Document préparatoire n° 13: Pluralité religieuse et identité chrétienne

Introduction

Le présent document est l'aboutissement d'un processus d'étude lancé en réponse à de claires suggestions que, au cours de sa réunion de 2002, le Comité central a faites à trois équipes du COE : Foi et constitution, Relations et dialogue interreligieux et Mission et évangélisation, ainsi qu'à leurs commissions ou organes consultatifs respectifs. La question de l'approche théologique de la pluralité religieuse a figuré à plusieurs reprises à l'ordre du jour du COE, ce qui a permis d'aboutir à une sorte de consensus en 1989 et 1990.1 Ces dernières années, il a été jugé nécessaire d'aborder une fois encore cette question difficile, qui suscite de nombreuses controverses.

Une vingtaine de spécialistes appartenant à des confessions et contextes différents - notamment dans les domaines des études religieuses, de la missiologie et de la théologie systématique - et entretenant des relations de travail avec les trois réseaux du COE mentionnés ci-dessus ont procédé à un premier échange de vues à Bossey (Suisse) en octobre 2003. Sur la base de leurs discussions, un petit groupe de rédaction a rédigé un premier document en mars 2004. Les travaux de rédaction se sont poursuivis de façon intensive pour préparer le colloque final, qui a eu lieu en octobre 2004, à Bossey encore, et au cours duquel ce document théologique a été révisé pour qu'il puisse être largement diffusé et servir de base à des discussions sur ce thème.

Ce document est le fruit d'une bonne coopération entre des spécialistes qui participent aux travaux des équipes Foi et constitution, Relations et dialogue interreligieux et Mission et évangélisation. C'est là un exemple de collaboration tout à fait exceptionnel dans l'histoire récente du mouvement oecuménique.

Il convient néanmoins de souligner que, à ce jour, ce document n'a été soumis à aucun organe directeur ou consultatif du COE et qu'il ne représente pas une position de la Commission de foi et constitution, de la Commission de mission et d'évangélisation ni du Groupe de référence sur les relations et le dialogue interreligieux. Il est présenté ici pour alimenter la discussion et les débats et il ne prétend pas présenter une position définitive ou une déclaration oecuménique officielle sur la question de l'identité chrétienne dans un monde plurireligieux.

Les trois membres du personnel de programme du COE qui ont accompagné ce processus : Jacques Matthey, Mission et évangélisation, Hans Ucko, Relations et dialogue interreligieux, et Kersten Storch, Foi et constitution.

Pluralité religieuse et identité chrétienne

Version finale

Préambule

« Au Seigneur, la terre et ses richesses, le monde et ses habitants ! » (Ps 24,1)

« Car, du Levant au Couchant, grand est mon nom parmi les nations. En tous lieux un sacrifice d'encens est présenté à mon nom, ainsi qu'une offrande pure, car grand est mon nom parmi les nations, dit le Seigneur, le tout-puissant. » (Ml 1,11)

« Alors Pierre ouvrit la bouche et dit : "Je me rends compte en vérité que Dieu est impartial, et qu'en toute nation, quiconque le craint et pratique la justice trouve accueil auprès de lui". » (Ac 10,34-35)

1. Que signifient pour nous, aujourd'hui, les expériences du psalmiste, du prophète et de Pierre ? Qu'est-ce que cela signifie que d'affirmer dans la joie notre foi en Jésus Christ tout en cherchant à discerner la présence et l'action de Dieu en ce monde ? Comment comprendre ces affirmations dans un monde religieusement pluriel ?

I. Le défi de la pluralité

2. De nos jours, dans presque toutes les parties du monde, les chrétiens vivent dans des sociétés religieusement plurielles. Une pluralité omniprésente et ses répercussions sur la vie quotidienne les obligent à trouver des manières nouvelles et appropriées de comprendre les personnes qui appartiennent à d'autres traditions religieuses et d'entretenir des relations avec elles. Dans bien des cas, la montée en puissance de l'extrémisme et du militantisme religieux a accru l'importance des relations entre religions. Dans de multiples conflits internationaux et interethniques, l'identité religieuse, le loyalisme à l'égard d'une religion particulière et les sentiments religieux ont pris une telle importance que certains vont jusqu'à affirmer que la « politique de l'idéologie », qui a joué un rôle déterminant au 20e siècle, a été remplacée de nos jours par la « politique de l'identité ».

3. De nouvelles rencontres et relations sont en train de transformer la vie de toutes les communautés d'inspiration religieuse. La mondialisation de la vie politique, économique et même religieuse a pour effet de soumettre à des pressions nouvelles des communautés qui, par le passé, étaient géographiquement ou socialement isolées. On prend de plus en plus conscience de l'interdépendance de la vie des êtres humains et de la nécessité de collaborer par-delà les barrières religieuses pour s'attaquer aux problèmes urgents auxquels le monde est confronté. En conséquence, toutes les religions sont appelées à contribuer à l'instauration d'une communauté mondiale qui vivrait dans la paix et le respect mutuels. Ce qui est en jeu, c'est la crédibilité des traditions religieuses en tant que forces capables d'apporter justice, paix et guérison à un monde brisé.

4. Néanmoins, la plupart des religions du monde ont, à certaines périodes de leur histoire, cédé à la tentation du pouvoir et des privilèges politiques et ont été complices d'une violence indigne de la société humaine. Il est vrai par exemple que le christianisme a été le vecteur du message de l'amour et de l'accueil inconditionnels offerts par Dieu à tous les hommes ; mais, malheureusement, son histoire est marquée par des persécutions et des croisades, par son insensibilité aux cultures autochtones et par sa complicité avec des desseins impérialistes et coloniaux. En fait, on retrouve ce genre d'ambiguïté et de complicité avec le pouvoir et les privilèges dans toutes les traditions religieuses, et cela doit nous empêcher de les idéaliser. En outre, on trouve dans la plupart des traditions religieuses une considérable diversité interne qui a alimenté de pénibles divisions et conflits.

5. De nos jours, il convient de considérer ces conflits internes à la lumière de la nécessité de promouvoir la compréhension mutuelle et la paix entre les religions. Dans un contexte marqué par une intensification de la polarisation entre communautés, par un climat général de peur et par une culture de violence qui a envahi notre monde, la mission prioritaire à laquelle les traditions religieuses sont appelées à notre époque consiste à apporter guérison et intégralité à la communauté humaine fracturée.

La foi chrétienne dans un contexte en pleine évolution

6. L'état des religions dans le monde est lui-même en pleine évolution. Dans certaines parties du monde occidental, les expressions institutionnelles du christianisme sont sur le déclin. Du fait que les gens font de plus en plus une distinction entre la foi personnelle et l'appartenance à une institution, de nouvelles formes d'engagement religieux apparaissent. La quête d'une spiritualité authentique dans le contexte d'un mode de vie séculier pose aux Eglises des problèmes nouveaux. En outre, de plus en plus nombreuses à vivre dans cette partie du monde, des personnes appartenant à d'autres traditions religieuses - par exemple des hindous, des musulmans, des bouddhistes, des sikhs, etc. - ressentent souvent la nécessité d'être en dialogue avec la communauté majoritaire. Cela impose aux chrétiens d'être capables d'exprimer leur foi sous des formes qui aient un sens tant pour eux que pour leurs voisins ; dialoguer présuppose qu'on soit fidèle à sa foi et qu'on soit capable de l'exprimer en paroles et en actes.

7. Parallèlement, le christianisme - en particulier sous ses manifestations évangéliques et pentecôtistes - se développe rapidement dans d'autres régions du monde. Dans certains cas, le christianisme est profondément transformé du fait que des chrétiens adoptent des formes de vie ecclésiale nouvelles et vibrantes et nouent des relations nouvelles avec les cultures autochtones. Si le christianisme semble être sur le déclin dans certaines parties du monde, il est devenu, dans d'autres, une force dynamique.

8. Ces changements nous imposent d'être plus attentifs qu'autrefois à nos relations avec d'autres communautés d'inspiration religieuse. Ils nous appellent à reconnaître « les autres » dans leurs différences, à accueillir les étrangers, même si parfois leur « altérité » nous menace, et à rechercher la réconciliation même avec ceux qui se déclarent nos ennemis. En d'autres termes, il s'agit pour nous de créer un environnement spirituel et d'élaborer une approche théologique qui contribuent à l'instauration de relations novatrices et positives entre les traditions religieuses du monde.

9. Néanmoins, le dialogue interreligieux a toujours buté sur des différences culturelles et doctrinales entre traditions religieuses. Cet état de fait est actuellement aggravé par les tensions et animosités suscitées, à l'échelle du monde entier, par les conflits, les suspicions mutuelles et les craintes les uns à l'égard des autres. En outre, l'impression demeure que les chrétiens ont adopté le dialogue comme un nouvel outil de mission, et les notions de « conversion » et de « liberté religieuse » font toujours l'objet de controverses. C'est pourquoi il est devenu urgent de tendre au dialogue, à la réconciliation et à l'édification de la paix, malgré tout ce qui nous sépare dans le domaine religieux ; pourtant, des actions ou programmes isolés ne seront pas suffisants pour atteindre cet objectif. Il s'agit d'un processus long et difficile, qui doit être sous-tendu par la foi, le courage et l'espérance.

La dimension pastorale et la dimension de la foi

10. Du point de vue pastoral, il apparaît nécessaire de préparer les chrétiens à vivre dans un monde marqué par la pluralité religieuse. Beaucoup de chrétiens s'efforcent de trouver des manières de s'ouvrir aux autres tout en restant fidèles à leur foi propre. Certains ont recours à des disciplines spirituelles empruntées à d'autres traditions religieuses pour approfondir leur foi chrétienne et leur vie de prière. D'autres trouvent dans d'autres traditions religieuses un second foyer spirituel et évoquent la possibilité d'une « double appartenance ». De nombreux chrétiens ressentent le besoin d'être conseillés à propos des mariages interreligieux, de l'appel à prier avec les autres et de la nécessité de combattre l'activisme et l'extrémisme. D'autres encore aimeraient disposer de points de repère lorsqu'ils collaborent avec des personnes appartenant à d'autres traditions religieuses sur les questions de la justice et de la paix. Désormais, la pluralité religieuse et ses implications ont des répercussions sur notre vie quotidienne.

11. En tant que chrétiens, nous cherchons à établir des relations nouvelles avec d'autres traditions religieuses parce que nous pensons qu'il s'agit là d'un élément intrinsèque du message évangélique, inhérent à notre mission de coopérateurs de Dieu pour la guérison du monde. C'est pourquoi le mystère de la relation entre Dieu et tout le peuple de Dieu ainsi que les multiples attitudes différentes adoptées face à ce mystère nous invitent à explorer plus en profondeur la réalité d'autres traditions religieuses ainsi que notre propre identité de chrétiens vivant dans un monde religieusement pluriel.

II. Les traditions religieuses : des cheminements spirituels

Le cheminement chrétien

12. Il est courant de dire que les traditions religieuses sont des « cheminements spirituels ». Le cheminement spirituel du christianisme a enrichi et déterminé l'évolution qui en a fait une tradition religieuse. Il est né dans une culture essentiellement judéo-hellénique. Les chrétiens ont connu ce que signifiait le fait d'être des « étrangers », d'être des minorités persécutées qui devaient lutter pour définir leur identité propre face aux forces culturelles et religieuses dominantes. Et, en devenant une religion mondiale, le christianisme s'est diversifié intérieurement, il a été transformé par les multiples cultures avec lesquelles il est entré en contact.

13. Dans l'Orient chrétien, les Eglises orthodoxes ont poursuivi, tout au long de leur histoire, un processus complexe d'engagement et de discernement culturels, conservant et transmettant la foi orthodoxe de siècle en siècle en intégrant certains aspects culturels particuliers. Mais les Eglises orthodoxes ont dû elles aussi lutter contre la tentation du syncrétisme. Dans l'Occident chrétien, devenu la tradition religieuse d'un puissant empire, le christianisme majoritaire a parfois été lui-même persécuteur. Il est également devenu la culture « hôte », façonnant positivement, à de nombreux égards, la civilisation européenne. Parallèlement, son histoire a été marquée par des relations parfois tumultueuses avec le judaïsme, l'islam et les traditions autochtones.

14. La Réforme a bouleversé le visage du christianisme occidental en introduisant le protestantisme et, par là, la prolifération des confessions et dénominations ; puis l'âge des Lumières a provoqué une révolution culturelle, ouvrant la voie au modernisme, à la sécularisation, à l'individualisme et à la séparation de l'Eglise et de l'Etat. L'expansion missionnaire en Asie, en Afrique, en Amérique latine et dans d'autres parties du monde s'est accompagnée de questions à propos de l'indigénisation et de l'inculturation de l'Evangile. Sa rencontre avec le riche héritage spirituel des religions d'Asie et les religions africaines traditionnelles a donné naissance à des traditions théologiques fondées sur les héritages culturels et religieux respectifs de ces régions. La montée en puissance des Eglises charismatiques et pentecôtistes dans toutes les parties du monde n'a fait qu'ajouter une nouvelle dimension encore au christianisme.

15. En bref, par son « cheminement spirituel », le christianisme est devenu une tradition religieuse mondiale très complexe. Il s'efforce de coexister avec différentes cultures, religions et traditions philosophiques, essayant de répondre aux attentes et problèmes du présent et de l'avenir, et, de ce fait, il continuera à se transformer. C'est dans ce contexte - celui d'un christianisme qui a changé et qui change encore - qu'il nous faut chercher une réponse théologique à la pluralité.

Religions, identités et cultures

16. D'autres traditions religieuses ont été confrontées, au cours de leur évolution, à des problèmes semblables. Il n'y a pas qu'une seule expression du judaïsme, de l'hindouisme, de l'islam, du bouddhisme, etc. A mesure que leur cheminement les a amenées à sortir de leur pays d'origine, ces traditions ont, elles aussi, été transformées par les rencontres avec les cultures dans lesquelles elles arrivaient, les transformant et étant transformées par elles. La plupart des grandes traditions religieuses que nous connaissons aujourd'hui ont été en situation d'« hôtes » culturels pour d'autres traditions religieuses, les « accueillant » ; mais il leur est aussi arrivé d'être « accueillies » par des cultures s'inspirant de traditions religieuses différentes. Cela signifie que l'identité d'une communauté d'inspiration religieuse et des individus qui la composent n'est jamais statique : elle est toujours fluide et dynamique. Aucune religion ne sort intacte d'interactions avec d'autres religions. De plus en plus, il apparaît difficile de parler de « religions » en tant que telles, de parler de « judaïsme », de « christianisme », d'« islam », d'« hindouisme », de « bouddhisme », etc., comme s'il s'agissait d'ensembles statiques et monolithiques.

17. Ces réalités posent plusieurs questions dans les domaines spirituel et théologique. Quelle est la relation entre la « religion » et la « culture » ? Quelle est la nature de la relation qu'elles exercent l'une sur l'autre ? Quel sens théologique pouvons-nous donner au pluralisme religieux ? Quelles sont les ressources qui, dans notre propre tradition, peuvent nous aider à traiter de ces questions ? Pour nous aider dans cette exploration, nous pouvons puiser dans le riche héritage des efforts déployés par le mouvement oecuménique moderne pour essayer d'y répondre.

III. Poursuivre une exploration déjà engagée

Le cheminement oecuménique

18. Dès les origines de l'Eglise, les chrétiens ont eu la conviction qu'il fallait communiquer aux autres hommes le message de l'amour de Dieu manifesté dans le Christ. C'est dans le cadre du processus de communication de ce message, notamment en Asie et en Afrique, que le mouvement oecuménique moderne a été confronté à la question de la présence de Dieu parmi des gens appartenant à d'autres traditions. La révélation de Dieu est-elle présente dans d'autres religions et cultures ? La révélation chrétienne est-elle en « continuité » avec la vie religieuse d'autres gens ou y a-t-il une « discontinuité » qui ferait intervenir une dimension complètement nouvelle de la connaissance de Dieu ? Il s'agissait là de questions difficiles, et les chrétiens sont aujourd'hui encore divisés sur ces questions.

19. Le programme de dialogue du Conseil oecuménique des Eglises (COE) a bien souligné qu'il est important de respecter la réalité d'autres traditions religieuses et d'affirmer qu'elles sont différentes, qu'elles ont une identité propre. Il a également bien mis en lumière la nécessité de collaborer avec les autres pour oeuvrer à l'instauration d'un monde juste et pacifique. Nous sommes également devenus plus conscients du fait que la manière dont nous parlons de notre tradition religieuse propre et d'autres traditions religieuses peut être source de confrontations et de conflits. D'une part, les traditions religieuses affirment ce qu'elles considèrent être des vérités universelles. D'autre part, et par implication, ces affirmations peuvent être en conflit avec celles d'autres traditions religieuses. Ayant pris conscience de cela, et riches de l'expérience de relations, au niveau local, entre des personnes appartenant à des traditions religieuses différentes, les chrétiens en sont venus à considérer leurs relations avec les autres dans la perspective d'un « dialogue ». Néanmoins, beaucoup de questions demeurent, qu'il s'agit d'approfondir. Que peut signifier « être en dialogue » pour des communautés qui sont en conflit ? Comment traiter du conflit apparent entre conversion et liberté religieuse ? Comment aborder le problème des profondes divergences qui peuvent exister entre différentes communautés d'inspiration religieuse à propos des relations entre une tradition religieuse particulière et l'appartenance ethnique, certaines pratiques culturelles et l'Etat ?

20. Les discussions qui se sont déroulées dans le cadre de la Commission de mission et d'évangélisation (CME) du COE pour approfondir la nature du mandat missionnaire et ses implications dans un monde religieusement, culturellement et idéologiquement pluriel se sont inspirées du concept de missio Dei, c'est-à-dire de la mission salvifique de Dieu lui-même dans le monde, une mission qui, en fait, précède le témoignage humain proprement dit et à laquelle nous sommes appelés à participer en Christ. Plusieurs points à l'ordre du jour de la CME sont en rapport avec la présente étude sur la pluralité religieuse : quelle est relation entre la coopération avec des adeptes d'autres religions (pour la justice et la paix), la participation au dialogue interreligieux et le mandat d'évangélisation confié à l'Eglise ? Quelles sont les conséquences de la relation intrinsèque entre la culture et la religion pour une approche de la mission fondée sur l'inculturation ? Si, comme le suggère la Conférence mondiale sur la mission et l'évangélisation de 2005, on donne pour point focal à la mission l'édification de communautés de guérison et de réconciliation, quelles sont les conséquences de cette conception pour les relations entre religions ?

21. Pour la Commission plénière de Foi et constitution qui, pour la première fois de son histoire, se réunissait dans un pays à majorité musulmane (à Kuala Lumpur, Malaisie, en 2004), le « cheminement de foi » s'inspire de la vision de « s'accueillir mutuellement ». Cette Commission a posé les questions suivantes : comment les Eglises poursuivent-elles l'objectif de l'unité visible des chrétiens dans un contexte de plus en plus marqué par le pluralisme religieux ? Comment la quête de l'unité visible entre Eglises peut-elle être un signe efficace pour la réconciliation de la société dans son ensemble ? Dans quelle mesure les questions d'identité ethnique et nationale affectent-elles les identités religieuses et inversement ? La Commission a également abordé d'autres questions, plus larges, qui se posent dans des contextes plurireligieux : Quels sont les problèmes auxquels sont confrontés les chrétiens en quête d'une théologie qui soit « accueillante » aux autres ? Quelles sont les limites de la diversité ? Existe-t-il, en dehors de l'Eglise, des signes valides de salut ? Comment des perspectives relevant d'autres traditions nous aident-elles à comprendre ce que cela signifie que d'être humain ?

22. Il est à remarquer que les trois grands courants programmatiques du COE finissent par confluer sur des questions qu'il convient à juste titre de se poser dans la perspective d'une théologie des religions. En fait, plusieurs conférences récentes ont essayé d'aborder et de formuler des positions qui permettent à la discussion d'avancer.

L'évolution récente

23. S'efforçant de trouver un consensus entre chrétiens à propos de la présence salvatrice de Dieu dans la vie religieuse de nos voisins, la Conférence mondiale sur la mission qui s'est tenue à San Antonio en 1989 a défini en quelques mots la position que le COE était en mesure d'adopter : « Nous ne pouvons concevoir une autre voie de salut que Jésus Christ ; en même temps, nous ne pouvons fixer de limites à la puissance salvatrice de Dieu. » Reconnaissant la tension entre une telle déclaration et l'affirmation de la présence et de l'action de Dieu dans la vie des personnes appartenant à d'autres traditions religieuses, le rapport de San Antonio disait : « Nous prenons acte de cette tension, nous n'essayons pas de la résoudre ».

La question qui s'est posée après la conférence était celle-ci : le mouvement oecuménique devait-il s'en tenir à cette modeste déclaration, expression d'humilité théologique, ou devait-il s'attaquer à cette tension et, pour cela, trouver des formulations novatrices et nouvelles dans une théologie des religions ?

24. Pour essayer d'aller plus loin que la conférence de San Antonio, le COE a organisé un colloque à Baar (Suisse) en 1990, qui a rédigé une importante déclaration ; celle-ci énonçait les implications de la conviction chrétienne selon laquelle Dieu est à l'oeuvre, en tant que créateur et vivificateur, dans la vie religieuse de tous les peuples. « Nous avons la conviction que Dieu, en tant que créateur de toute choses, est présent et actif dans la pluralité des religions et, de ce fait, nous ne pouvons pas imaginer que l'action salvatrice de Dieu puisse se limiter à un seul continent, à un seul type culturel ou à un seul groupe de personnes. Refuser de prendre au sérieux les multiples et divers témoignages religieux qu'on trouve parmi les nations et les peuples du monde entier, c'est nier le témoignage de la Bible, qui affirme que Dieu est le créateur de toutes choses et le Père de toute l'humanité. »

25. Dans ce sens, l'évolution des discussions dans ces trois grands courants programmatiques du COE : Foi et constitution, Mission et évangélisation et Dialogue, nous encourage à poser une fois encore, aujourd'hui, la question de la théologie des religions. Une telle entreprise est devenue une nécessité théologique et pastorale urgente. Le thème de la Neuvième Assemblée : « Transforme le monde, Dieu, dans ta grâce » est aussi un appel à entreprendre cette étude.

IV. Vers une théologie des religions

26. Comment se présenterait, de nos jours, une théologie des religions ? De nombreuses théologies des religions ont déjà été proposées. Mais cette tâche apparaît particulièrement ardue du fait qu'on trouve, dans les Ecritures, de multiples courants de pensée. Tout en reconnaissant la diversité du témoignage des Ecritures, nous avons décidé de choisir, pour clé herméneutique et point d'entrée de notre discussion, le thème de l'« hospitalité »

Célébrer l'hospitalité d'un Dieu gracieux

27. Notre conception théologique du pluralisme religieux se fonde, au départ, sur notre foi au Dieu unique qui a créé toutes choses, le Dieu vivant qui, depuis l'origine, est présent et à l'oeuvre dans toute la création. La Bible témoigne d'un Dieu qui est Dieu de toutes les nations et de tous les peuples, dont l'amour et la compassion incluent toute l'humanité. Pour nous, l'alliance avec Noé est une alliance avec toute la création, et elle n'a jamais été rompue. Pour nous, la sagesse et la justice de Dieu s'étendent jusqu'aux extrémités de la terre, Dieu guidant les nations au travers de leurs traditions respectives en matière de sagesse et d'intelligence. La gloire de Dieu pénètre toute la création. La Bible hébraïque témoigne de la présence salvifique universelle de Dieu, tout au long de l'histoire, par le Verbe - ou la Sagesse - et par l'Esprit.

28. Dans le Nouveau Testament, saint Paul nous présente l'incarnation du Verbe de Dieu en faisant référence à l'hospitalité, à une vie tournée vers « l'autre ». Sous une forme doxologique, Paul proclame : « Lui qui est de condition divine n'a pas considéré comme une proie à saisir d'être l'égal de Dieu. Mais il s'est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes, et, reconnu à son aspect comme un homme, il s'est abaissé, devenant obéissant jusqu'à la mort, à la mort sur une croix » (Ph 2,6-8).

Cette kénose du Christ, qui a accepté d'assumer notre condition humaine, est au coeur de la confession de notre foi. Le mystère de l'incarnation, c'est que Dieu s'est, au plus profond, identifié à notre condition humaine, montrant la grâce inconditionnelle de Dieu qui a accepté la condition humaine dans son aliénation et son altérité. Poursuivant son hymne, Paul célèbre le Christ ressuscité : « C'est pourquoi Dieu l'a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom » (Ph 2,9). Cela a amené les chrétiens à confesser que le Christ est celui en qui l'ensemble de la famille humaine a été unie à Dieu dans une alliance et un lien éternels.

29. Cette grâce de Dieu manifestée en Jésus Christ nous appelle à adopter une attitude d'hospitalité dans nos relations avec les autres. En guise d'introduction à son hymne, Paul précise : « Comportez-vous ainsi entre vous, comme on le fait en Jésus Christ » (Ph 2,5). Notre hospitalité implique une kénose et, lorsque nous recevons l'autre dans un amour inconditionnel, nous participons au dessein de l'amour rédempteur de Dieu. En outre, notre hospitalité ne se limite pas aux autres membres de notre communauté ; l'Evangile nous enjoint d'aimer jusqu'à nos ennemis et d'appeler des bénédictions sur eux (Mt 5,43-48 ; Rm 12,14). Ainsi donc, en tant que chrétiens, il nous faut rechercher le juste équilibre entre notre identité en Christ et notre ouverture aux autres, dans un amour kénotique qui a sa source, précisément, dans cette identité.

30. Dans son ministère public, Jésus ne s'est pas contenté de guérir des gens qui appartenaient à sa propre tradition : il a également répondu à la grande foi de la Cananéenne et du centurion romain (Mt 15,21-28 ; 8,5-11). En choisissant une « étrangère », la Samaritaine, Jésus a démontré concrètement comment il fallait exécuter le commandement d'aimer son prochain en lui manifestant compassion et hospitalité. Il est vrai que les évangiles nous présentent les rencontres de Jésus avec des « étrangers » comme collatérales, comme ne faisant pas partie de son ministère principal, aussi ces récits ne nous fournissent-ils pas suffisamment d'informations pour que nous puissions en tirer des conclusions claires sur ce que pourrait être une théologie des religions. Néanmoins, ils nous présentent Jésus comme quelqu'un qui accueillait tous ceux qui avaient besoin d'être aimés et acceptés. Plus encore, lorsqu'il nous rapporte la parabole du jugement dernier, Matthieu va jusqu'à présenter l'ouverture aux victimes de la société, l'hospitalité accordée aux étrangers et l'acceptation de l'autre comme des manières tout à fait imprévues d'être en communion avec le Christ ressuscité (Mt 25,31-46).

31. Il est à remarquer que, tout en accordant son hospitalité à ceux qui vivaient en marge de la société, Jésus fut lui-même en butte au rejet, il a souvent eu lui-même besoin d'être « accueilli ». C'est ce Jésus acceptant les gens vivant en marge de la société et étant lui-même rejeté qui a inspiré les personnes qui, de nos jours, manifestent leur solidarité avec les pauvres, les méprisés, les rejetés. En ce sens, la conception biblique de l'hospitalité va bien au delà de la manière ordinaire dont on la conçoit : aider les autres, être généreux avec eux. Pour la Bible, l'hospitalité, c'est avant tout une ouverture radicale aux autres, fondée sur l'affirmation de la dignité de tous. Nous nous inspirons à la fois de l'exemple donné par Jésus et du commandement qu'il nous fait d'aimer notre prochain.

32. L'Esprit Saint nous aide à vivre en pratique cette ouverture du Christ aux autres. La personne de l'Esprit Saint a soufflé et souffle encore sur la face de la terre pour créer, alimenter et faire vivre, pour remettre en question, renouveler et transformer. Nous confessons que l'activité de l'Esprit dépasse toute définition et description que nous en pouvons donner, toute limitation que nous pouvons lui assigner, à la manière du vent qui « souffle où il veut » (Jn 3,8). Notre espoir et notre espérance sont ancrées dans notre conviction que l'« économie » de l'Esprit s'adresse à la création tout entière. Nous discernons l'Esprit de Dieu à l'oeuvre sous des formes imprévisibles. Nous voyons la puissance vivifiante de l'Esprit à l'oeuvre dans les êtres humains, source de leur aspiration universelle à la vérité, à la paix et à la justice (Rm 8,18-27) et dans tout ce qu'ils font pour y parvenir. « Amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi » - partout où l'on trouve cela, ce sont des fruits de l'Esprit (Ga 5,22-23) ;cf. Rm 14,17).

33. Nous croyons que cette action universelle de l'Esprit Saint est également présente dans la vie et les traditions des adeptes des religions de notre temps. En tous temps et en tous lieux, des gens ont répondu à un Dieu qui est présent et qui agit parmi eux, et ils ont donné leur témoignage des rencontres qu'ils avaient faites avec le Dieu vivant. Dans ces témoignages, ils disent avoir cherché et trouvé l'intégrité, ou l'illumination, ou l'inspiration divine, ou le repos, ou la libération. Tel est le contexte dans lequel nous, chrétiens, témoignons de notre salut par Jésus Christ. Ce ministère de témoignage auprès des personnes d'autres religions que nous rencontrons doit présupposer « une affirmation de ce que Dieu a fait par le passé et fait aujourd'hui parmi eux » (Rapport de San Antonio, 1989).

34. Pour nous, la pluralité des traditions religieuses est la conséquence des multiples manières dont Dieu établit des relations avec les peuples et les nations ; mais c'est aussi une manifestation de la richesse et de la diversité des réponses données par les êtres humains aux dons gracieux de Dieu. C'est notre foi chrétienne en Dieu qui nous impose de prendre très au sérieux tout ce domaine de la pluralité religieuse, en recourant toujours au don du discernement. Avec la volonté de découvrir des conceptions nouvelles et plus grandes « de la sagesse, de l'amour et du pouvoir que Dieu a donné aux hommes (et aux femmes) d'autres religions » (Rapport de New Delhi, 1961), il nous faut affirmer notre « ouverture à la possibilité que le Dieu que nous connaissons en Jésus Christ puisse aussi nous rencontrer dans la vie de nos prochains appartenant à d'autres religions » (Rapport de San Antonio, 1989). Nous croyons aussi que l'Esprit Saint, l'Esprit de Vérité, nous amènera à comprendre d'une façon nouvelle la foi qui nous est déjà donnée en dépôt et qu'il nous fera découvrir des manières nouvelles et imprévues de considérer le mystère divin à mesure que nous connaîtrons mieux les religions de nos voisins.

35. Ainsi, c'est notre foi en le Dieu Trinitaire - ce Dieu qui est diversité dans l'unité, ce Dieu qui crée, qui est source de toute intégrité, qui nourrit et fait subsister toute vie - qui nous aide à être hospitaliers, à être ouverts à tous. Nous avons reçu de Dieu la généreuse hospitalité de son amour. Nous ne pouvons nous comporter autrement que lui.

V. L'appel à l'hospitalité

36. Quel doit donc être le comportement des chrétiens à la lumière de la générosité et de la gratuité de Dieu ? « N'oubliez pas l'hospitalité car, grâce à elle, certains, sans le savoir, ont accueilli des anges » (He 13,2). Dans le contexte actuel, l'« étranger », ce n'est pas seulement celui que nous ne connaissons pas, le pauvre et l'exploité, c'est aussi celui qui est en relation d'« altérité » avec nous du point de vue ethnique, culturel et religieux. Dans l'Ecriture, le mot « étranger » ne vise pas à chosifier l'autre : il nous appelle à reconnaître qu'il y a des gens qui nous sont véritablement « étrangers » par leur culture, leur religion, leur race ou d'autres formes de diversité inhérentes à la communauté humaine. Etre disposé à accepter les autres dans leur « altérité », telle est la caractéristique d'une véritable hospitalité. Par notre ouverture à « l'autre », nous pouvons rencontrer Dieu sous des formes nouvelles. Ainsi, l'hospitalité est à la fois la mise en pratique du commandement d'aimer notre prochain comme nous-mêmes et une occasion de redécouvrir Dieu.

37. Le concept d'hospitalité est également applicable à nos relations au sein de la famille chrétienne ; parfois, nous sommes aussi étrangers les uns aux autres que vis-à-vis de personnes qui n'appartiennent pas à notre communauté. Du fait de l'évolution du monde, avec en particulier l'accroissement de la mobilité et l'intensification des mouvements démographiques, nous sommes parfois les « hôtes » et parfois les « invités », nous accueillons des « étrangers » et nous sommes accueillis comme « étrangers ». En fait, il faudrait peut-être en arriver à considérer l'hospitalité comme une « ouverture mutuelle » qui transcende la distinction entre « accueillant » et « accueilli ».

38. L'hospitalité, ce n'est pas seulement une manière facile ou simple d'être en relation avec les autres. C'est parfois une chance, mais c'est aussi parfois un risque. Dans des situations marquées par une tension politique ou religieuse, certains actes d'hospitalité peuvent exiger bien du courage, en particulier lorsqu'ils s'adressent à des gens qui ne sont pas d'accord avec nous ou même qui nous considèrent comme des ennemis. En outre, le dialogue est très difficile lorsque les parties ne sont pas sur un pied d'égalité, lorsque les rapports de force sont déséquilibrés ou lorsque les véritables intentions restent cachées. Il arrive aussi que nous nous sentions obligés de contester les convictions profondes des personnes mêmes à qui nous avons offert l'hospitalité et qui nous offrent leur hospitalité, ou encore que celles-ci contestent nos propres convictions.

Le pouvoir de transformation mutuelle

39. Si les chrétiens ont appris à coexister avec des adeptes d'autres religions, ils ont aussi été transformés par leurs rencontres. Nous avons découvert des aspects inconnus de la présence de Dieu dans le monde, et nous avons retrouvé des éléments de nos propres traditions chrétiennes que nous avions négligés. Nous avons également pris conscience des multiples passages de la Bible qui nous appellent à une plus grande dynamique d'ouverture à l'égard des autres.

40. Une hospitalité concrète et une attitude accueillante envers les étrangers créent un espace dans lequel pourront se produire une transformation mutuelle et même une réconciliation. Cette réciprocité est illustrée par le récit de la rencontre entre Abraham, père des croyants, et Melkisédeq, roi non israélite de Salem (Gn 14). Abraham a reçu la bénédiction de Melkisédeq, qui nous est présenté comme « prêtre de Dieu, le Très-Haut ». On peut aussi penser que cette rencontre a permis à Abraham de mieux comprendre la nature de la divinité qui l'avait fait sortir, lui et sa famille, d'Ur et de Harrân.

41. On trouve aussi cette transformation mutuelle dans le récit que nous fait Luc, dans les Actes des apôtres, de la rencontre entre Pierre et Corneille. Au travers de la vision que Pierre a eue et de sa rencontre avec Corneille, l'Esprit Saint a modifié la conception qu'il se faisait de lui-même, au point qu'il en est venu à confesser : « Je me rends compte en vérité que Dieu est impartial, et qu'en toute nation, quiconque le craint et pratique la justice trouve accueil auprès de lui » (10,34-35). Dans ce cas, l'« étranger » qu'est Corneille devient un instrument de la transformation de Pierre en même temps que Pierre devient un instrument de la transformation de Corneille et de sa maisonnée. Si ce récit n'a pas directement trait aux relations entre religions, il éclaire la manière dont Dieu peut, dans la rencontre avec d'autres, nous amener à dépasser la conception que nous avons de nous-mêmes.

42. Ainsi, à partir de ces exemples mais aussi des riches expériences que nous offre la vie quotidienne, nous pouvons tirer des conclusions pour esquisser une vision de l'hospitalité mutuelle entre des personnes appartenant à des traditions religieuses différentes. Dans une perspective chrétienne, il y a là un étroit rapport avec notre ministère de réconciliation. Celui-ci présuppose que nous témoignions devant « l'autre » de Dieu en Christ et que nous soyons suffisamment ouverts pour que Dieu puisse nous parler à travers « l'autre ». Si nous la concevons dans ce sens, la mission ne peut en aucune manière être triomphaliste ; elle contribue à éliminer les causes de l'hostilité religieuse et de la violence qui souvent l'accompagne. L'hospitalité exige des chrétiens qu'ils acceptent les autres en tant qu'ils ont été créés à l'image de Dieu, sachant que Dieu peut nous parler au travers des « autres », pour nous enseigner et nous transformer, de même que Dieu peut se servir de nous pour transformer les autres.

43. Le récit biblique que nous avons évoqué et nos expériences dans le cadre du ministère oecuménique montrent que cette transformation mutuelle est au coeur du témoignage chrétien authentique. L'ouverture à « l'autre » peut changer « l'autre », tout comme elle peut nous changer. Elle peut donner à « l'autre » de nouvelles perspectives sur le christianisme et sur l'Evangile ; elle peut aussi le rendre capable de comprendre sa religion à partir de perspectives nouvelles. Cette ouverture et la transformation qui en découle peuvent elles-mêmes enrichir notre vie de manière surprenante.

VI. Le salut appartient à Dieu

44. Dans leur grande diversité, les traditions religieuses de l'humanité sont des « cheminements » ou des « pèlerinages » vers la pleine réalisation de l'être humain en quête de la vérité sur notre existence. Aussi « étrangers » que nous puissions être les uns pour les autres, il y a des moments où nos chemins se croisent, et c'est alors qu'il doit y avoir « hospitalité religieuse ». Nos expériences actuelles et celles du passé en témoignent : cette hospitalité est possible, et elle se réalise effectivement sous des formes limitées.

45. Pour qu'on puisse l'exercer, cette hospitalité doit s'appuyer sur une théologie qui soit accueillante à « l'autre <i»>. Nos réflexions sur la nature du témoignage biblique rendu à Dieu, sur ce que nous croyons que Dieu a fait en Christ et sur l'oeuvre de l'Esprit Saint le montrent bien : au coeur de la foi chrétienne, il y a une attitude d'hospitalité qui accueille complètement « l'autre » dans son altérité. C'est un tel esprit qui doit inspirer la théologie des religions dans un monde qui a besoin de guérison et de réconciliation. Et c'est aussi un tel esprit qui peut être la source de notre solidarité avec tous ceux qui, quelles que soient leurs convictions religieuses, ont été repoussés en marge de la société.

46. Il nous faut admettre que les limitations humaines et les limitations du langage font qu'une communauté, quelle qu'elle soit, est incapable d'épuiser le mystère du salut que Dieu offre à l'humanité. En dernière analyse, toutes nos réflexions théologiques sont limitées par notre propre expérience et ne peuvent espérer embrasser la totalité du dessein de Dieu : restaurer le monde.

47. C'est cette humilité qui nous permet de dire que le salut appartient à Dieu, et à Dieu seul. Nous ne possédons pas le salut : nous y participons. Nous n'offrons pas le salut : nous en témoignons. Ce n'est pas nous qui décidons qui sera sauvé : nous nous en remettons à la providence de Dieu. Car notre salut à nous, c'est une « hospitalité » éternelle que Dieu nous a accordée. C'est Dieu qui est l'« hôte » du salut. Et pourtant, dans la vision eschatologique d'un ciel nouveau et d'une terre nouvelle, nous avons aussi le symbole puissant d'un Dieu à la fois qui nous accueille et que nous accueillons : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il demeurera avec eux. Ils seront ses peuples… » (Ap 21,3).

Mars 2005

1 Pour la Conférence mondiale sur la mission et l'évangélisation de 1989, cf. F. R. Wilson (dir.) : The San Antonio Report, COE 1990, en particulier pp. 31-33. Pour le colloque de Baar (Suisse) de 1990, cf. Current Dialogue n° 19 janvier 1991, pp. 47-51.