concernant le projet de déclaration et le programme d'actin pour la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xenophobie et l'intolérance qui y est associée

(envoyé le 15 août 2000 au Bureau du Haut Commissaire des Nations Unies aux Droits de l'Homme par la Commission des Eglises pour les affaires internationales du Conseil oecuménique des Eglises (CEAI/COE), organisation non gouvernementale dotée du statut consultatif général auprès du Conseil économique et social (ECOSOC))

S'appuyant sur l'action menée par le Conseil oecuménique des Eglises pendant plus de cinquante ans pour lutter contre le racisme et ses effets, notamment par le biais de son Programme de lutte contre le racisme (PLR), la Commission des Eglises pour les affaires internationales vous soumet les remarques suivantes pour examen en vue de la préparation du Projet de déclaration et du Programme d'action. Ces propositions préliminaires reflètent l'expérience de victimes qui sont membres des quelque 340 Eglises membres du COE à travers le monde, ou qui entretiennent des liens avec elles.

1. Sources, causes, formes et manifestations contemporaines du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l'intolérance qui y est associée.

De nos jours, aucune société n'est totalement épargnée par le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui accompagne ces phénomènes. La Déclaration et le Programme d'action doivent donc s'adresser à tous les gouvernements, à tous les acteurs des secteurs non étatiques et du secteur privé et à toutes les organisations de la société civile qui, ensemble, ont pour responsabilité d'éliminer ces violations des droits fondamentaux de la personne dans leurs sociétés et de faire respecter les valeurs universelles partout dans le monde.

Le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance sont à l'origine de nombreux conflits armés civils et internationaux qui sévissent aujourd'hui dans le monde. Or, les efforts visant à éliminer ces sources d'injustice font partie intégrante de l'Agenda pour la paix et de l'édification d'une culture de paix et de stratégies non violentes de règlement des conflits.

Le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance sont autant d'obstacles au développement dans les pays pauvres et à l'égalité des chances dans les pays riches. Les effets négatifs de la mondialisation de l'économie, qui tend à exclure de vastes catégories sociales des bienfaits de l'économie mondiale, se font sentir tout particulièrement dans les anciennes colonies des puissances européennes en Afrique, en Asie, dans les Caraïbes et le Pacifique, et frappent les peuples autochtones d'Amérique latine et les populations autochtones et aborigènes des nations industrialisées dominées par les blancs.

Ce malaise social est dû principalement au racisme des blancs à l'égard des personnes de couleur partout dans le monde. La montée de la violence que l'on observe dans de nombreux conflits civils montre toutefois que les manifestations exacerbées de l'identité nationale et de l'ethnocentrisme constituent une forme d'intolérance qui se répercute sur les gens ayant les mêmes origines raciales ailleurs dans le monde.

Le système des castes est une forme de discrimination très répandue qui touche quelque 240 millions de personnes en Asie du Sud, en violation de l'article 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Les sources de cette discrimination sont profondément ancrées dans la culture et l'histoire religieuse de ces sociétés, ce qui la rend particulièrement complexe et résistante aux solutions strictement juridiques.

Dans de nombreuses régions du monde, l'intolérance religieuse et la manipulation politique de la religion et de l'appartenance religieuse s'intensifient et représentent un facteur de plus en plus décisif des conflits civils et internationaux. Les efforts déployés par le Rapporteur spécial sur l'intolérance religieuse, qui a attiré l'attention sur ces questions, doivent être soutenus et renforcés.

Il faut continuer d'encourager les gouvernements à respecter le droit à la liberté religieuse, et plus spécialement à considérer la spiritualité des peuples autochtones comme de véritables religions, conformément aux recommandations du Rapporteur spécial sur l'intolérance religieuse.

2. Victimes du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l'intolérance qui y est associée.

Les femmes sont souvent les premières à souffrir des effets du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l'intolérance, y compris de la discrimination de caste, et ce sont elles qui les subissent le plus durement. Les sociétés et les systèmes sociaux dominés par des attitudes et un exercice du pouvoir de type patriarcal constituent souvent un terrain favorable au racisme, à la discrimination raciale, à la xénophobie et à l'intolérance ; l'oppression des femmes y est encore plus forte et plus complexe. Racisme, sexisme et esprit de classe s'associent souvent pour fermer le piège de la discrimination dont tant de femmes sont tous les jours les victimes.

Ce sont les pauvres qui sont le plus exposés aux conséquences du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l'intolérance qui y est associée. Et, avec la féminisation de la pauvreté, ce sont les femmes, une fois encore, qui sont le plus durement frappées et le plus vulnérables à d'autres violations des droits de la personne humaine : tourisme sexuel et traite des femmes, politiques discriminatoires de contrôle de la démographie et stérilisation, inégalité face à l'éducation et à l'emploi qui les relèguent aux fonctions les plus mal payées et les plus dégradantes.

Les victimes du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l'intolérance, spécialement les peuples autochtones, se voient généralement refuser la propriété et le contrôle de leurs terres ancestrales, ainsi que l'accès et la relation à ces terres. Cette situation a des conséquences économiques graves pour ces personnes, et constitue souvent une violation de la liberté religieuse de ceux et celles dont la spiritualité est profondément attachée à la terre et à l'environnement naturel. Où qu'ils vivent et quelles que soient leur culture politique ou sociale, ou leurs croyances particulières, les peuples autochtones considèrent tous la terre comme sacrée et comme l'élément essentiel de leur survie. Leur identité, leur culture, leur langue, leur philosophie de la vie et leur spiritualité sont étroitement liées dans une relation d'équilibre avec la création tout entière.

Les victimes de la discrimination de caste souffrent de se voir imposer un habitat séparé, interdire les repas en commun et les mariages intercastes, ils souffrent de leur statut d'intouchables, de la discrimination et du refus de se voir accorder des chances égales dans la vie publique.

Toute étude des manifestations contemporaines du racisme se doit d'aborder la question du racisme écologique. Dans de nombreux pays en effet, les populations d'origine africaine, les peuples autochtones et les minorités ethniques sont, plus souvent que les blancs, appelés à vivre dans des endroits dangereux, à proximité, par exemple, de sites non réglementés de stockage de déchets toxiques. Les terres et les lieux sacrés des peuples autochtones servent à des opérations de minage intensives et abritent des sites de déchets radioactifs. Il y a deux poids deux mesures dans la manière de déterminer ce qui est acceptable ou non dans tel ou tel communauté, village ou ville. C'est pourquoi, ces communautés présentent un certain nombre de problèmes communs : espérance de vie écourtée, mortalité infantile et adulte plus élevée, santé précaire, pauvreté, opportunités réduites sur le plan économique, logements de moindre catégorie, et dans l'ensemble, qualité de vie dégradée.

La xénophobie - à savoir le rejet des étrangers - est un phénomène de plus en plus répandu dans le monde. Les mesures élaborées par les gouvernements pour empêcher les migrants et les requérants d'asile potentiels d'atteindre leurs territoires sont de plus en plus perfectionnées. En cas de problèmes politiques et économiques intérieurs, les responsables politiques prennent souvent les étrangers pour boucs émissaires. Les actes d'hostilité et de violence contre les étrangers se multiplient, qu'il s'agisse d'immigrés en situation régulière, de réfugiés, de demandeurs d'asile ou de travailleurs sans papiers. Dans cette dernière catégorie, les femmes sont particulièrement vulnérables.

Il faut encourager les gouvernements à signer et ratifier la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

Ils doivent aussi s'engager à s'attaquer à ce qui oblige les gens à quitter leurs communautés, à savoir la persécution, les violations des droits de l'homme, la guerre, la pauvreté et la dégradation de l'environnement. Les gouvernements doivent mettre en place des programmes pour sensibiliser l'opinion aux raisons de l'émigration, aux contributions des immigrés à leur pays d'accueil, et à la nécessité d'apprécier la richesse que représente la diversité des cultures.

Il convient d'approfondir l'étude de la relation entre xénophobie et racisme.

Les gouvernements doivent s'assurer que leurs procédures d'asile offrent une protection maximum aux personnes qui fuient les persécutions, et qu'elles soient conformes au droit international applicable aux réfugiés.

Ils doivent envisager d'adopter des mesures permettant de régulariser la situation des immigrés sans papiers, de faciliter leur intégration locale, et de permettre aux immigrés de longue date d'obtenir la citoyenneté.

Le deuxième Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui vise à abolir la peine de mort et les décisions s'y rapportant adoptées par les Nations Unies ont encouragé les Etats à abolir ou à limiter rigoureusement le recours à la peine de mort. L'article 6, paragraphe 5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques interdit formellement l'application de la peine de mort à des personnes âgées de moins de dix-huit ans. Dans certains des pays qui continuent d'appliquer cette peine - y compris à de jeunes délinquants - les statistiques révèlent une tendance systématique à la discrimination raciale et aux préjugés raciaux à l'égard de tous les délinquants, jeunes et adultes, dans l'application de la loi et l'administration de la justice pénale.

Les gouvernements ayant émis au sujet de l'article 6, paragraphe 5 des réserves incompatibles avec l'objet et de ladite Convention doivent les retirer. Il faut prendre des mesures spéciales au niveau national pour lutter contre les attitudes et les comportements discriminatoires au sein de l'appareil judiciaire pour mineurs et adultes, et au sein de la police.

3. Mesures de prévention, d'éducation et de protection destinées à éliminer le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée aux niveaux national, régional et international.

Les ministères de l'éducation et les responsables de l'éducation à tous les niveaux, y compris dans les écoles privées laïques et religieuses, doivent examiner le contenu de tous les programmes d'études, et modifier ceux qui, de manière explicite ou implicite, établissent une discrimination contre des groupes sociaux au motif de la race, de l'ethnie, de la nationalité ou de la caste. Il convient de mettre au point des matériels pédagogiques nouveaux qui prônent la tolérance raciale, ethnique et nationale et favorise l'émergence d'une culture de l'intégration et de la non-discrimination. L'éducation civique fera partie de ce programme éducatif, où l'on enseignera les lois antiracistes et les recours juridiques possibles pour les victimes du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l'intolérance qui y est associée.

Il faut soutenir les programmes qui prônent la tolérance et le multiculturalisme dans les écoles et par le biais de campagnes auprès de l'opinion publique.

Dans les pays où la discrimination fondée sur la caste est très répandue, les gouvernements doivent prendre toutes les mesures constitutionnelles, législatives et administratives qui s'imposent, y compris des mesures de discrimination positive, afin d'interdire toute discrimination fondée sur l'occupation et l'origine liées à la caste ; il leur faudra aussi adopter des normes juridiques efficaces aux niveaux national et local.

4. Mise en place de solutions, recours, réparations, mesures compensatoires et autres aux niveaux national, régional et international

Le droit international et le droit national doivent lever l'impunité dont jouissent les anciens criminels responsables de crimes à grande échelle, comme l'esclavage et le travail obligatoire. Ces crimes, commis contre des populations entières, sont inspirés par le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée. Les victimes ont droit à la vérité, à la reconnaissance publique du tort subi et à un dédommagement. Les criminels encore en vie doivent être inculpés et jugés, de préférence par des tribunaux nationaux, ou par des cours ou tribunaux internationaux compétents. Lever l'impunité, faire rendre compte publiquement des crimes commis et dédommager les victimes sont des actes indispensables si l'on veut mobiliser l'opinion et favoriser le processus de guérison et de réconciliation sociales qui permettront d'enrayer la spirale de la vengeance et de la violence qui se perpétue de génération en génération.

Les gouvernements des pays où la discrimination fondée sur la caste persiste doivent légiférer, veiller au respect de la loi et prévoir des moyens de recours accessibles aux victimes ; ils veilleront à ce que les personnes ou les institutions responsables de discriminations fondées sur l'occupation ou l'origine liées à la caste ne restent pas à l'abri des poursuites pénales ; ils s'assureront que les victimes sont équitablement dédommagées. Il faut mettre fin aux pratiques dégradantes comme le tri manuel des ordures et proposer à ceux qui en étaient chargés une réinsertion et une formation débouchant sur des emplois respectueux de la dignité humaine.

5. Stratégies destinées à instaurer une égalité pleine et effective, notamment la coopération internationale et le renforcement des mécanismes des Nations Unies et d'autres mécanismes internationaux de lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée, et suivi de ces stratégies

La constance et la volonté politique avec lesquelles l'Organisation des Nations Unies a soutenu ceux qui, en Afrique du Sud, se sont battus des décennies durant pour abolir le système de l'apartheid illustrent bien la capacité de la communauté internationale à s'attaquer aux causes profondes du racisme et de la discrimination raciale. Le Programme d'action de la Conférence mondiale doit refléter cette approche internationale multisectorielle en proposant des mesures allant de la coopération économique dans les secteurs tant public que privé, des campagnes d'éducation et de sensibilisation, de la coopération dans le domaine militaire et celui de la sécurité, à d'autres mesures visant à sanctionner ou à isoler les gouvernements des pays où l'on constate la persistance de violations graves des droits de l'homme inspirées par le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée.

L'appel que la Conférence mondiale de Vienne sur les droits de l'homme a lancé en faveur d'une meilleure coordination entre les organes des Nations Unies dans le domaine des droits de l'homme doit être réitéré et renforcé en ce qui concerne le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée.

A l'échelon national, il convient d'instaurer des mécanismes qui permettront d'évaluer la mise en oeuvre de la Déclaration et du Programme d'action sur un mode participatif, dans le cadre, par exemple, d'organismes nationaux de promotion et de protection des droits de l'homme. Comme le prévoient les Principes de Paris de 1991, les organismes nationaux doivent être constitués de telle sorte que la société civile y sera représentée dans sa diversité : on y nommera notamment des représentants d'organisations de lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée, et contre la discrimination fondée sur l'origine.

Les instruments nationaux de réparation, y compris l'appareil judiciaire à tous les niveaux, doivent également compter des personnes appartenant à des groupes victimes de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l'intolérance qui y est associée, et de la discrimination fondée sur l'origine.

A l'échelon international, il convient d'instaurer un mécanisme thématique au sein du dispositif des Nations Unies relatif aux droits de l'homme pour examiner, suivre et rendre compte publiquement des pratiques discriminatoires en matière d'emploi et d'origine liées à la caste.

A l'échelon international, il convient d'instaurer un mécanisme thématique au sein du dispositif des Nations Unies relatif aux droits de l'homme pour examiner, suivre et rendre compte publiquement des pratiques discriminatoires en matière d'emploi et d'origine liées à la caste.

On mettra en place, au sein du Haut Commissariat des Nations Unies pour les droits de l'homme, un mécanisme permanent permettant de suivre et d'évaluer les programmes de lutte contre le racisme et de coordonner l'échange d'informations en la matière. Ce mécanisme doit suivre et rendre compte de la mise en oeuvre des décisions finales de la Conférence mondiale.

On prévoira dans le Programme d'action un examen de sa mise en oeuvre sous les auspices des Nations Unies. On définira le moment où cet examen aura lieu. Outre les recommandations d'action figurant aux chapitres précédents, il faut envisager d'inclure les éléments suivants dans le Projet de Programme d'action : ul>

  • Instaurer des mécanismes efficaces pour éliminer la pauvreté, parvenir à une juste distribution des richesses au sein des Etats, et réunir les conditions permettant d'améliorer la vie des femmes.
  • Instaurer des mécanismes efficaces au sein des Etats pour réduire les inégalités face à l'éducation et à l'emploi.
  • Mettre en place des mesures efficaces pour prévenir et empêcher le tourisme du sexe et le trafic des femmes en général, et notamment des victimes du racisme, de la discrimination de caste, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l'intolérance qui y est associée.
  • Veiller à ce que le système de santé dispense les mêmes traitements aux femmes appartenant à des groupes raciaux/ethniques et aux femmes intouchables, et à ce que leurs droits en matière de reproduction soient respectés.
  • Affirmer l'égalité des droits économiques, politiques, sociaux, culturels et spirituels des peuples autochtones dans la constitution de l'héritage historique, culturel et spirituel mondial.
  • Favoriser l'établissement de relations entre les peuples autochtones et l'ensemble de la communauté et aider à unifier et renforcer les peuples autochtones et leurs institutions de manière à ce qu'ils puissent participer pleinement et activement à l'élimination du racisme. Diffuser le plus largement possible les informations concernant les droits et les valeurs des peuples autochtones auprès de l'opinion publique nationale et internationale.
  • Insister sur la nécessité d'instaurer une discrimination positive afin de réparer les injustices infligées aux victimes du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l'intolérance qui y est associée.
  • Entreprendre des études sur les dépôts de déchets toxiques et dangereux, la menace liée à la présence de poisons et de polluants et leurs conséquences sur la santé et la vie des communautés d'origine africaine, des peuples autochtones et des minorités ethniques ; proposer des mesures de contrôle des ces infractions et en punir le auteurs ; proposer aux victimes du racisme lié à l'environnement des voies de recours et des moyens d'obtenir réparation aux niveaux national et international.