, le 24 février 2022, qui viennent s’ajouter aux milliers de victimes, notamment civiles, dans l’est du pays et aux milliers de personnes réfugiées et déplacées depuis 2014.

En six mois, le conflit a fait plus de 13 000 victimes civiles ukrainiennes et des villes comme Mariupol ont été réduites à l’état de ruines. À l’heure où nous rédigeons ces lignes, près de 14 millions de personnes (soit près du tiers de la population ukrainienne) ont dû fuir leur foyer (d’après le HCR). En outre, de nombreux rapports font état d’atrocités pouvant constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, comme les violences sexuelles et sexistes, et signalent une nette augmentation de la vulnérabilité à la traite des êtres humains. Par ailleurs, nous sommes vivement préoccupé-e-s par les risques de conséquences catastrophiques si la centrale nucléaire de Zaporijjia venait à être endommagée par les activités militaires qui ont lieu à proximité. Nous nous inquiétons également pour la sécurité du confinement sur le site où s’est déroulée la catastrophe de Tchornobyl en 1986.



Lors de sa réunion de juin 2022, le Comité central du COE s’est opposé catégoriquement à cette guerre «illégale et injustifiable», se lamentant d’un bilan effroyable qui va en s’aggravant: la mort, la destruction et le déplacement des populations; la destruction des relations et un antagonisme de plus en plus profond entre les peuples de la région; les confrontations qui s’enveniment à travers le monde; le risque accru de famine dans les régions du monde touchées par l’insécurité alimentaire; ainsi que les difficultés économiques et l’exacerbation de l’instabilité sociale et politique dans de nombreux pays.

Cette Assemblée soutient fermement la position exprimée par le Comité central, et dénonce cette guerre illégale et injustifiable. Nous, personnes chrétiennes originaires de différentes régions du monde, renouvelons l’appel à instaurer un cessez-le-feu immédiat pour mettre un terme à la mort et à la destruction, et à entamer un dialogue et des négociations pour parvenir à une paix durable. Nous adressons un appel à toutes les parties au conflit pour qu’elles respectent les principes du droit international humanitaire, notamment en ce qui concerne la protection de la population et des infrastructures civiles, et le traitement humain des prisonniers et prisonnières de guerre.

De plus, nous soutenons fermement la déclaration du Comité central affirmant que cette guerre est incompatible avec la nature même de Dieu et avec sa volonté pour l’humanité, et qu’elle va à l’encontre de nos principes chrétiens et œcuméniques fondamentaux, et nous nous opposons ainsi à tout détournement de l’autorité et du vocabulaire religieux pour justifier une agression armée et la haine.

Nous exhortons toutes les parties à se retirer des environs de la centrale nucléaire de Zaporijjia et de tout autre site semblable, et à ne pas y mener d’action militaire qui ferait peser une menace inimaginable pour les populations actuelles et les générations futures.

Nous nous joignons à la prière pour toutes les victimes de ce conflit tragique, en Ukraine, dans la région et partout dans le monde, pour que cessent leurs souffrances et pour qu’elles puissent être consolées et retrouver une vie caractérisée par la sécurité et la dignité. Nous les assurons de l’amour et de l’accompagnement de la communauté fraternelle des Églises du COE. Nous félicitons les Églises locales, les partenaires spécialisés et toutes les organisations humanitaires qui viennent en aide aux personnes qui souffrent dans toutes les régions de l’Ukraine et au-delà, et qui accueillent et prennent en charge les réfugié-e-s fuyant la guerre dans le respect total de leur dignité humaine donnée par Dieu.

Comme l’a fait remarquer le Comité central en juin, le COE a un rôle particulier à jouer dans l’accompagnement des Églises membres de la région et en tant que tribune et espace protégé de rencontre et de dialogue où l’on peut aborder les nombreuses questions urgentes qu’engendre le conflit pour le monde et pour le mouvement œcuménique. Nous soulignons que les Églises membres du COE sont appelées à rechercher l’unité et à être ensemble au service du monde, et qu’elles ont l’obligation de le faire.

La présence de représentant-e-s d’Églises ukrainiennes et d’une délégation plurinationale de l’Église orthodoxe russe ainsi que de délégué-e-s et de participant-e-s des Églises membres du COE et des partenaires œcuméniques originaires d’autres pays d’Europe et de toutes les régions du monde constitue une occasion concrète de rencontre. Nous nous engageons à intensifier le dialogue sur les questions qui nous divisent, un objectif central du COE. En effet, les questions soulevées par ce conflit sont profondes et fondamentales, pour le mouvement œcuménique comme pour le monde entier, et elles exigent un dialogue intense mené sur la durée.

En attendant, nous réitérons l’appel lancé par le Comité central à nos frères et sœurs de foi chrétienne ainsi qu’aux responsables des Églises russes et ukrainiennes, un appel à faire entendre leur opposition au cortège incessant de morts, de destructions, de déplacements de population et de dépossession du peuple ukrainien. Nous appelons le COE à offrir une plateforme permettant à toutes les voix en faveur de la paix de s’exprimer et de mieux se faire entendre, et nous prions pour que cette guerre prenne fin très prochainement.

Ensuite, le rétablissement sera long et difficile et aura un coût humanitaire, financier et écologique élevé. Les Églises sont appelées à jouer un rôle clé dans la guérison des mémoires, la réconciliation et le service diaconal. Nous prenons acte du fait que dans une guerre, il n’y a jamais de «gagnants», et que personne ne devrait y avoir recours.

Face à la militarisation et à la confrontation accrues, et face à la prolifération des armes, nous appelons les gouvernements européens et l’ensemble de la communauté internationale à s’investir davantage dans la recherche et la promotion de la paix, et à soutenir la résolution non violente des conflits, la transformation des conflits civils et les processus de réconciliation, au lieu d’aggraver la confrontation et la division. Nous appelons le COE et ses Églises membres à conserver son orientation en faveur de la clarté et du dialogue, nous encourageons les tables rondes et autres formats susceptibles de contribuer à la recherche de solutions au conflit et à ses répercussions. Nous nous engageons à nous tenir mutuellement responsables du maintien du lien d’unité en Christ. 

Migration, xénophobie et racisme

L’amour réconciliateur du Christ nous appelle à reconnaître et à accueillir notre prochain. Nous appuyant sur la parabole du bon Samaritain (Luc 10,25-37), en réponse à la question «Et qui est mon prochain?», nous avons entendu et reçu l’appel de Jésus à faire preuve de compassion et de pitié envers toutes les personnes qui sont blessées ou qui souffrent, sans exception ou discrimination. Nous faisons appel à nos ressources, à nos voix et à notre sens de l’empathie pour répondre aux cris de toutes les personnes qui sollicitent la guérison et la plénitude. Dans ce ministère et ce témoignage, nous sommes renforcés par les enseignements et l’exemple de Jésus, reconnaissant qu’il a lui-même dû fuir les personnes qui cherchaient à Le tuer, dès Sa naissance. Suivant le commandement du Christ, nous faisons preuve de compassion à l’égard de toutes les personnes qui cherchent refuge et demandent l’asile.

La migration est une caractéristique inhérente à la condition humaine. Elle traverse l’ensemble de l’histoire de l’humanité et tout le récit biblique. Toutefois, depuis la 10e Assemblée du COE à Busan, des conflits nouveaux et anciens, l’oppression et les persécutions, l’accélération des changements climatiques, les déplacements dus au développement et la montée en flèche des inégalités ont conduit un nombre sans précédent de personnes à quitter leur foyer et à entreprendre un voyage désespéré et périlleux à la recherche de sécurité et d’une vie meilleure ailleurs. Beaucoup d’entre elles ont perdu la vie. Nous affirmons que nous ne les oublierons pas.

Nous réaffirmons notre conviction: la protection internationale des personnes réfugiées et migrantes doit être accordée en fonction des besoins et de la nécessité de respecter l’égale dignité de chaque être humain, quelles que soient l’origine, la religion, l’ethnie ou l’orientation des personnes concernées, comme le stipulent le droit international et le droit européen. Cette conviction doit s’accompagner de la promotion d’un traitement équitable et de l’éradication des différences ainsi que de la discrimination fondée sur le racisme et l’«altérisation». Il s’agit également de garantir le respect d’une dignité humaine égale pour les populations de toutes les régions.

Nous réaffirmons les obligations juridiques et les principes moraux qui imposent d’agir de manière compatissante et accueillante face aux personnes dans le besoin. Nous reconnaissons et respectons la prérogative autorisant les États souverains à définir les modalités de contrôle de leurs frontières et les conditions d’entrée et de séjour sur leur territoire. Cependant, nous souhaitons que tous les États – en Europe et dans le monde entier – honorent la lettre et l’esprit de leurs obligations au titre du droit international, notamment en ce qui concerne les droits de la personne et le droit des réfugié-e-s, et plus particulièrement le droit d’asile, sous peine de compromettre les principes et protections précisément mis en place pour faire face à de telles crises et auxquels toute personne devrait pouvoir prétendre. Nous confirmons la déclaration faisant suite à la Conférence du Vatican et du COE en septembre 2018 selon laquelle «ériger les frontières nationales et l’État-nation en valeur supérieure à la reconnaissance de l’image de Dieu dans chaque personne migrante ou réfugiée s’apparente à de l’idolâtrie».

Nous considérons qu’il est inadmissible sur le plan juridique et éthique que les États renoncent à leurs responsabilités de sauver des vies et d’offrir une protection, ou cherchent à les «externaliser» à d’autres États et territoires. Nous estimons inacceptable que des personnes en position vulnérable et qui quittent leur pays à la recherche d’un avenir plus sûr soient instrumentalisées par des gouvernements ou d’autres entités pour des raisons politiques ou pour servir des intérêts personnels. Nous contestons également la logique d’une mentalité «de la porte fermée» et du repli face aux défis posés par l’augmentation des mouvements de population. Nous exhortons tous les États à proposer des voies et des possibilités sûres, officielles et accessibles pour la mobilité humaine, conformément aux obligations qui leur incombent en matière de droit humanitaire international et de droits de la personne, et à prendre les mesures adéquates pour lutter contre les abus de la vulnérabilité des personnes migrantes et réfugiées. Le trafic d’êtres humains prospère en l’absence de voies de migration plus larges, légales et sûres. Nous appelons les Églises et les États à renforcer et à élargir les initiatives permettant d’assurer un passage sûr tels que les «couloirs humanitaires» ainsi que les services de recherche et de sauvetage en Méditerranée.

Nous appelons à une meilleure coordination, à davantage de solidarité et à un respect accru des droits humains dans la réponse apportée par l’Europe aux personnes réfugiées et migrantes, notamment à un plus juste partage des responsabilités au sein de l’Union européenne. Le principe de solidarité avec les personnes en quête de protection, avec les personnes qui les accueillent et entre les Églises doit constituer un guide. Et nous appelons à une meilleure coopération régionale et internationale dans la lutte contre les causes premières de la crise des déplacements forcés, en particulier les conflits violents, l’accélération de l’urgence climatique, l’extrême pauvreté et l’absence de développement, ainsi que l’oppression et les persécutions qui obligent les personnes à fuir leur foyer.

Nous soulignons et saluons l’exemple donné aux sociétés et aux gouvernements par les nombreuses Églises et organisations affiliées qui s’engagent activement en faveur de l’accueil des personnes «étrangères», réfugiées et migrantes, en particulier dans des contextes où ces dernières sont de plus en plus stigmatisées, discriminées, criminalisées, marginalisées et exclues.

Nous affirmons la dignité humaine donnée par Dieu de toutes les personnes réfugiées et migrantes. En nous appuyant sur ce principe, nous exhortons les Églises membres du COE et les partenaires œcuméniques, ainsi que toutes les personnes de bonne volonté, à agir en faveur d’une approche plus ouverte et accueillante des personnes «étrangères» et du prochain dans le besoin et la détresse. Cette approche encourage une culture de l’hospitalité, nous pousse à mener une réflexion théologique sur l’hospitalité et la communauté avec les personnes «étrangères», et nous conduit à participer à l’accueil et à la prise en charge des personnes réfugiées et migrantes.

L’Assemblée encourage le COE à continuer de jouer un rôle rassembleur, et de créer des espaces de rencontre et de dialogue sur la migration avec les Églises membres et les partenaires, pour favoriser le partage d’informations, la solidarité, le plaidoyer et l’accompagnement. Dans ce contexte, il convient d’envisager de redynamiser le Réseau œcuménique mondial sur la Migration du COE. En outre, nous encourageons une coordination et une coopération plus étroites avec la Commission des Églises auprès des migrants en Europe (CEME) et l’Alliance ACT en matière de plaidoyer et d’action, notamment concernant le suivi des pactes mondiaux pour les migrations et les réfugiés des Nations Unies et le respect de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Il faudra également déterminer comment le COE peut soutenir les Églises membres et leurs partenaires spécialisés dans la lutte contre la traite des êtres humains, en particulier des personnes réfugiées et des femmes et enfants migrants, notamment en organisant des réseaux d’Églises et de partenaires dans les pays d’origine et les pays d’accueil.

Alors que Jésus nous a interpelé-e-s et béni-e-s en nous livrant une conception large du mot «prochain», nous nous engageons à répondre à ces appels à l’action en réponse à son commandement: «Va et, toi aussi, fais de même.» (Luc 10,37)

Informations générales

1) La guerre en Ukraine

L’une des nombreuses conséquences tragiques de la guerre en Ukraine est la vive intensification de la militarisation, de la confrontation et des divisions sur le continent européen. Elle s’accompagne d’une prolifération importante et en grande partie non contrôlée des armes dans la région, ainsi que d’une nouvelle menace grandissante de conflit nucléaire – un conflit qui entraînerait une catastrophe d’ampleur considérable et probablement mondiale. Une nouvelle ligne de démarcation se dessine sur le continent, et les armes se dressent des deux côtés. L’histoire de la guerre froide nous indique clairement ce qui peut suivre, et les risques que cela comporte.

Après l’invasion de l’Ukraine, d’autres grands pays risquent de chercher à conquérir leurs voisins plus petits au prétexte de défendre des intérêts nationaux. Étant donné son coût humain inéluctable, la guerre doit être évitée, et les Églises jouent un rôle essentiel dans la défense de cette position. Malgré ses échecs passés, la diplomatie multilatérale – en particulier dans le cadre des Nations Unies au niveau mondial – conserve un rôle primordial dans la préservation de la paix.

Par ailleurs, l’augmentation des dépenses publiques en matière de défense entraîne inévitablement une diminution des ressources allouées à la réduction de la pauvreté, à la protection sociale, à la santé, à l’éducation, à l’action climatique et au développement durable. Les personnes les plus pauvres seront donc nécessairement les plus touchées. Si la guerre cause des destructions directes, les conséquences sociales et économiques de la militarisation ne peuvent être ignorées. Tant de personnes souffrent ailleurs dans le monde des effets de cette guerre. La montée en flèche du prix des denrées alimentaires et la crise énergétique qui découlent du conflit plongent certaines populations dans la faim et la misère. Les conséquences humanitaires mondiales de la guerre en Ukraine ont été soulignées par le comité central du COE.

2) Migration, xénophobie et racisme

En Europe, la migration se trouve au cœur d’une polarisation politique et de crises humanitaires majeures et s’inscrit dans deux mouvements contraires : la mondialisation hyper-connectée et le nationalisme populiste. Les réactions des pays européens face aux migrant-e-s et aux réfugié-e-s ont fait naître de sérieuses inquiétudes quant aux droits de la personne et ont compliqué la mission et le rôle prophétique des Églises. Bien trop souvent, les autorités et les sociétés des pays dans lesquels ces personnes en détresse sont venues chercher refuge leur ont opposé des réactions de peur, de rejet et d’exclusion. Bien trop souvent, les acteurs politiques se sont employés à alimenter les inquiétudes de l’opinion publique et à attiser les craintes à des fins politiques.  Bien trop souvent, des principes fondamentaux établis du droit international humanitaire ont été remis en cause et battus en brèche, y compris le droit d’asile, ce principe fondamental en vertu duquel toute personne fuyant un conflit ou la persécution a droit à une protection internationale, indépendamment de sa nationalité, de son origine ethnique, de sa religion, de son état de santé et de tout critère autre que celui de la nécessité. À de nombreuses reprises, les Églises ont ouvert leurs portes et leurs cœurs, et œuvré en faveur d’une culture de l’hospitalité et de l’accueil. Cependant, nous confessons que certaines Églises ont échoué à suivre l’appel chrétien à recueillir l’étranger.

Le COE a contribué à la rédaction du document du HCR intitulé «Accueillir l’étranger: Affirmations des chefs religieux» (2013). Depuis l’Assemblée de Busan, le COE et ses organes directeurs ont porté une attention soutenue à cette question: visites de solidarité aux personnes réfugiées et aux communautés d’accueil, consultations entre responsables d’Églises, partenaires gouvernementaux et partenaires des Nations Unies, coopération avec l’Alliance ACT et avec la Commission des Églises auprès des migrants en Europe (CEME), grandes conférences (telles que la Conférence du COE et des Nations Unies sur la réponse européenne à la crise des réfugié-e-s, des origines au refuge en passant par le transit et l’accueil à Genève, les 18 et 19 janvier 2016, la Conférence mondiale du Vatican et du COE sur la xénophobie, le racisme et le nationalisme populiste dans le contexte de la migration mondiale à Rome du 18 au 20 septembre 2018, et le Forum mondial de l’action religieuse au service des enfants en mouvement organisé conjointement avec World Vision International et d’autres grandes organisations d’inspiration religieuse à Rome du 16 au 19 octobre 2018), déclarations de politique publique par les organes directeurs du COE, et activités de plaidoyer.

Au moment où la 11e Assemblée se réunit à Karlsruhe, on compte 281 millions de personnes migrantes dans le monde, et le nombre de personnes déplacées de force s’élève à 84 millions. Depuis 2011, plus de 6,5 millions de personnes – originaires de Syrie, d’Afghanistan, du Venezuela, d’Érythrée et d’ailleurs – ont demandé l’asile en Europe. De nombreuses personnes ayant besoin de protection arrivent aux frontières de pays membres l’Union européenne et d’autres pays d’Europe et font face à des rejets, à des placements en détention, à de longs délais pour les procédures de demande d’asile et à des lois de plus en plus discriminatoires et injustes quant à leur droit à demander l’asile. La situation en mer Méditerranée reste absolument tragique. Des centaines de personnes – des enfants, des femmes et des hommes – meurent noyées. D’autres sont victimes de traite des êtres humains avant d’atteindre les côtes européennes.

Depuis l’invasion de l’Ukraine, plus de sept millions de personnes fuyant les combats ont franchi les frontières de l’Union européenne, et plus d’un million l’ont fait en une semaine seulement. Beaucoup d’entre elles ont été généreusement accueillies par des bénévoles, par la société civile, les Églises et les gouvernements de toute l’Europe et au-delà. Cette hospitalité mérite notre gratitude et nos louanges. Toutefois, ce travail de solidarité est remis en question dans certains pays européens où les personnes originaires d’Afrique, d’Asie, du Moyen-Orient, et les Roms fuyant l’Ukraine ont subi des discriminations. Ces discriminations ont lieu lors du passage des frontières où les personnes se voient refuser l’accès aux modes de transport, dans les établissements ou camps pour personnes réfugiées, et sont opérées par les autorités de l’État et les organisations humanitaires. La protection internationale doit être accordée en fonction des besoins, quelles que soient l’origine, la religion, l’ethnie ou l’orientation des personnes concernées, comme le stipulent le droit international et le droit européen. L’accueil réservé aux personnes européennes réfugiées d’Ukraine reflète l’approche générale de l’Europe en matière de migration. Il y a très clairement deux poids et deux mesures.

La Russie a également accueilli un grand nombre de personnes réfugiées d’Ukraine. Selon nos informations, certaines ont été victimes de traitements déshumanisants et dégradants, subissant interrogatoires, tortures et tests de loyauté dans les camps de filtration. Ces allégations doivent être examinées en détail par le mouvement œcuménique. Nous apprécions le travail fourni par les Églises, les organisations religieuses et les bénévoles en Russie pour venir en aide aux personnes réfugiées d’Ukraine.

Nous estimons inacceptable que des personnes en position vulnérable et qui quittent leur pays à la recherche de sécurité et d’un avenir soient instrumentalisées par des gouvernements à des fins politiques. Nous observons ce phénomène en particulier en Europe. Depuis de nombreuses années, les gouvernements européens tentent de déléguer leur tâche de protection aux pays non membres de l’UE, tout en fermant toujours plus les frontières extérieures de l’Europe. Ce faisant, non seulement les États membres et les agences européennes comme Frontex s’attaquent aux principes fondamentaux du droit international, de la Convention de Genève et du droit européen, mais ils violent aussi ouvertement la loi. Cette politique s’appuie sur le principe de dissuasion: plus les souffrances sont grandes, moins nombreuses sont les personnes réfugiées qui arrivent. Non seulement ce postulat est faux, mais il a souvent des conséquences fatales pour les personnes en quête de protection.

Des milliers d’êtres humains meurent chaque année en Méditerranée, car les gouvernements européens ont cessé de leur porter secours et utilisent tous les moyens à leur disposition pour entraver les secours civils en mer. Aux frontières terrestres extérieures de l’UE, par exemple à la frontière entre la Croatie et la Bosnie ou dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, une violence policière considérable et systématique est employée contre les personnes en quête de protection. Celles qui ont réussi à traverser la frontière gréco-turque ou la mer Égée sont délibérément exposées à la misère, détenues illégalement dans des camps ou repoussées vers la Turquie. À l’hiver 2021, plusieurs personnes sont mortes lorsque le régime du Bélarus a acheminé vers l’Europe des milliers de demandeurs et demandeuses d’asile qui se sont retrouvé-e-s piégé-e-s dans les forêts aux frontières de l’Union européenne. En outre, de plus en plus de personnes se noient faute d’assistance en tentant de traverser la Manche pour rejoindre le Royaume-Uni. Ces violations de la loi par les États ne doivent jamais devenir acceptables ou rester impunies. Nous sommes très préoccupé-e-s par cette érosion du droit des personnes réfugiées et par les efforts politiques menés actuellement pour criminaliser celles et ceux qui leur viennent en aide et font preuve d’une solidarité absolument nécessaire.