Disponible en:

2 Corinthiens 5/14-21 – Ambassadeurs de réconciliation
14
L’amour du Christ nous étreint, à cette pensée qu’un seul est mort pour tous et donc que tous sont morts. 15Et il est mort pour tous afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux. 16Aussi, désormais, ne connaissons-nous plus personne à la manière humaine. Si nous avons connu le Christ à la manière humaine, maintenant nous ne le connaissons plus ainsi. 17Aussi, si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature. Le monde ancien est passé, voici qu’une réalité nouvelle est là. 18Tout vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui par le Christ et nous a confié le ministère de la réconciliation19Car de toute façon, c’était Dieu qui en Christ réconciliait le monde avec lui-même, ne mettant pas leurs fautes au compte des hommes, et mettant en nous la parole de réconciliation. 20C’est au nom du Christ que nous sommes en ambassade, et par nous, c’est Dieu lui-même qui, en fait, vous adresse un appel. Au nom du Christ, nous vous en supplions, laissez-vous réconcilier avec Dieu21Celui qui n’avait pas connu le péché, il l’a, pour nous, identifié au péché, afin que, par lui, nous devenions justice de Dieu.
(Traduction TOB)

Chers frères et sœurs, qui êtes ici et qui nous rejoignez par les ondes,

Si vous nous entendez à distance, imaginez un lieu idyllique, un parc de verdure, d’où nous surplombons le lac Léman– c’est là que nous nous tenons, et ici il semble facile d’être confiant en la vie, facile d’être croyant. Pendant ce temps Alep est devenu un désert, les survivants se terrent sous les bombes. Et en Hongrie on s’enferme derrière les barbelés – contre des êtres humains ! Combien d’autres images de souffrance nous étreignent. L’écharde dans notre humanité est profonde.

Nous sommes aujourd’hui à Bossey, pour fêter les 70 ans de l’Institut œcuménique de Bossey, 70 ans de fraternité et d’esprit de réconciliation. Il y a 70 ans qu’en terre suisse, tout près de Genève, fut plantée la graine de la réconciliation entre des peuples ennemis ! En 1946, dans le traumatisme et les violences de la seconde guerre mondiale – il y a eu une surprise divine, comme une fleur improbable au milieu des tragédies humaines : contre la séparation entre vainqueurs et perdants et contre l’esprit de vengeance, les Eglises ont dit « Plus jamais la guerre. Nous sommes ensemble » ! Au lieu de murs et de clôtures, ce sont de grands organismes comme le Conseil œcuménique des Eglises et l’Institut œcuménique de Bossey, et d’autres, qui ont été élevés pour la réconciliation entre des peuples ennemis ! Genève est même devenu le lieu de nombreux organismes et conférences engagés pour la paix.

Non qu’ils étaient héroïques ! Mais une force plus impérieuse que toutes les divisions les pressait, comme l’écrit l’apôtre Paul: « L’amour du Christ nous étreint » ! Sur le terreau de la tragédie, la fragile plante a poussé, et elle a donné lieu à de nombreuses expérimentations, appelées « oecuménisme » et souvent regardées avec suspicion. La réconciliation, cela peut être dérangeant, car il n’y a plus d’amis ni d’ennemis, plus de bons et de mauvais, mais des échanges et de nouvelles pousses ! Bossey, comme le COE et d’autres, est devenu en 70 ans un laboratoire international de réconciliation, de formation et d’apprentissage de vie, entre des Eglises qui ne sont pas unies et qui pourtant s’appliquent à faire triompher le dialogue.

J’aimerais pouvoir dire aujourd’hui que de telles plantations réconciliation, depuis 1946 ont été si fructueuses que les violences ne sont plus que des cauchemars de la nuit du passé. Mais, 70 ans après, le monde est à nouveau à feu et à sang et nous assistons, impuissants, à un terrorisme fratricide, à une déshumanisation profonde.

Un fléau nous met à genoux : la PEUR. Une peur plus vive que jamais. Car dans les guerres d’autrefois le mauvais était l’ennemi connu. Aujourd’hui le mal n’est plus localisable, l’ennemi semble être partout.

Que peuvent dire les croyants quand hurle la peur ? Nous avons un ministère de réconciliation. Il ne suffit plus d’être de petits jardiniers du dimanche qui ne bêchent que leur petit pré carré. En Hongrie, j’ai entendu aux nouvelles hier soir que tous sont heureux du mur. Un vieux monsieur disait : « nous voulons garder notre religion ». Mais précisément notre religion ne se garde pas ! Elle prend mauvais goût d’être enfermée, elle se fane derrière les clôtures et les murs. Elle ne vit que d’être partagée, offerte à d’autres. Il n’est pas bon de la conserver en pot…

Les chrétiens ont une tâche urgente et qui demande une grande force: semer une parole de réconciliation qui résiste au diktat de la peur. C’est là le sens de la vie croyante, non une option ! Ceux qui ont bénéficié de la réconciliation en JC sont pressés de la semer.

Nous voyons aujourd’hui combien l’orientation œcuménique est impérative. Ce n’est plus l’heure de gémir sur la perte de nos identités ou sur les subtilités de nos traditions respectives. Vivons-les pleinement ! Et offrons leurs meilleurs fruits en partage.

Les étudiants de Bossey l’expérimentent : il est difficile d’apprendre à accepter les différences et à vivre ensemble. Le mouvement œcuménique, qui a presque un siècle n’a pas encore atteint son but! Mais plus que jamais, les dialogues, mais aussi les expériences de formation et de vie commune, comme à Bossey sont des laboratoires où est cultivé l’avenir entre les peuples. Les plantations de réconciliation sont pleines d’épines, elles nous blessent dans nos habitudes et notre confort. Mais les chrétiens ne sont pas des jardiniers du dimanche !

En fait, c’est Dieu qui nous plante une écharde dans le cœur. Car il vient à sa manière…d’abord chez chacun de nous. Et ceci, pour nous SUPPLIER. Notre texte de l’apôtre ne dit pas « allez évangéliser », « allez convertir les autres », « allez apporter la réconciliation aux gens » ! Il dit : « Au nom du Christ, nous vous en supplions, LAISSEZ-VOUS RECONCILIER AVEC DIEU ».

Le plus pénible, c’est que cette réconciliation commence d’abord EN NOUS-MEMES, dans notre cœur ! Dieu vise d’abord notre changement intérieur : il nous travaille, contre la colère, contre l’esprit de vengeance, contre l’égocentrisme, contre l’angoisse. Il  nous retourne d’abord pour nettoyer la terre de « l’Adam », pour notre propre transformation intérieure ! Il nous chamboule en terreau d’une « nouvelle création ». Au milieu du monde qui hurle, il ne nous laisse pas « conserver » notre religion, mais il la fait se tourner vers les autres, malgré notre peur.

Nous ne sommes pas des petits jardiniers du dimanche, mais c’est nous qui sommes creusés et retournés, dans ce ministère de la réconciliation que Dieu entreprend ! L’apôtre Paul montre que JC a échangé sa place avec nous : il a assumé le péché de violence et de mort de l’humanité, pour que nous devenions « justice de Dieu » !

Nous aimerions mieux savourer la vie au bord du lac et cultiver une religion tranquille, oublier les ruines d’Alep, oublier les cris de souffrance. Mais dans notre manque de courage, nous pouvons nous appuyer sur une autre force que la nôtre.

Car la nouvelle création n’est pas notre fruit. Elle prend racine au tombeau ouvert du matin de Pâques. C’est la racine chrétienne, si puissante et si résistante que personne ne pourra arrêter cette nouvelle création que Dieu a déjà plantée…en 70 ans pour Bossey et beaucoup d’organismes œcuméniques, la racine a formé déjà une belle plante. Mais le jardin de Pâques doit s’étendre, comme l’herbe subversive, forte comme la mauvaise herbe qui peut croître dans tous les interstices.

Les meilleurs interstices sont notre quotidien, à chacun. Notre laboratoire de réconciliation, c’est chaque jour. Car ce n’est pas nous qui réconcilions, mais nous qui acceptons de nous laisser réconcilier avec les autres, dans le Seigneur, et qui ainsi faisons le terreau de la nouvelle création.

Et le grand Jardinier nous encourage : « c’est aujourd’hui le jour du salut ». La nouvelle création, cela commence aujourd’hui, partout !

 

Elisabeth Parmentier