« Remets-nous nos dettes, comme nous avons remis aussi à ceux qui nous doivent. » (cf. Luc 11,4)

  1. L’ère de la « consommation illimitée » a atteint ses limites. L’ère du profit et des rémunérations sans frein pour quelques-uns doit aussi prendre fin. Fondée sur une série de colloques œcuméniques et prenant en compte les points de vue de nombreuses Eglises, la présente déclaration propose de reconnaître et d’appliquer un concept qui exprime notre profonde obligation morale de promouvoir la justice écologique en nous employant à régler les dettes que nous avons envers les peuples les plus affectés par la destruction écologique et envers la terre elle-même. Cela commence par l’affirmation de notre reconnaissance envers Dieu, dont l’attention providentielle se manifeste dans toute la création divine et dans le renouveau de la terre pour toutes les espèces. La dette écologique implique des calculs économiques complexes, mais l’endettement a aussi des dimensions incalculables – bibliques, spirituelles, culturelles et sociales.

  2. La terre et tous ses habitants sont confrontés aujourd’hui à une crise écologique sans précédent, qui peut être source de profonde souffrance et de destruction pour beaucoup. La crise est causée par les êtres humains, en particulier par le complexe économique et agro-industriel et la culture du Nord, caractérisée par les styles de vie consuméristes des élites du monde développé et du monde en développement, et l'idée que le développement est proportionnel à l’exploitation des « ressources naturelles » de la terre. Ce qu'on appelle « ressources naturelles » et qu’on traite en marchandise après l'avoir modifié, c’est toute la création – une réalité sacrée qui ne devrait pas subir un tel traitement. Pourtant, le complexe économique et agro-industriel du Nord, en particulier à l’ère actuelle de la mondialisation du marché, utilise le travail et l’ingéniosité des êtres humains, ainsi que les propriétés d’autres formes de vie, pour produire des richesses et un confort réservés à quelques-uns, aux dépens de la survie des autres et de leur dignité.

  3. Les Eglises ont été complices dans cette histoire par leurs propres structures de consommation ainsi qu’en perpétuant une théologie de la domination humaine sur la terre. La perspective chrétienne accordant à l’humanité une valeur supérieure à celle du reste de la création a servi à justifier l’exploitation de parties de la communauté de la terre. Pourtant, l’existence humaine dépend entièrement du bon fonctionnement du système terrestre. L'humanité ne peut pas gérer la création; l'humanité ne peut gérer que son propre comportement afin de le maintenir dans les limites des conditions de subsistance de la terre. Ni la population humaine, ni l'économie humaine ne pourront croître davantage sans mettre irréversiblement en péril la survie des autres formes de vie. Une vision aussi radicale implique une théologie de l’humilité et un engagement des Eglises à apprendre les leçons de l'éthique environnementale et des traditions religieuses qui témoignent d'un sens plus profond d'une communauté globale.

  4. La force des Eglises tient aussi à leur témoignage prophétique qui proclame l’amour de Dieu pour le monde entier et dénonce la philosophie de domination menaçant la manifestation de l’amour de Dieu. Les prophètes bibliques avaient compris depuis longtemps les liens intrinsèques entre les crises écologiques et l'injustice socio-économique, fustigeant leurs élites d'alors parce qu'elles exploitaient leur peuple et détruisaient les écosystèmes (Jérémie 14, 2-7, Esaïe 23, 1-24 et Apocalypse 22). En s'inspirant du commandement d'amour de Jésus, exprimé dans sa vie et ses paraboles, le Conseil œcuménique des Eglises (COE) doit élargir sa conception de la justice et les limites à partir desquelles nous reconnaissons notre prochain. Depuis de nombreuses années, le COE appelle à l’annulation des dettes financières extérieures illégitimes réclamée par les pays du Sud sur la base de la notion biblique de jubilé (Lévitique 23). Il a fait un pas de plus en abordant la dimension écologique des relations économiques.

  5. Depuis ses premières tentatives d’exprimer les notions de « limites à la croissance », lors d’un colloque d’Eglise et société tenu à Bucarest en 1974, et de « sociétés durables », dans le cadre de l’Assemblée de Nairobi en 1975, cela fait plus de trois décennies que le COE travaille intensivement sur la question de la justice écologique. A l’Assemblée de Harare en 1998, les répercussions néfastes de la mondialisation sur les personnes et sur l’environnement ont été mises en évidence par le processus AGAPE (L’altermondialisation en faveur des êtres humains et de la terre), qui a conduit au lancement de l’étude en cours sur la pauvreté, la richesse et l’écologie. Dans la ligne de ces importantes réflexions et actions œcuméniques, le COE, en partenariat avec des Eglises et des organisations de la société civile en Afrique australe, en Inde, en Equateur, au Canada et en Suède, a lancé en 2002 un travail sur la dette écologique.

  6. Le concept de dette écologique fait référence aux dommages causés au cours du temps aux écosystèmes, aux lieux et aux peuples par les modes de production et de consommation; et à l’exploitation des écosystèmes aux dépens des droits légitimes d’autres pays, communautés ou individus. Il s’agit principalement de la dette encourue par les pays industrialisés du Nord à l’égard des pays du Sud à cause du pillage passé et actuel de leurs ressources, de la dégradation de l’environnement et de l’appropriation excessive de l’espace écologique pour se débarrasser des gaz à effet de serre (GES) et des déchets toxiques. C’est aussi la dette que les élites nationales économiquement et politiquement puissantes ont à l’égard des citoyens marginalisés; la dette qu’ont les générations humaines actuelles à l’égard des générations futures; et, sur une échelle plus universelle, la dette qu’a l’humanité à l’égard d’autres formes de vie et à l’égard de la planète. Elle inclut des dommages sociaux tels que la désagrégation de communautés autochtones et autres.

  7. Fondé sur une priorité prépondérante donnée aux appauvris et sur la responsabilité morale profonde de corriger les injustices, le concept de dette écologique révèle que c’est le Sud qui est le principal créancier écologique, alors que le Nord est le principal débiteur écologique. Les effets des mécanismes qui sont à l’origine de la dette écologique du Nord se sont intensifiés avec la crise économique actuelle.

  8. Dans les conditions présentes des structures financières internationales, des emprunts assortis de conditions rigoureuses et des accords multilatéraux et bilatéraux en matière de commerce international et d’investissements contraignent les pays du Sud à appliquer des stratégies de croissance axées sur les exportations et grandes consommatrices de ressources. Finalement, on ne prend pas en compte les coûts de l’érosion des écosystèmes et de l’accroissement de la pollution. Beaucoup de mégaprojets de développement (par exemple des barrages) dans des pays du Sud sont financés par des prêts accordés par des institutions financières internationales. Souvent, ces opérations sont menées en collaboration avec des dirigeants locaux et des élites non démocratiques, corrompus, qui ne se soucient guère du consentement des habitants et prennent peu en considération les conséquences écologiques et sociales des projets. En outre, les pays industrialisés du Nord font un usage disproportionné de l’espace écologique sans accorder de compensation, de réparation ou de restitution appropriées. L’empreinte écologique des pays du Nord (mesure approximative de l’impact des activités humaines sur l’environnement) est de 6.4 ha par personne, ce qui est considérablement plus élevé que l’empreinte des pays du Sud, estimée à 0.8 ha par personne.

  9. Les changements climatiques dus à des causes humaines aggravent encore la relation d’injustice entre le Nord et le Sud. Les pays industrialisés sont les principaux responsables des émissions de GES, qui sont la cause des changements climatiques. Toutefois, les économies émergentes du Sud commencent à participer aussi de manière importante aux émissions de GES dans le monde, en termes absolus. Les recherches font pourtant apparaître que ce sont les pays du Sud qui auront le plus à souffrir des retombées néfastes des changements climatiques, parmi lesquelles le déplacement de populations vivant dans des zones côtières et de petits Etats insulaires à basse altitude, la perte de sources de revenus, l’insécurité alimentaire, de plus grands problèmes d’approvisionnement en eau, et la migration forcée.

  10. A la lumière de l'enseignement biblique (cf. Luc 11,4), nous prions pour la repentance et le pardon, mais nous appelons aussi à la reconnaissance, au remboursement et à la restitution de la dette écologique de diverses manières – y compris des formes de compensation et de réparation qui ne relèvent pas du marché – qui vont au delà de la capacité limitée du marché à mesurer et à répartir.

  11. Le Comité central du COE reconnaît la nécessité de transformations drastiques à tous les niveaux de la vie et de la société, afin de mettre fin à l’endettement écologique et de rétablir des relations justes entre les peuples, ainsi qu’entre les êtres humains et la terre. Il doit s’agir de transformations en profondeur des systèmes économiques, en passant de modèles consuméristes et exploiteurs à des modèles respectant les économies locales, les cultures et spiritualités autochtones, les limites de régénération de la terre, ainsi que le droit d'autres formes de vie à s'épanouir. Or tout cela commence avec la reconnaissance de la dette écologique.

Affirmant le mandat des Eglises de jouer un rôle important dans la mise en œuvre de pratiques différentes ainsi que dans l’édification de la volonté politique et du courage moral nécessaires pour procéder à ces transformations urgentes, le Comité central du Conseil œcuménique des Eglises, réuni à Genève, Suisse, du 26 août au 2 septembre 2009:

A. appelle les Eglises membres du COE à exhorter les gouvernements, institutions et grandes sociétés des pays du Nord à prendre des initiatives propres à réduire de manière drastique leurs émissions de gaz à effet de serre (GES), en respectant et même en dépassant les dispositions de la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), qui affirme la condition de la responsabilité historique et le principe de « responsabilités communes mais différenciées » (RCD), selon des échéances précises fixées par le rapport CCNUCC de 2007;

B. invite instamment les Eglises membres du COE à appeler leurs gouvernements à adopter un accord équitable et contraignant, afin de ramener le niveau de CO2 à moins de 350 parties par millions (ppm), à la Conférence des Parties (COP 15) à la CCNUCC qui se réunira à Copenhague en décembre 2009, accord basé sur les principes de la justice climatique, assurant un soutien effectif aux communautés vulnérables afin qu’elles puissent s’adapter aux conséquences des changements climatiques, grâce à des fonds d’adaptation et des transferts de technologie;

C. appelle la communauté internationale à garantir un transfert de ressources financières vers les pays du Sud qui permettrait de ne pas toucher aux réserves de pétrole situées dans des environnements fragiles et de préserver d'autres ressources naturelles ainsi que de financer les coûts de l’atténuation des changements climatiques et de l’adaptation à ces changements, sur la base du système des Droits au développement dans un monde sous contrainte carbone (DDMCC);

D. demande instamment l’annulation des dettes financières illégitimes des pays du Sud, à commencer par les pays les plus pauvres, au titre de réparations sociales et écologiques et non en tant qu’assistance officielle au développement;

E. recommande aux Eglises membres du COE de tirer la leçon des exemples et des initiatives de populations autochtones, groupes de femmes, collectivités paysannes et communautés forestières qui proposent d’autres modes de réflexion et styles de vie dans la création, en particulier dans la mesure où ces populations reconnaissent la valeur des relations, de la sollicitude et du partage et pratiquent des formes traditionnelles de production et de consommation, respectueuses de l’environnement;

F. encourage et soutient les campagnes que mènent actuellement les Eglises membres du COE à propos de la dette écologique et des changements climatiques, en ayant à l’esprit l’unité de la création de Dieu et la nécessité d’une collaboration entre pays du Sud et du Nord. Il soutient particulièrement les activités des Eglises dans les pays subissant de plein fouet les changements climatiques;

G. appelle à poursuivre l’action de sensibilisation et la réflexion théologique dans les paroisses et parmi les étudiants de séminaire concernant une nouvelle vision cosmologique de la vie, de l’éco-justice et de la dette écologique, en encourageant l’étude et l’action, une formation œcuménique et interreligieuse approfondie, ainsi que la production et la diffusion de matériels d’étude théologiques et bibliques pertinents;

H. prie instamment les Eglises membres du COE et les institutions qui leur sont liées de procéder à des audits de la dette écologique, en partenariat avec la société civile, avec notamment une évaluation de leurs propres modes de consommation; en particulier, le COE devrait mettre en place un mécanisme de compensation de la dette écologique contractée par ses réunions, et rassembler des exemples positifs de reconnaissance, de prévention, d’atténuation, de compensation, de réparation et de remboursement de la dette écologique, en partenariat avec des groupes et mouvements de la société civile;

I. appelle à un approfondissement du dialogue sur la dette écologique et à la constitution d’alliances avec les acteurs œcuméniques, religieux, économiques et politiques et entre les Eglises du Sud et du Nord;

J. souligne qu’il est important d’accompagner les luttes en cours, de coordonner stratégiquement et de soutenir les efforts des mouvements d’agriculteurs, de femmes, de jeunes et de populations autochtones, par l’intermédiaire du Forum social mondial et par d’autres moyens, en vue d’élaborer de nouvelles propositions de compensation et d’éviter que la dette écologique ne s’aggrave;

K. appelle les Eglises membres du COE à mener des activités de plaidoyer pour encourager leurs gouvernements à travailler à la reconnaissance des revendications en matière de dette écologique, y compris l’annulation des dettes financières illégitimes;

L. appelle les Eglises membres du COE à intensifier leurs campagnes sur les changements climatiques en prenant aussi en compte la dette climatique qui devrait être remboursée dans le cadre des dispositions prises pour la dette écologique;

M. appelle les Eglises membres du COE à plaider en faveur de la responsabilité sociale des grandes sociétés dans le cadre du droit international et national et à exiger de celles-ci et des institutions financières internationales qu’elles incluent les passifs environnementaux dans leurs comptes et qu'elles assument la responsabilité des politiques qui ont été cause de destruction de l’environnement;

N. appelle les Eglises membres du COE à soutenir les initiatives économiques durables à base communautaire telles que coopératives de production, communautés foncières ou centres de distribution de produits alimentaires bio-régionaux;

O. encourage les Eglises du monde entier à continuer à prier pour la création tout entière à l'occasion de la célébration, le 1er septembre 2009, du 20e anniversaire de l'encyclique de Sa Toute Sainteté le patriarche œcuménique Démétrios Ier qui a lancé la Journée de la protection de l'environnement, création de Dieu.

Approuvé à l'unanimité par consensus

 

Cette prière est offerte en tant que ressource pour permettre l'engagement des Eglises envers la question soulevée dans la déclaration ci-dessus.

Dieu créateur et toujours créant,

dans les merveilles de ton monde, nous reconnaissons ta sollicitude prévoyante pour la planète et ses populations.

Nous t'exprimons notre reconnaissance et nos louanges.

Dieu créateur et toujours créant,

dans l'exploitation de ton monde, nous reconnaissons notre égocentrisme et notre cupidité propres à l'être humain.

Nous confessons notre péché devant toi.

Nous reconnaissons que nous, membres de ta famille originaires du Nord et du Sud, avons besoin les uns des autres.

Et c'est pourquoi nous te demandons par la prière: « Remets-nous nos dettes, comme nous remettons aussi à ceux qui nous doivent. »

Accepte notre confession, ô Dieu, et accorde-nous ton pardon,

En nous donnant la capacité de transformer nos vies d'individus, d'Eglises et de nations,

en proclamant ton amour pour la terre et ses populations,

en appliquant le principe du Jubilé dans nos rapports avec les autres et avec la terre,

en remboursant nos dettes écologiques de manière à proclamer ta justice et ton shalom.