Si toi aussi tu avais su, en ce jour, comment trouver la paix…! Mais hélas! cela a été caché à tes yeux! (Luc 19,42)

Alors que nous nous réunissons pour la 11e Assemblée du Conseil œcuménique des Églises (COE) à Karlsruhe, en Allemagne, près de trois ans après l’apparition de la pandémie mondiale de COVID-19, nous devons reconnaître avec une profonde douleur et une grande consternation que les communautés vulnérables, en particulier les personnes âgées, les femmes, les enfants et les jeunes, continuent de pâtir de la violence et des conflits.

La vie et l’activité du COE depuis la 10e Assemblée à Busan ont été présentées comme un «Pèlerinage de justice et de paix» s’inspirant en particulier de l’Appel œcuménique à la paix juste et de la Déclaration sur la voie de la paix juste adoptée par l’Assemblée de Busan. Cette déclaration, dans laquelle la paix juste est décrite comme un «cheminement qui nous fait entrer dans le dessein de Dieu pour l’humanité et toute la création», exprime sa vision selon quatre dimensions: la paix juste dans les communautés, la paix juste avec la terre, la paix juste sur le marché et la paix juste entre les nations.

Nous nous réunissons à une époque marquée par une nouvelle polarisation mondiale de plus en plus marquée, par la reconfiguration de la gouvernance et des alignements géopolitiques, par la division, la confrontation et la militarisation, ainsi que par la persistance des occupations militaires (notamment dans les Territoires palestiniens occupés et à Chypre), avec tous les risques effroyables que comporte un tel contexte. Dans les communautés, notamment dans la communauté œcuménique, de graves préoccupations sont exprimées quant à l’instrumentalisation du vocabulaire, de l’autorité et du rôle moteur des religions pour justifier, soutenir ou «bénir» une agression armée ou toute autre forme de violence et d’oppression, en opposition flagrante avec la vocation chrétienne à faire œuvre de paix et en contradiction avec les principes œcuméniques fondamentaux.

Nous comprenons qu’établir la paix implique de lutter contre le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme, les discours de haine et les autres formes de haine de l’autre (des phénomènes qui se sont multipliés et intensifiés ces dernières années, en grande partie encouragés par les mouvements nationalistes populistes); la crise et la concurrence autour des ressources essentielles à la vie; l’injustice économique et l’inégalité sur le marché; les conflits entre États et la résurgence de la guerre; ainsi que le spectre de la guerre nucléaire.

Ces menaces pour la paix constituent une violation fondamentale des grands principes de la foi chrétienne. L’appel au dialogue, à la rencontre et à la recherche d’une entente mutuelle constitue l’essence même de l’œcuménisme et un élément central de l’établissement de la paix. Les Églises ont pour rôle d’incarner «l’amour du Christ [qui] mène le monde à la réconciliation et à l’unité».

En conséquence, la 11e Assemblée du COE:

Soutient la demande d’une proclamation prophétique de la vérité, reconnaît l’urgence de reprendre un dialogue approfondi au sein du mouvement œcuménique concernant les implications de notre foi chrétienne pour notre témoignage en faveur de la paix dans le monde et pour notre engagement œcuménique sur la «voie de la paix juste», et prie instamment le COE de prendre l’initiative, en coopération avec d’autres, d’organiser un tel dialogue;

Affirme avec force l’engagement du COE et de ses Églises membres en faveur de l’établissement de la paix par le dialogue et la coopération entre les religions, à tous les niveaux, afin d’apporter une contribution essentielle à la lutte contre les forces de division, de confrontation, de polarisation et d’injustice, et prie instamment le COE et l’ensemble de la communauté œcuménique de poursuivre et d’approfondir cet engagement;

Refuse la polarisation et la division de la communauté humaine et déclare son engagement à demeurer une communauté œcuménique unie et à s’atteler aux menaces et aux défis pour la paix, la justice, la sécurité humaine et le développement durable par le biais du dialogue, de la rencontre, de la recherche d’une entente mutuelle et de la coopération, plutôt que par l’exclusion et la confrontation;

Appelle la communauté internationale à apporter un soutien financier et concret beaucoup plus important en faveur de la paix et de la consolidation de la paix plutôt que de la division et de la confrontation militaire et souligne le rôle important des femmes et des jeunes dans cette œuvre de paix –; ainsi que celui de la transformation non violente des conflits;

Réaffirme que le mouvement œcuménique rejette et dénonce la guerre comme étant contraire à la volonté de Dieu;

Appelle à un cessez-le-feu général, qui constitue un impératif moral urgent, dans tous les conflits armés du monde, et appelle les parties à ces conflits à engager un dialogue et des négociations, à les poursuivre jusqu’à ce qu’une paix juste et durable puisse être instaurée, et à s’abstenir de faire la guerre;

Prie instamment les Églises membres et les partenaires du COE de soutenir et d’accompagner activement les Églises coréennes dans leur action de plaidoyer en perpétuant l’héritage de l’Assemblée de Busan exprimé par la Déclaration sur la paix et la réunification de la péninsule coréenne;

Reconnaît en l’article 9 de la Constitution du Japon un héritage important né des cendres de la Seconde Guerre mondiale et une ressource unique pour la paix dans le monde. Nous encourageons le monde chrétien et le monde entier à soutenir les Églises et la société civile japonaises dans leurs efforts pour protéger cet héritage, et nous recommandons ce principe aux autres nations;

Appelle à un engagement renouvelé du COE et du mouvement œcuménique, afin de redynamiser la diaconie et de répondre aux situations d’urgence ainsi qu’aux besoins humanitaires engendrés par la violence et l’instabilité dans des régions telles que l’Éthiopie, le Nigeria, le Cameroun, le Soudan du Sud, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, le Mozambique, le Soudan, le Myanmar, le Sri Lanka, les Philippines et la Papouasie occidentale, et afin de faire preuve de solidarité chrétienne avec les Églises et les peuples de l’ensemble des pays et régions touchés;

Prend acte de l’accompagnement du COE pendant le processus de paix et de réconciliation en Colombie par l’intermédiaire de DiPaz (Dialogue interreligieux pour la paix en Colombie). Alors que le nouveau gouvernement suscite un regain d’espoir pour la poursuite du processus de paix, l’Assemblée prie instamment le COE et la communauté internationale de réaffirmer leur engagement et leur solidarité avec le gouvernement, les Églises et le peuple de Colombie, et de collaborer au projet de construction de la paix dans ce pays, notamment à sa conception, à sa mise en œuvre, à sa défense et à son financement;

Exhorte à soutenir les Églises et les peuples de Syrie, de Cuba, du Venezuela et du Zimbabwe victimes d’oppression des suites de sanctions internationales qui bafouent les droits de la personne et la dignité de ces populations. Les Églises ont joué un rôle décisif en contribuant à l’amélioration des relations, malgré les contraintes et les obstacles causés par les sanctions. Nous demandons que Cuba soit retiré de la liste des pays finançant le terrorisme et que les Églises soient accompagnées en qualité de voix prophétiques de la paix, de l’espérance, de la coopération et du respect mutuel;

Invite les Églises membres de la communauté fraternelle du COE à réfléchir et à discuter, entre elles et en leur sein, des principes et des points de vue chrétiens relatifs à la doctrine de la dissuasion nucléaire;

Prie instamment tous les États qui ne l’ont pas encore fait de signer et de ratifier le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, en particulier les États bénéficiant d’un parapluie nucléaire ou dotés d’armes nucléaires qui sont à l’origine de cette menace pour le monde;

Appelle à la mise en œuvre intégrale des engagements pris au titre d’autres conventions de désarmement, notamment le Traité sur le commerce des armes, le Traité sur l’interdiction des mines antipersonnel, la Convention sur les armes à sous-munitions et la Convention sur certaines armes classiques, ainsi que l’article VI du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (qui engage ses 191 États Membres, parmi lesquels les cinq puissances nucléaires, à poursuivre les négociations de bonne foi concernant des mesures efficaces de désarmement nucléaire complet);

Exprime son soutien sans réserve à une interdiction mondiale préventive des systèmes d’armes autonomes («robots tueurs» et drones) et prie instamment les États de ne plus entraver les progrès de cette interdiction et d’entamer des négociations de bonne foi à cet effet;

Dénonce le complexe militaro-industriel qui tire profit de l’économie de la guerre et de la violence ainsi que de la prolifération et de l’exportation des armes, et appelle à un moratoire sur les exportations d’armes et d’armements qui alimentent les conflits dans le monde, en vue, à terme, de mettre fin à ces exportations;

Réclame que toutes les personnes coupables de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et d’autres violations graves du droit international humanitaire et des droits de la personne (attentats commis contre la population et contre des infrastructures civiles, violences sexuelles et sexistes en période de conflit, recours à l’alimentation, à l’accès aux denrées alimentaires, à l’eau et aux soins médicaux comme armes de guerre, emploi d’armes nucléaires ou d’armes de destruction massive, etc.) soient traduites en justice pour répondre de leurs actes;

Dénonce tous les cas de violation de la liberté de religion ou de croyance, et soutient la liberté de religion ou de croyance pour toutes les personnes croyantes ou sans religion à travers le monde, ainsi que le droit à l’objection de conscience, pour parvenir à un monde de paix;

Appelle les gouvernements et les autres acteurs à s’investir bien davantage dans les fondements d’une véritable sécurité humaine et de la stabilité mondiale, notamment sous la forme de mesures d’urgence visant à instaurer une justice en matière de climat et à écarter la menace de changements climatiques dévastateurs, mais aussi sous la forme d’une transition juste vers les énergies renouvelables, de l’élimination de l’extrême pauvreté, du développement durable et de mesures visant à maîtriser les inégalités généralisées, y compris en instaurant une justice fiscale et des réparations – autant d’aspects qui, s’ils ne sont pas pris en compte, alimenteront les conflits;

Soutient les efforts accrus visant à réformer et à améliorer l’efficacité des Nations Unies et des autres instruments intergouvernementaux de promotion de la paix et de la sécurité humaine, et encourage le COE à explorer les moyens qui permettront aux Églises et au mouvement œcuménique d’apporter une contribution significative à cet égard;

Appelle à la levée des sanctions et/ou à la prise en compte des conséquences négatives de ces sanctions pour les gens ordinaires dans des pays tels que la Syrie, Cuba, le Venezuela et le Zimbabwe, et encourage à mener une étude plus approfondie sur l’efficacité des sanctions internationales prises à l’encontre des auteurs de violence et d’oppression et sur les conséquences négatives de sanctions mal ciblées pour les gens ordinaires, ainsi que pour l’aide humanitaire, le service social et la consolidation de la paix (en particulier pour les activités des Églises et des organisations associées relevant de ces domaines) dans les pays concernés;

Prie instamment le COE de s’associer à l’Alliance ACT et à d’autres acteurs internationaux pour soutenir les efforts en vue d’adopter une nouvelle politique internationale de réduction des dommages en lieu et place du paradigme militaire de la «guerre contre la drogue»;

Suggère que le COE coopère avec l’Alliance ACT et d’autres partenaires œcuméniques, ainsi qu’avec les Nations Unies et des partenaires de la société civile, en vue de renforcer les capacités des Églises du monde entier en matière de conseil et de soutien psychosocial, notamment dans les situations de conflit;

Prie pour que l’amour du Christ mène ce monde souffrant et divisé à la réconciliation et à l’unité, et pour que toutes les personnes commettant des violences et suscitant la division se repentent de leurs péchés et œuvrent au rétablissement de la justice et de la paix.

 

Annexe: Informations générales (pour information)

Les mesures prises au titre de la présente politique sont fondées sur les informations suivantes.

Crise climatique et concurrence autour des ressources essentielles à la vie

Dans les relations de l’humanité avec la terre, une crise s’est érigée au rang d’urgence mondiale, en raison de l’incapacité de notre génération à reconnaître – et encore moins à contrer efficacement – la menace sans précédent des changements climatiques, et à prendre les mesures nécessaires au niveau gouvernemental et sociétal pour l’éviter. Les conséquences des conflits armés, notamment la guerre actuelle en Ukraine, conduisent le monde encore plus rapidement au bord du précipice de la catastrophe climatique, tout en sapant les perspectives d’une coopération intergouvernementale efficace à l’échelle mondiale pour corriger cette trajectoire suicidaire.

Parallèlement, la déforestation de plus en plus importante affaiblit la résilience de la Terre elle-même et accélère le rythme désastreux de l’appauvrissement de la biodiversité, tandis que la contamination de l’environnement par les microplastiques et les produits chimiques polluants suscite de nouvelles inquiétudes quant au bien-être de l’humanité et de l’environnement. Par ailleurs, la détérioration de l’environnement et la diminution de la capacité de la Terre à assurer la subsistance des communautés humaines augmentent les risques de conflits armés en raison de la concurrence croissante autour de ressources essentielles à la vie telles que l’eau, la nourriture ou la terre.

Injustice économique et inégalité sur le marché

L’injustice économique, les inégalités et le fossé entre les plus riches et l’écrasante majorité des autres se sont considérablement creusés, notamment pendant la pandémie de COVID-19 et, plus récemment, pendant la guerre en Ukraine – deux situations à l’origine d’immenses souffrances pour beaucoup de monde, mais au cours desquelles une poignée d’individus privilégiés ont réalisé des gains exceptionnels.

Le Rapport 2022 sur les inégalités dans le monde montre que les 10% les plus riches de la population mondiale s’approprient actuellement 52% des revenus mondiaux, alors que la moitié la plus pauvre en gagne 8,5%. De même, si la moitié la plus pauvre de la population mondiale ne possède pratiquement aucune richesse (à peine 2% en tout), les 10% les plus riches possèdent 76% de toutes les richesses. Les inégalités de revenus et de richesses se sont accrues presque partout depuis les années 1980. Elles se sont considérablement aggravées ces dernières années, et se situent actuellement à un niveau proche de celui du début du XXe siècle, à l’apogée de l’impérialisme occidental.

Cette inégalité n’est pas une fatalité, mais un choix politique et (im)moral, lourd de conséquences pour la stabilité sociale, la paix et la justice. Bien qu’un accord ait été conclu en 2021 sur un taux minimum de 15% pour l’imposition des sociétés à l’échelle mondiale, les grandes entreprises et les contribuables les plus riches continuent régulièrement de contourner le mécanisme de redistribution de l’impôt en recourant aux paradis fiscaux et à d’autres techniques. L’appel à la justice fiscale est en grande partie ignoré et insatisfait.

Conflits entre États et résurgence de la guerre

Parmi les nations, les conflits et la violence armée demeurent hélas une réalité très répandue.

La région européenne et le moment historique auquel se réunit cette Assemblée sont particulièrement marqués par le retour d’un conflit entre États sur le continent européen, avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Cause de terribles souffrances pour le peuple ukrainien et pour beaucoup d’autres personnes dans le monde, la guerre en Ukraine aggrave considérablement la crise alimentaire et énergétique mondiale, contribue à l’instabilité économique, sociale et politique de nombreux pays bien au-delà des frontières de l’Europe et provoque une nouvelle confrontation militaire entre la Russie et l’Occident, faisant resurgir le spectre de la guerre nucléaire.

Après avoir laissé passer une brève occasion de paix, la péninsule coréenne (où a eu lieu la 10e Assemblée) a de nouveau versé dans la confrontation et l’aggravation des risques de conflit.

Bien que la guerre en Syrie ait diminué d’intensité, la paix, la justice et la stabilité restent des perspectives lointaines pour le peuple syrien. Le groupe terroriste «État islamique», un empire de brutalité terroriste, est monté en puissance avant de décliner, mais il laisse des séquelles durables sur la sécurité humaine et la cohésion sociale en Syrie, en Irak, au Moyen-Orient et dans le reste du monde. Israël et la Palestine ont connu des flambées périodiques de violence sanglante (ciblant surtout la population de Gaza, mais aussi de nombreuses autres localités de la région) tout au long de cette période, tandis que l’occupation militaire des Territoires palestiniens se poursuivait et que les revendications de longue date en faveur de la justice et de l’égalité des droits de la personne restaient insatisfaites.

Au Soudan du Sud et en Colombie, des engagements solennels en faveur de la paix sont restés lettre morte faute de mise en œuvre.

Les populations d’autres pays prioritaires pour le Pèlerinage de justice et de paix, tels que le Nigéria et la République démocratique du Congo, ont continué de subir conflits persistants, violence et instabilité.

En outre, des conflits ont éclaté ou se sont intensifiés dans la région anglophone du Cameroun, au Yémen et en Éthiopie, où des combats violents ont récemment repris entre les Forces fédérales éthiopiennes et le Front de libération du peuple du Tigré après une trêve humanitaire de cinq mois. Et au Myanmar, le gouvernement démocratiquement élu a été renversé par un coup d’État militaire en février 2021, à la suite duquel la population s’est retrouvée en butte à de plus en plus d’oppression, de violence et de déplacements de population.

La situation au Kosovo et en Métochie justifie une attention plus soutenue de la part du COE et de la communauté internationale, ainsi qu’une protection globale plus importante pour la communauté de l’Eglise orthodoxe serbe sur place.

Le spectre de la guerre nucléaire

Depuis la première Assemblée du COE, en 1948 à Amsterdam, durant laquelle il a qualifié les armes nucléaires de «péché contre Dieu» et de «crime contre l’humanité», le COE n’a cessé d’appeler inlassablement à un monde libéré des armes nucléaires. Les victimes des effets terribles de la seule utilisation à ce jour d’armes nucléaires dans un conflit (à Hiroshima et Nagasaki en 1945) exigent leur élimination. Nous savons que l’utilisation d’armes nucléaires aujourd’hui aurait des conséquences humanitaires catastrophiques auxquelles aucun pays n’aurait la capacité de faire face – des conséquences qui ne pourraient être limitées par les frontières nationales et qui persisteraient pendant des millénaires. Même si ces armes n’ont plus jamais été utilisées en temps de guerre, nous reconnaissons et déplorons la gravité et la persistance des effets des programmes historiques d’essais nucléaires sur la santé et l’environnement de milliers, voire de millions, de personnes et de leur descendance dans le Pacifique, en Australie, aux États-Unis, en Algérie, au Kazakhstan et ailleurs.

Soutenu par les initiatives du COE et de ses partenaires œcuméniques, interreligieux et de la société civile dans le cadre de la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires, le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires a été adopté par les Nations Unies en 2017, et est entré en vigueur en janvier 2021. En le ratifiant, les États acceptent l’interdiction de mettre au point, de tester, de produire, de fabriquer, de transférer, de posséder, de stocker, d’utiliser ou de menacer d’utiliser des armes nucléaires, mais aussi d’autoriser le stationnement d’armes nucléaires sur leur territoire. Le Traité a déjà instauré un nouveau principe normatif du droit international qui est en passe de délégitimer l’existence même des armes nucléaires, en plus d’introduire des obligations positives concernant l’assistance aux victimes et l’assainissement de l’environnement.

Cependant, les États dotés d’armes nucléaires continuent de maintenir, de développer et d’accroître leurs arsenaux nucléaires; d’autres États continuent d’aspirer à ces armes, y voyant un moyen de pression ultime dans les relations internationales, et les États bénéficiant d’un «parapluie nucléaire» continuent de considérer leurs puissances nucléaires alliées comme un pilier essentiel de leur sécurité. Mais une garantie de sécurité qui fait peser la menace d’une dévastation planétaire est illusoire, illégitime et moralement indéfendable. Loin de préserver la paix et la sécurité, la simple possession d’armes nucléaires constitue un moyen de coercition et d’intimidation qui attise les tensions et facilite les agressions. L’existence même de ces armes, les plus aveuglément destructrices que les êtres humains aient jamais créées, constitue une violation des fondements de notre foi. Elles ne sont pas sûres entre des mains humaines, et doivent être éliminées.

Prolifération des armes

Outre les armes nucléaires, la prolifération d’autres armes dans un contexte de conflit et de confrontations croissantes (y compris la diffusion incontrôlée d’armes légères et de petit calibre dans les communautés) pose de gros problèmes pour la paix et la sécurité humaine.

En parallèle, la mise au point de nouveaux types d’armes et l’apparition de nouveaux théâtres de conflit, comme les systèmes d’armes autonomes («Killer Robots»), les drones et la guerre informatique, font peser la menace d’une nouvelle et dangereuse course mondiale à l’armement.

L’augmentation des dépenses militaires se fait inévitablement au détriment d’investissements essentiels dans la consolidation de la paix, l’élimination de l’extrême pauvreté, l’action climatique, une transition juste vers les énergies renouvelables et d’autres investissements dans le développement durable et la justice économique qui sont nécessaires à une véritable sécurité humaine et à la stabilité mondiale. Le fait de détourner encore plus de ressources financières de ces objectifs au profit de moyens de faire la guerre va à l’encontre du but recherché et est inacceptable.

Polarisation et division

La polarisation, la division et l’exclusion sont l’antithèse de l’objectif de notre mouvement. En conséquence, notre communauté œcuménique mondiale doit résister de manière active et affirmée contre toutes ces forces de division et proclamer au contraire la réconciliation et l’unité auxquelles l’amour du Christ nous appelle. Dans ce contexte et en cette époque de l’histoire, il s’agit d’un impératif urgent pour notre foi et pour notre témoignage chrétiens dans le monde.

En 1948, l’Assemblée d’Amsterdam a déclaré que «la guerre est contraire à la volonté de Dieu». En 1975, l’Assemblée de Nairobi a appelé les Églises à «montrer qu’elles sont prêtes à vivre sans être protégées par des armements et à prendre une initiative marquante pour faire pression en faveur d’un désarmement effectif». En 1983, l’Assemblée de Vancouver a estimé que le moment était venu pour les Églises de «déclarer que la production, le déploiement et l’emploi d’armes nucléaires constituent un crime contre l’humanité». En 2006, l’Assemblée de Porto Alegre a affirmé le devoir de protection, en mettant l’accent sur la prévention des agressions contre les individus et les communautés et en reconnaissant que tout recours à la force armée représentait un manquement à ce devoir. En 2013, l’Assemblée de Busan a tracé la «Voie de la paix juste» et affirmé que «nous devons nous associer à d’autres communautés de foi et à d’autres personnes de bonne volonté […] pour mettre hors la loi l’institution de la guerre». L’orientation de notre cheminement œcuménique collectif est on ne peut plus claire, et elle est en opposition totale avec l’orientation du monde actuel.

De graves préoccupations sont exprimées au sein de la communauté œcuménique quant à l’instrumentalisation du vocabulaire, de l’autorité et du rôle moteur des religions pour justifier, soutenir ou «bénir» une agression armée, en opposition flagrante avec la vocation chrétienne à faire œuvre de paix et en contradiction avec les principes œcuméniques fondamentaux. Par conséquent, il est urgent de mener une nouvelle analyse critique (doublée d’un dialogue approfondi et durable) de ces questions et de la foi chrétienne dans ses relations avec la politique, la nation et le nationalisme.

Réforme de la gouvernance internationale au service de la paix et de la sécurité

La constellation actuelle de conflits et de menaces convergentes pour la paix et la sécurité humaine exige également un réexamen minutieux des structures, politiques et pratiques intergouvernementales en matière de promotion de la paix et de prévention de la guerre – sans oublier la réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui n’a que trop tardé.

L’impuissance de l’architecture de sécurité internationale établie après la Deuxième Guerre mondiale lorsque l’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité commet une agression armée a une nouvelle fois été mise en évidence par le conflit ukrainien, suscitant de nouveaux appels à la réforme. Les nombreuses tentatives antérieures visant à réformer le Conseil de sécurité dans le sens d’une plus grande inclusion et d’une meilleure efficacité – et à empêcher l’utilisation abusive du droit de veto – se sont soldées par des échecs patents. Toutefois, la récente initiative du Liechtenstein, qui veut imposer un débat à l’Assemblée générale des Nations Unies chaque fois qu’un veto est opposé au Conseil de sécurité, représente un petit signe d’espoir et permettrait de responsabiliser dans une certaine mesure les cinq membres permanents qui disposent de ce droit. Bien que cette initiative soit encore loin de la réforme nécessaire, la 11e Assemblée du COE y voit un pas dans la bonne direction, un pas vers plus de justice au sein de la principale tribune des Nations Unies, à une époque où une gouvernance internationale efficace au service de la paix et de la sécurité s’avère plus que nécessaire et sérieusement menacée.

Le respect du droit international humanitaire et des droits de la personne, ainsi que l’obligation d’en rendre compte, constituent un fondement essentiel de la paix et de la justice internationales. Pourtant, les États les bafouent et les sapent de plus en plus, ou ne les invoquent qu’en fonction de leurs propres intérêts. Les États doivent réitérer leur engagement à appliquer ces obligations de manière universelle et impartiale, et les mécanismes de responsabilité juridique de ces principes doivent être renforcés.

Violations du droit international humanitaire et des droits de la personne

Outre les attaques d’une fréquence tragique contre la population et les infrastructures civiles (y compris des hôpitaux et des écoles) durant les conflits de ces dernières années, qui touchent des populations particulièrement vulnérables, l’alimentation et l’accès aux denrées alimentaires sont de plus en plus utilisés comme arme de guerre. Par ailleurs, les mines antipersonnel – que l’on a continué à déployer malgré le traité d’interdiction des mines terrestres de 1997 – non seulement tuent et mutilent sans discrimination et souvent longtemps après la fin du conflit, mais rendent également inutilisables des terres agricoles productives et empêchent l’accès aux sources d’eau dans nombre de zones rurales touchées. Les armes à sous-munitions (un autre système d’armement, interdit par la plupart des pays, qui frappe sans distinction) ont également été utilisées à maintes reprises lors de conflits récents, avec pour fréquentes victimes des enfants innocents.

Violence envers les enfants

L’élimination de la violence envers les enfants, qui comptent parmi les membres les plus vulnérables de la société et qui sont notre espoir pour l’avenir de nos communautés humaines, est devenue une priorité importante pour le COE depuis le mandat confié par l’Assemblée de Busan. Outre la violence subie dans les situations de conflit, les enfants sont exposé-e-s à la menace de la violence dans leurs communautés et même dans leurs foyers; les confinements mis en place pendant la pandémie de COVID-19 ont notamment augmenté la prévalence de cette menace et l’incidence de ces violences à domicile. Les Engagements des Églises en faveur des enfants ont fourni un cadre important pour l’engagement œcuménique en faveur de l’élimination de la violence envers les enfants, notamment lorsque les Églises jouent un rôle dans la mise en place d’environnements ecclésiaux protégés à leur intention et dans la lutte contre la violence à leur égard dans la société et à leur domicile.

Le rôle des femmes et des jeunes dans l’établissement de la paix

Avec les enfants, les femmes sont souvent les victimes de conflits armés initiés et menés par des hommes. Qu’elles soient victimes d’attaques aveugles, visées par des violences sexuelles ou tuées ou mutilées par les résidus persistants des conflits, les femmes portent le poids des guerres des hommes. L’injustice entre les genres reste largement répandue, sapant les perspectives des femmes et des filles dans le monde entier. Malgré d’importants progrès dans certains domaines, les droits fondamentaux des femmes ont reculé dans d’autres. En outre, les mesures de confinement prises dans de nombreux pays pendant la pandémie de COVID-19 ont exposé les femmes et les filles à des risques accrus de violence domestique. Et la violence sexuelle et sexiste est restée une réalité odieuse dans bon nombre de sociétés et de contextes, notamment avec l’utilisation récurrente du viol comme arme de guerre.

Mais, comme l’ont démontré les visites d’équipes de pèlerinage entreprises dans le cadre du Pèlerinage de justice et de paix, les femmes ont un rôle fort, quoique méconnu et mal soutenu, d’artisanes de la paix. De même, les jeunes, qui doivent se battre et subir les conséquences les plus directes des guerres lancées par leurs aîné-e-s, devraient se voir accorder une place beaucoup plus importante dans les domaines du rétablissement et de la consolidation de la paix.

Les acteurs gouvernementaux et intergouvernementaux, ainsi que les Églises et les organisations associées, doivent agir davantage pour soutenir le rôle des femmes et des jeunes en tant que vecteurs de paix. Le système international a fourni des mécanismes permettant de soutenir cet objectif, comme la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies et la Convention relative aux droits de l’enfant.

Sanctions

D’après l’expérience du COE, les sanctions et autres mesures économiques coercitives atteignent rarement leurs objectifs déclarés et causent toujours beaucoup de tort à la population civile, en particulier aux femmes, aux enfants et aux autres groupes vulnérables. La Syrie en est un exemple important. Les sanctions internationales et unilatérales contribuent à aggraver la situation humanitaire, en mettant à mal une population civile déjà fragilisée par la guerre. En outre, elles sont néfastes au tissu historique multiculturel et multireligieux de la société syrienne, obligeant la population chrétienne et d’autres groupes autochtones à fuir le pays.

Avec Caritas Internationalis et l’Alliance évangélique mondiale, et en coopération avec l’Alliance ACT, le COE a commandé un projet de recherche sur les effets négatifs des sanctions sur l’aide humanitaire, le service social et la consolidation de la paix dans plusieurs pays concernés. On attend les résultats de ce projet de recherche.

Guérison des traumatismes

L’expérience des victimes de la guerre et de la violence est souvent perpétuée par un traumatisme psychologique qui peut persister longtemps après la guérison des blessures physiques. Ce traumatisme, surtout s’il est répandu dans une société touchée par un conflit, peut limiter la résilience et prédisposer à des cycles de violence répétés. Les effets intergénérationnels des traumatismes perpétuent les effets de la guerre et de la violence. Ce cercle vicieux doit être rompu par la guérison des mémoires, au moyen de consultations et d’un soutien psychosociaux que les Églises peuvent grandement faciliter.