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En 1971, une section a été créée au sein du COE pour promouvoir le dialogue avec les religions de notre temps, et en 1977, une étape importante a été franchie lorsque, au cours d'une rencontre à Chiang Mai, en Thaïlande, un groupe de chrétiens, représentant plusieurs traditions ecclésiales, ont rédigé les Lignes directrices sur le dialogue qui servent encore de base aux dialogues interreligieux parrainés par le COE et de nombreuses Eglises à travers le monde.

Pourquoi choisir comme thème "Le dialogue dans la communauté"? Comme les chrétiens vivent aux côtés des adeptes d'autres religions et idéologies, on en est venu à mettre davantage l'accent sur le dialogue dans la communauté que sur le dialogue lui-même. Au sein de la communauté humaine, la communauté chrétienne détient un héritage qui lui est propre et elle a un message particulier à faire connaître; c'est pourquoi elle doit réfléchir à la nature de la communauté que les chrétiens recherchent avec les autres hommes et au rôle du dialogue dans la vie des Eglises qui se demandent comment elles peuvent être des communautés de service et de témoignage sans édulcorer leur foi ni accepter de compromis dans leur engagement envers le Dieu unique en trois personnes. Une telle recherche doit être nourrie d'une part de la connaissance des diverses religions et idéologies et d'autre part de ce que nous apprenons par les échanges directs avec nos semblables. Elle doit également tenir compte des préoccupations, des questions et des expériences des Eglises membres du COE.

Lors de sa réunion d'Addis-Abéba en 1971, le Comité central déclarait que "l'engagement du Conseil oecuménique dans le dialogue doit être conçu comme une entreprise commune des Eglises". Le Conseil oecuménique des Eglises englobe des héritages confessionnels divers ainsi qu'une grande variété de convictions. La multiplicité des situations culturelles ainsi que la diversité des religions, cultures, idéologies, structures politiques et milieux sociaux qui imprègnent la vie en commun des chrétiens, tout cela joue un rôle important dans les discussions. Les prises de position politiques et les forces économiques influencent les relations de pouvoir qui existent entre les communautés. Aune époque où, dans le monde entier, l'humanité lutte pour sa survie et sa libération, les religions et les idéologies ont des contributions essentielles à apporter qui ne peuvent être définies que par le dialogue.

Les chrétiens ont la responsabilité d'encourager un tel dialogue dans l'esprit de réconciliation et d'espérance que Jésus-Christ nous accorde. Il est facile de discuter des religions et même des idéologies comme si elles existaient dans une zone de calme, à l'écart des divisions abruptes, des conflits et des souffrances que connaît l'humanité. Mais les religions et les idéologies contribuent à disperser les communautés et à faire souffrir ceux dont la vie communautaire est ainsi brisée. C'est pourquoi les déclarations faites ici au sujet des relations entre les communautés chrétiennes et celles qui leur sont proches doivent, être lues en se rappelant qu'elles s'insèrent dans l'ensemble du programme du COE, qui. comprend également l'engagement chrétien dans les conflits politiques et économiques et les problèmes sociaux, ainsi que dans les questions posées par la science et la technologie en ce qui concerne l'avenir de l'humanité. En outre, ces déclarations doivent aussi être considérées en rapport avec les autres préoccupations du COE et en tenant compte de leur portée sur les discussions consacrées à l'unité de l'Eglise et à l'unité (communauté) de l'humanité.

On remarquera que la déclaration et les lignes directrices touchent davantage les religions que les idéologies. C'est là une auto-limitation consciente due au fait qu'à l'heure actuelle le DRI a plus d'expérience dans le domaine du dialogue avec les adeptes des religions de notre temps qu'avec ceux des idéologies. Toutefois, cela ne signifie pas que le DRI ne s'intéresse pas aux idéologies. Celles-ci sont partie intégrante de son mandat, puisqu'il est reconnu que les religions et les idéologies agissent les unes sur les autres et s'influencent mutuellement dans la vie de la communauté. La manière dont les facteurs idéologiques affectent les structures et les attitudes religieuses a été abordée dans différents colloques. Les questions idéologiques interviennent à bien des égards dans le travail du Conseil oecuménique. Les réunions entre chrétiens et marxistes ont fait partie du programme d'Eglise et société pendant plusieurs années. Dans de nombreux pays, des chrétiens vivent et travaillent aux côtés de personnes ayant des convictions idéologiques bien déterminées. Enfin, dans les divers programmes du COE sur la science et la technologie, la recherche d'une société juste et viable, fondée sur la participation, les affaires internationales, le développement, etc., les questions soulevées par les idéologies jouent un rôle important. C'est pourquoi, lorsqu'il est fait référence aux idéologies dans la déclaration ou les lignes directrices, c'est dans l'idée que le travail qui doit se poursuivre en ce domaine ne peut être fait par le seul DRT mais doit être accompli en collaboration avec d'autres sections et sur la base de l'expérience acquise par le Conseil oecuménique dans son ensemble.

Les termes de "mission" et d"'évangélisation" ne sont guère souvent utilisés dans la présente déclaration. I1 ne s'agit pas là d'une volonté de se soustraire à la responsabilité chrétienne - réaffirmée lors de l'Assemblée de Nairobi - de confesser le Christ aujourd'hui, mais d'un désir de rechercher d'autres manières de manifester les intentions du témoignage et du service chrétiens. L'intégrité chrétienne suppose que nous répondions totalement à l'appel du Christ ressuscité qui nous demande d'être ses témoins dans le monde entier.

1. Les chrétiens commencent leur réflexion au sujet de la communauté en reconnaissant que Dieu, dont ils croient qu'il est venu en Jésus-Christ, est le créateur de toutes choses et de toute l'humanité; que dès le commencement il a voulu qu'une relation s'établisse entre lui-même: et tout ce à quoi il a donné la vie; et qu'à cette fin il a permis la formation de communautés, qu'il juge et renouvelle. Lorsque les chrétiens confessent qu'il est la sainte Trinité une, lorsqu'ils se réjouissent de sa nouvelle création manifestée dans la résurrection du Christ, ils prennent connaissance et conscience des nouvelles dimensions de l'humanité donnée par Dieu. D'autre part, la nature et le contenu mêmes de leur confession conduisent les chrétiens à accorder la plus grande attention aux réalités du monde tel qu'il a évolué sous la loi de Dieu, créateur, juge et rédempteur. C'est pourquoi ils sont amenés à essayer de décrire les communautés et la communauté humaine à la lumière des éléments de base de la confession chrétienne tout en utilisant des termes que les autres religions et les idéologies puissent comprendre et même approuver.

2. Dès leur naissance, les hommes et les femmes se trouvent tous en relation avec d'autres personnes. Ce sont tout d'abord les membres de leur famille; puis ils font très rapidement l'expérience de réseaux de relations plus larges au moment où ils vont à l'école ou commencent à travailler. Ces expériences se font elles-mêmes dans le cadre complexe des relations qui prévalent dans une société villageoise ou dans celle des centres urbains modernes qui attirent un nombre toujours plus grand d'habitants. L'appartenance à une nation, à une race, à une religion élargit encore le champ des relations humaines, tandis que chacun se réclame d'une classe ou d'une caste sociale qui influence ses conceptions idéologiques. Enfin, les journaux que les hommes lisent, les émissions de radio et de télévision qu'ils écoutent et regardent leur font prendre conscience des multiples manières dont leur existence dépend des habitants des autres parties du monde dont les modes de vie sont si extraordinairement variés. Tous ces éléments, et bien d'autres qui leur sont proches, contribuent à faire prendre conscience aux hommes qu'ils appartiennent à certaines communautés tandis qu'iils sont étrangers à d'autres. Ce sentiment d'identité et d'aliénation constitue quelque chose que nous ne saisissons jamais entièrement, mais il n'en demeure pas moins une réalité présente à tous les niveaux de notre existence.

3. Ce qui lie les gens aux autres membres des diverses communautés auxquelles ils appartiennent, ce sont les valeurs qu'ils partagent. Au niveau le plus profond, celles-ci concernent leur identité qui leur donne le sentiment d'être "chez eux" au sein des groupes auxquels ils appartiennent. L'identité peut se forger au cours d'une longue expérience historique ou naître de la confrontation à de nouveaux problèmes; elle peut s'exprimer par des traditions et des rites communautaires vieux de plusieurs siècles ou par des formes nouvelles, parfois moins cohérentes et parfois plus rigides. Les religions et les idéologies ont une influence formatrice sur les communautés; mais elles ont elles-mêmes été façonnées par d'autres éléments de la culture dont elles font partie: langue, appartenance éthnique, couches sociales, castes. Certaines communautés tendent à l'uniformisation dans ce domaine tandis que d'autres ont une longue tradition de pluralisme, et il n'est pas rare que l'on trouve dans les familles plusieurs formes de croyances.

4. Les communautés humaines sont aussi diverses que nombreuses. Elles sont soumises à un processus constant de changement qui les ferait comparer plutôt à des fleuves qu'à des monuments immuables. Mais si le changement a toujours existé, il ne fait pas de doute qu'il s'est accéléré à l'époque où noua vivons, et cela en particulier à cause des forces scientifiques, techniques et économiques et du fait des mass media. Certains de ces changements sont si rapides et si radicaux qu'ils peuvent donner aux hommes le sentiment de perdre leur communauté et d'être plongée dans l'isolement. Dans d'autres cas, les communautés passent par des réformes et des restructurations: certaines, qui avaient toujours été fermées, se trouvent obligées d'entrer en contact avec d'autres pour participer avec elles à l'édification d'une nation; des communautés qui ne connaissaient qu'une forme d'identité culturelle doivent s'ouvrir au pluralisme des cultures et des systèmes religieux; d'autres enfin voient leurs systèmes religieux traditionnels subir de profondes mutations et, revivifiés, devenir de nouvelles sources de continuité et d'identité avec le passé. Prises dans tous ces changements, certaines personnes se trouvent privées de tout lien communautaire et en viennent à renoncer à la quête de la communauté ou s'efforcent de la trouver ailleurs, n'importe où.

5. Un élément important de ce changement accéléré est dû su fait que ces derniers temps il s'est créé tout un réseau complexe de relations entre les communautés humaines. Les traditions de nos différentes communautés se mêlent les unes aux autres plus rapidement aujourd'hui que jamais, pour aboutir parfois à une nouvelle harmonie ou, parfois pour se perdre dans les tourbillons des fleuves du changement. Cette interdépendance de nos communautés humaines pose de nouvelles exigences à notre souci des autres et à nos activités pastorales. La manière dont on y répondra, aussi bien individuellement qu'en tant que communautés, déterminera le caractère de cette réalité que constitue la "communauté humaine".

6. C'est souvent dans les idéologies que l'on recherche une réponse à ces exigences. En fait, l'accélération du changement fait ressentir aux hommes de manière aiguë la nécessité d'une action sociale et politique consciente, parce qu'ils se trouvent confrontés à de multiples modèles idéologiques qui essaient, de diverses manières, de modeler ou de remodeler la société. Les communautés traditionnelles n'échappent pas à l'impact de la pensée et de l'action idéologiques, et leurs façons d'y réagir peuvent être sources de conflit aussi bien que de renouveau.

7. Cette situation est lourde de dangers, mais le fait de connaître les relations humaines dans divers contextes permet aux chrétiens de mieux prendre conscience des multiples richesses de la communauté humaine dont ils croient qu'elle est créée et soutenue par Dieu dans son amour pour son peuple tout entier. Ils s'émerveillent de cette richesse pour laquelle ils rendent grâces, reconnaissant que le fait de l'avoir vécue permet à beaucoup d'entre eux de mieux apprécier les valeurs profondes de leurs propres traditions et même, dans certains cas, de les redécouvrir. Mais en même temps, ils ont une conscience aiguë des diverses manières de faire mauvais usage de cette diversité, ce qui se passe trop souvent: il y a la tentation de considérer que leur propre communauté est la meilleure, celle d'attribuer une valeur absolue à leur propre identité religieuse et culturelle, celle d'en exclure certains, celle enfin de l'isoler des autres. C'est au travers de telles tentations que les chrétiens reconnaissent qu'ils sont capables de mépriser et de détruire les richesses dont Dieu a si généreusement doté sa création... qu'ils peuvent l'appauvrir, la diviser et la spolier.

8. Comme toutes les religions et idéologies ont facilement tendance à être des facteurs de division, elles sont toutes appelées à jeter sur elles-mêmes un regard nouveau pour mettre leurs res sources au service de la communauté tout entière. Devant l'interpellation adressée à leur foi, les chrétiens doivent se sou- venir du danger qu'il y a à dire "paix, paix:" là où la paix n'existe pas et des paroles du Christ dans le sermon sur la mon tagne: "Heureux ceux qui font oeuvre de paix: ils seront appelés fils de Dieu" (Nt. 5:9). Artisans de la paix, de la libération et de la justice, dont les voies passent souvent par des conflits nécessaires et par de coûteuses réconciliations, les chrétiens se sentent appelés à participer avec les autres à la communauté humaine, recherchant de nouvelles formes d'évolution des communautés qui permettent à leurs membres à la fois d'affirmer leur interdépendance et de respecter l'identité des uns et des autres. Lors du Colloque de Colombo, en 1974, on a discuté de la vision d'une "communauté de communautés" à l'échelle mondiale. Une telle vision pourrait être utile à la recherche de la communauté dans un monde pluraliste, car elle n'implique ni l'unité homogène ni l'uniformité totalitaire, de même qu'elle ne se limite pas à des communautés indépendantes qui ne feraient qu'exister les unes à côté des autres. Une telle vision met plutôt l'accent sur le rôle positif que les communautés existantes peuvent jouer dans le développement de la communauté de l'humanité. En outre l'idée d'une communauté de communautés est liée, pour les chrétiens, à la loi souveraine de Dieu sur toutes les commu nautés humaines.

9. Nous, chrétiens, disséminés dans l'univers des communautés humaines, recherchons les signes du règne souverain de Dieu et croyons fermement que nous formons une seule communauté avec les chrétiens de partout dans l'Eglise, corps du Christ. Vivant totalement dans le monde, la communauté chrétienne connaît tout ce qui distingue et divise, au-dedans et entre elles, les communautés humaines. Elle offre une incroyable diversité culturelle dont nous devons admettre qu'elle n'affecte pas seulement la pratique de la foi mais aussi l'interprétation qu'en donnent les divers groupes de chrétiens. Un exemple nous en est donné par les chrétiens du sud de l'Asie lorsqu'ils parlent de leurs luttes pour exprimer leur foi chrétienne, au sein de cultures tout imprégnées d'hindouisme, de bouddhisme et d'islam, dans un esprit qui soit à la fois fidèle à l'Evangile et lié à leur contexte culturel. En Europe et en Amérique du Nord, la conception et la pratique de la foi chrétienne sont profondément influencées par la culture occidentale.

10. Nos expériences de chrétiens disséminés dans cette communauté mondiale sont extrêmement diverses. I1 est des Eglises qui vivent dans des situations de répression sociale, culturelle et nationale, qui voient leur identité menacée et leur liberté entravée. Certaines circonstances obligent les chrétiens à se distancer des autres par loyauté à l'égard du Christ, mais cela n'absout pas ceux qui ont cédé, consciemment ou inconsciemment, aux tentations de l'arrogance culturelle ou du sentiment d'appartenir à une communauté privilégiée. C'est ainsi que les chrétiens ont contribué à créer des divisions dans la communauté humaine et des antagonismes entre les divers groupes de la communauté chrétienne. Voilà pourquoi ils doivent se soumettre au jugement de Dieu. Nous croyons que notre unité avec tous les hommes réside réellement dans la part que nous avons prise à tout ce qui a contribué à créer dans le monde de tragiques divisions. C'est ainsi que nous rattachons à notre thème l'expérience des Eglises dans leur forme actuelle, qui ont constamment besoin du pardon de Dieu.

11. Malgré la complexité et la confusion de cette situation, qui nous rappelle à l'humilité, nous croyons que l'Evangile de notre Seigneur Jésus-Christ garde son caractère de don divin. Grâce à l'inspiration du Saint-Esprit, l'Evangile, loin d'être limité à une culture particulière, les baigne et les emplit toutes de sa lumière. De même la vérité de l'Evangile ne saurait être déformée par le péché des chrétiens qui le professent. L'Evangile les appelle tous, individus et communautés, à la repentance et à la confession et les invite à une vie nouvelle dans le Christ ressuscité. Cette réalité d'une communauté chrétienne renouvelée fait partie de notre plus intime expérience de chrétiens. On peut parler de cette expérience de bien des manières. Par exemple

- notre communion dans l'Eglise, sacrement de la réconciliation et de l'unité de l'humanité recréée grâce à l'action salvatrice de Dieu en Jésus-Christ;

- notre communion avec Dieu qui, dans la plénitude de sa Trinité, appelle l'humanité à l'unité avec lui dans son éternelle communion avec sa création tout entière;

- notre communion fraternelle avec tous ceux qui, su cours de l'histoire, ont été les membres du corps du Christ, par-delà toute distinction de race, de sexe, de caste ou de culture;

- la conviction que Dieu nous a libérés en Christ pour nous permettre de communier avec tous les hommes et tout ce que son oeuvre sanctifie.

Même si nous exprimons de diverses manières notre conviction de la réalité de cette communauté, nous nous réclamons de Dieu en Christ qui nourrit son Eglise de sa parole et de ses sacrements.

12. Nous devons reconnaître le rapport étroit qui existe entre notre souci de dialogue et notre activité en faveur de l'unité visible de l'Eglise. Non seulement les diverses traditions confessionnelles ont une influence sur les différentes manières d'aborder le dialogue, non seulement les problèmes liés à celui-ci font l'objet de sérieuses discussions au sein des Eglises et entre elles, mais encore l'apport des chrétiens est déformé par les divisions qui existent entre eux.

13. Au sein du COE, nous faisons l'expérience de la possibilité de confesser ensemble notre foi et de rendre un culte en commun, mais nous avons aussi conscience de certains obstacles qui s'opposent à l'unité des chrétiens. Nous sommes d'accord pour faire une place essentielle dans notre réflexion à l'étude biblique et au culte; nous pouvons adorer le seul Seigneur selon les pratiques très diverses des Eglises représentées parmi nous. Mais nous savons aussi que certains problèmes touchant à l'autorité de la Bible ne sont pas encore résolus entre nous et que nous ne faisons pas encore partie d'une seule communauté eucharistique. C'est pourquoi il n'est pas surprenant d'assister à une controverse entre les chrétiens au sujet de la méditation (par opposition à la seule étude intellectuelle) des livres sacrés des autres religions et sur la question de la possibilité pour des adeptes de religions différentes de rendre un culte en commun. Il convient de continuer l'étude de ces problèmes d'une manière approfondie et attentive et nous prions le DRI d'encourager les Eglises membres du COE à se livrer à une telle étude entre elles et avec nos partenaires dans le dialogue.

14. En notre qualité de chrétiens, nous avons conscience d'une tension existant entre la communauté chrétienne telle que nous la vivons dans notre monde de communautés humaines et telle que nous la croyons contenue, en essence, dans la promesse de Dieu. Cette tension est un élément fondamental de notre identité chrétienne. Nous ne pouvons la résoudre et nous devons nous garder de l'éviter, car c'est au coeur de cette tension que nous découvrons le caractère de l'Eglise chrétienne, signe à la fois du besoin que l'homme a d'une communauté plus profonde et plus intense et de la promesse de Dieu d'une communauté humaine rétablie en Christ. La prise de conscience de cette tension doit exclure tout triomphalisme de la vie de l'Eglise chrétienne dans les communautés humaines. Elle doit également exclure toute trace de condescendance à l'égard des autres hommes et, au contraire, éveiller en nous une attitude de véritable humilité envers tous, puisque nous savons que nous n'avons pas su, avec tous nos frères et soeurs, réaliser la communauté que Dieu veut pour nous.

15. Nous concevons que notre vocation de chrétiens consiste à participer pleinement à la mission de Dieu ("missio Dei") avec le courage, né de la conviction, de nous montrer aventureux et de prendre des risques. Nous serions prêts, à cette fin, â entreprendre humblement un pèlerinage passionnant avec tous nos frères. Certes, nous sommes disciples du Christ, mais nous nous refusons à le limiter aux dimensions de notre entendement humain. A travers nos relations avec les autres au sein des multiples communautés humaines, nous croyons que nous apprenons à mieux connaître dans la foi le Christ, fils de Dieu et sauveur du monde; nous croissons en accomplissant son service dans le monde et nous nous réjouissons dans l'espérance qu'il nous donne.

16. L'expression "dialogue dans la communauté" est utile car elle concrétise la réflexion chrétienne sur le dialogue. En outre, elle attire l'attention sur les raisons d'entretenir un dialogue, raisons que l'on peut classer en deux catégories liées l'une à l'autre.

Aujourd'hui, la plupart des chrétiens vivent en communauté avec des hommes et des femmes de religions et d'idéologies différentes. Parfois c'est dans leurs familles que se retrouve cette diversité de religions et d'idéologies. Vivant près des autres dans leurs villes et leurs villages, les chrétiens doivent établir des relations qui expriment le souci d'autrui et les aident à parvenir à une compréhension mutuelle. Cette forme de dialogue appartient au domaine pratique, elle porte sur les problèmes de la vie moderne - pratiques, sociaux, écologiques - et sur ses aspects courants et familiers.

Mais il existe aussi des préoccupations qui dépassent le niveau local et poussent les chrétiens à engager le dialogue en vue de la réalisation d'une plus vaste communauté dans laquelle la paix et la justice seraient des réalités. Cette aspiration conduit à un dialogue entre communautés portant sur des questions d'intérêt national ou international.

17. On ne peut définir précisément le terme de "dialogue", pas plus que celui de "communauté"; il s'agit plutôt de le décrire, de le vivre, d'en faire un style de vie. Nous avons, en tant qu'êtres humains, appris à parler: nous discutons, nous bavardons, nous conversons, donnant et recevant des informations mais tout cela ne constitue pas encore un dialogue. I1 arrive parfois que ces échanges donnent lieu à une rencontre plus intime, à une ouverture, qui ne soit pas seulement intellectuelle, aux préoccupations de l'autre. On peut en faire l'expérience entre parents et amis ou entre personnes d'une même religion ou idéologie, mais ce qui nous intéresse plus particulièrement ici, c'est le dialogue qui dépasse les différences de religion, d'idéologie et de culture, même lorsque les interlocuteurs ne sont pas d'accord sur des points essentiels de la vie humaine. Le dialogue peut être considéré comme une manière heureuse d'obéir au commandement du Décalogue: "Tu ne témoigneras pas faussement contre ton prochain". Le dialogue nous aide à ne pas défigurer l'image de nos prochains qui professent d'autres religions ou d'autres idéologies. Beaucoup de chrétiens ont fait l'expérience qu'un tel dialogue est réellement possible s'il se fonde sur la confiance mutuelle et le respect de l'intégrité de l'identité de chaque participant.

18. C'est pourquoi le dialogue constitue un aspect essentiel du service des chrétiens à la communauté. C'est dans le dialogue qu'ils répondent su commandement: "Aime Dieu et ton prochain comme toi-même". Expression d'amour, l'engagement dans le dialogue témoigne de l'amour trouvé en Christ. C'est une joyeuse affirmation de la vie contre les forces du chaos et une participation à l'effort de tous ceux qui sont les alliés de la vie et cherchent à réaliser le but provisoire d'une communauté humaine meilleure. Voilà pourquoi le "dialogue dans la communauté" n'est pas une arme secrète de l'arsenal d'un activisme chrétien agressif, mais une manière de vivre la foi en Christ, au service de la communauté avec nos prochains.

19. Dans ce sens, le dialogue occupe une place distincte et légitime dans la vie chrétienne, de manière comparable à d'autres formes de service. Mais "distincte" ne signifie pas entièrement différente ou séparée. Dans le dialogue, les chrétiens cherchent à "confesser la vérité dans l'amour" sans vouloir être "balottés, menés à la dérive, à tout vent de doctrine" (Ep. 4: 14-15). Lorsqu'ils rendent témoignage, ils reconnaissent qu'aujourd'hui, dans la plupart des circonstances, le dialogue est nécessaire; c'est pourquoi nous n'estimons pas qu'il y ait contradiction entre le fait de témoigner et celui de dialoguer. En fait, lorsque les chrétiens engagent le dialogue dans la fidélité à Jésus-Christ, il arrive souvent que grâce su dialogue ils aient l'occasion de rendre un témoignage authentique. C'est pourquoi nous pouvons en toute conscience recommander aux Eglises membres du COE la pratique du dialogue, qui représente l'une des manières de confesser Jésus-Christ dans le monde d'aujourd'hui, tout en assurant, avec la même conscience, à nos interlocuteurs que nous ne venons pas pour les manipuler mais pour parler avec eux, en compagnie de pèlerinage, de ce que nous croyons que Dieu a fait en Jésus-Christ, qui nous a précédés mais que nous cherchons à rencontrer à nouveau dans le dialogue.

20. Engageant ainsi un authentique "dialogue dans la communauté" avec les adeptes d'autres religions et idéologies, les chrétiens ne peuvent éviter de se poser des questions pertinentes au sujet de la place de leurs interlocuteurs dans l'action de Dieu dans l'histoire. Mais ils ne se posent pas ces questions de manière théorique, car elles concernent ce que Dieu peut faire dans les vies de centaines de millions d'hommes et de femmes qui, comme les chrétiens et avec eux, mais de manière différente, vivent en communauté ou la recherchent. C'est pourquoi le dialogue devrait s'établir par rapport aux adeptes des autres religions et idéologies plutôt que par rapport à des systèmes théoriques et impersonnels. I1 ne s'agit pas là de nier l'importance des traditions religieuses et de leurs relations, mais il est essentiel d'examiner de quelle manière les religions et les idéologies ont infléchi l'existence quotidienne des individus et des groupes et exercent une influence sur les participante au dialogue.

21. Abordant les problèmes théologiques dans cet esprit, les chrétiens devraient procéder

- avec repentance, parce qu'ils savent combien ils interprètent mal la révélation de Dieu en Jésus-Christ, la trahissant pas leurs actes et se posant en détenteurs de la vérité de Dieu, alors qu'ils ne sont en fait que les indignes bénéficiaires de sa grâce;

- avec humilité, parce qu'ils trouvent si souvent chez les adeptes d'autres religions et idéologies une spiritualité, un dévouement, une compassion et une sagesse qui devraient les empêcher de juger les autres du haut d'une prétendue supériorité; ils devraient en particulier éviter d'utiliser des notions telles que "les chrétiens anonymes", "la présence chrétienne", "le Christ inconnu" en les détournant de leur fonction théologique ou en les utilisant d'une manière préjudiciable à la conception que les chrétiens et les autres peuvent avoir d'eux-mêmes;

- avec joie, parce que ce ne sont pas eux-mêmes que les chrétiens prêchent, mais Jésus-Christ, que de nombreux adeptes d'autres religions et idéologies de notre tempe reconnaissent comme prophète, homme saint, maître, exemple, mais que les chrétiens confessent comme Seigneur et sauveur, témoin fidèle qui va venir (Ap. 1: 5-7);

- avec honnêteté, parce qu'ils n'engagent le dialogue avec les autres que dans cette joie repentante et humble dans le Seigneur Jésus-Christ, manifestant à leurs interlocuteurs leur expérience et leur témoignage, même lorsqu'ils leur demandent d'exprimer leurs plus profondes convictions: tout cela implique la volonté de s'ouvrir et de s'exposer, la capacité d'être blessé que noue voyons manifestées dans notre Seigneur Jésus-Christ et que nous pouvons résumer par le mot de vulnérabilité.

22. Ce n'est que dans un tel esprit que les chrétiens peuvent es-pérer aborder de manière constructive les problèmes théologiques que posent les autres religions et idéologies. Les chrétiens d'origines diverses font preuve d'une compréhension toujours plus grande, en particulier dans les domaines suivants:

- il convient d'accorder une plus grande attention à la doctrine de la création, à la façon dont elle est éclairée par la conception chrétienne de Dieu comme la Trinité sainte et une et par la glorification du Christ;

- des questions fondamentales portant sur la nature et l'action de Dieu ainsi que sur la doctrine de l'Esprit surgissent dans le dialogue; la discussion christologique doit avoir lieu dans ce cadre général;

- la Bible, avec tous les éléments de la tradition et de la science des Eglises qui peuvent contribuer à la faire comprendre et assimiler, doit être utilisée de manière créatrice comme base de la réflexion chrétienne sur les problèmes qui se posent; elle est pour les chrétiens source d'encouragement et d'avertissement, mais ils ne peuvent pas la poser d'emblée comme point de référence de leurs partenaires;

- les problèmes théologiques de l'unité de l'Eglise doivent également être considérés en relation avec ce souci du dialogue;

- la recherche d'un terrain d'entente ne doit pas se transformer en une réduction des religions et idéologies actuelles à leur plus petit commun dénominateur, ni se limiter à une comparaison et à une discussion des symboles et des concepts; elle doit permettre une authentique rencontre des connaissances et des expériences spirituelles qui ne se retrouvent qu'aux niveaux les plus profonds de la vie humaine.

23. Nous nous réjouissons de poursuivre une discussion fructueuse de ces questions (et d'autres encore) dans nos milieux chrétiens mais aussi dans des situations de dialogue. Il y a encore d'autres problèmes, sur lesquels un accord est plus difficile et parfois même impossible, que nous voudrions voir étudier d'un point de vue théologique:

- Quels sont les rapports entre l'activité créatrice et rédemptrice universelle de Dieu, qui concerne toute l'humanité, et son activité créatrice et rédemptrice particulière dans l'histoire d'Israël et dans la personne et l'oeuvre de Jésus Christ?

- Faut-il parler de l'oeuvre de Dieu dans la vie de tous les hommes et de toutes les femmes en se limitant à l'espoir qu'ils puissent connaître quelque chose de lui ou, de manière plus positive, dans la perspective de la révélation que Dieu a faite de lui-même aux adeptes des religions et des idéologies de notre temps, au coeur des luttes de la vie humaine?

- Comment les chrétiens trouveront-ils dans la Bible les critères leur permettant de s'approcher des adeptes d'autres religions et idéologies, en tenant compte comme il convient à la fois de l'autorité reconnue à la Bible par les chrétiens de toutes les époques, des questions particulières touchant l'autorité de l'Ancien Testament dans l'Eglise chrétienne et, d'autre part, du fait que leurs interlocuteurs ont d'autres points de départ et d'autres sources, aussi bien dans leurs livres sacrés que dans les traditions de leur enseignement?

- En quoi consistent la vision biblique et l'expérience chrétienne de l'action du Saint-Esprit, et est-il juste et utile de comprendre l'oeuvre de Dieu en dehors de l'Eglise dans la perspective de la doctrine du Saint-Esprit?

24. Dans le dialogue, les chrétiens sont appelés à se montrer aventureux et doivent être prêts à prendre des risques, sans oublier cependant de demeurer en alerte et de veiller à la cause de Dieu. Le syncrétisme représente-t-il un danger dont il convient de se garder?

25. Il y a une nécessité, valable en tout temps et en tout lieu, de donner une "traduction" authentique du message chrétien. On peut se rendre compte de nette nécessité du moment où les traducteurs se mottent au travail dans une langue particulière et doivent peser le poids culturel et philosophique des termes qui la composent. Mais il existe également une manière plus large de "traduire" ce message, en l'exprimant en termes artistiques, dramatiques, liturgiques et, surtout, relationnels, capables de communiquer ce message dans son authenticité sous des formes propres à une culture donnée, en se servant souvent des symboles et des concepts, éprouvés théologiquement, d'une communauté particulière.

26. En dépit des tentatives de réhabiliter le terme de "syncrétisme", celui-ci conserve, étant donné les usages qui en ont été faits dans le débat chrétien, une connotation négative. C'est évidemment le cas lorsqu'il signifie, selon la définition utilisée par l'Assemblée de Nairobi, "la tentative humains, consciente ou inconsciente, de créer une religion nouvelle composée d'éléments empruntés à différentes religions". Dans ce sens, le syncrétisme est également rejeté par nos interlocuteurs, bien que d'aucuns, dans l'état d'aliénation qui est le leur, demandent de l'aide à de multiples sources et ne considèrent pas le syncrétisme de manière négative.

27. Mais le terme de syncrétisme a un usage plus large que celui qui en a été fait à Nairobi et peut en particulier nous mettre en garde contre deux dangers.

Le premier danger est qu'en essayant de "traduire" le message chrétien dans un certain milieu culturel ou à l'intention de religions et d'idéologies avec lesquelles les chrétiens entretiennent des relations de dialogue on aille trop loin et qu'on mette en danger l'authenticité de la foi et de la vie chrétiennes. Certes, la Bible est là pour servir de guide aux chrétiens, mais il y a toujours un risque à vouloir exprimer l'Evangile dans un nouveau cadre; il suffit, par exemple, de penser à la lutte des premiers chrétiens contre l'hérésie dans le débat avec le gnosticisme, ou à la manière dont l'Evangile se trouve compromis dans les prétendues "religions d'Etat" occidentales. Il est salutaire de garder à l'esprit de tels exemples, faute de quoi on pourrait en venir à croire que le syncrétisme est un risque qui n'est présent que dans certains continents.

Le second danger consiste à interpréter une religion vivante non pas dans ses propres termes mais avec ceux d'une autre religion ou idéologie. C'est là une démarche inacceptable, tant du point de vue scientifique que de celui du dialogue. On pourrait en arriver ainsi à "syncrétiser" le christianisme en ne voyant en lui qu'une variante d'une autre manière d'approcher Dieu ou, tout aussi à tort, "syncrétiser" une autre religion en ne la considérant que comme une façon fragmentaire de concevoir ce que les chrétiens croient connaître totalement. I1 convient de continuer à étudier la manière dont cette espèce de syncrétisme peut s'opérer entre une religion et une idéologie.

28. Ces deux dangers sont réels, et il y aura divergence d'opinion entre chrétiens et entre Eglises quant au moment où ces dangers menacent ou ont déjà atteint telle ou telle entreprise chrétienne. Malgré ces dangers reconnus, les chrétiens devraient être heureux de pouvoir s'engager dans l'aventure d'une foi qui ouvre de nouvelles voies. Les risques particuliers du syncrétisme dans notre monde moderne ne devraient pas amener les chrétiens à refuser d'entamer le dialogue; ils constituent au contraire une raison supplémentaire de l'engager afin de clarifier les problèmes.

29. Au sein du mouvement oecuménique, la pratique du dialogue et le témoignage ont parfois éveillé la méfiance mutuelle. Dieu est très patient envers son Eglise et met à sa disposition le temps et l'espace pour lui faire découvrir ses voies et ses richesses (cf. 2 P. 3:9). Il est nécessaire qu'au sein de la communauté oecuménique nous nous donnions également le temps et l'espace - par exemple au Ghana ou en Inde, pour ex- plorer la richesse de l'Evangile dans un milieu très diffé-rent de l'Europe "hellénisée", en Corée, pour développer les remarquables activités évangélisatrices des Eglises, en Europe, pour nous adapter à une nouvelle situation où la sécularisa tion est tempérée par un nouvel intérêt religieux qui ne s'ex-prime pas en des termes traditionnels. Il faut admettre la diversité des formes que peut prendre le dialogue lui-même, tant dans son contenu que du fait du milieu spécifique où il se déroule.

Ainsi qu'en témoignent les expériences faites par les chrétiens engagés dans le dialogue avec les adeptes des religions et idéologies de notre temps, et la déclaration du Comité central sur "Le dialogue dans la communauté", la question du dialogue se pose de nos jours avec urgence à de nombreux chrétiens. Les lignes directrices qui suivent ont pour point de départ les convictions chrétiennes exprimées dans les deux parties de la déclaration susmentionnée; aussi convient-il de lire ensemble déclaration et lignes directrices.

C'est la foi chrétienne dans le Dieu trinitaire - Créateur de toute l'humanité, Rédempteur en Jésus-Christ, Esprit de révélation et de renouveau - qui nous incite, nous chrétiens, à entretenir des relations humaines avec nos nombreux voisins. Ces relations comprennent le dialogue, qui consiste à rendre témoignage de nos convictions les plus profondes et à écouter celles de nos interlocuteurs. C'est la foi chrétienne qui nous libère pour nous permettre de nous ouvrir aux croyances des autres, de prendre des risques, de faire confiance et d'être vulnérables. Dans le dialogue, l'équilibre se réalise entre la conviction et l'ouverture.

Dans un monde où les chrétiens ont de nombreux voisins, le dialogue n'est pas seulement une activité qui se manifeste dans des réunions et des conférences; c'est aussi une manière de vivre la foi chrétienne en relation et en collaboration avec tous ceux qui partagent avec les chrétiens leurs villes, leurs pays et l'ensemble de la terre. Le dialogue est une manière de vivre en relation avec notre prochain. Il ne remplace ni ne limite en aucune manière notre devoir chrétien de témoigner, dans la mesure où les partenaires s'engagent dans ce dialogue porteurs de leurs engagements respectifs.

En proposant ces lignes directrices aux Eglises membres du COE et aux paroisses, nous sommes conscients de la grande diversité des situations dans lesquelles elles se trouvent. Les voisins avec lesquels les chrétiens engagent des relations de dialogue peuvent se trouver plongés dans les mêmes crises et les mêmes quêtes sociales, économiques et politiques, ils peuvent être leurs compagnons d'études ou de recherches intellectuelles ou spirituelles, ou encore, au sens propre, leurs voisins de palier. Dans certains endroits, les chrétiens et l'Eglise établie sont en mesure d'exercer pouvoir et influence, tandis que les autres sont sans pouvoir; ailleurs, ce sont les chrétiens qui se trouvent dans cette situation. Il y a aussi des cas de tension et de conflit qui rendent tout dialogue impossible ou réduisent considérablement ses possibilités. Bien souvent, les adeptes de différentes religions sont en contact non seulement les uns avec les autres mais aussi avec les adeptes de diverses idéologies, même s'il est parfois difficile de faire une distinction précise entre religions et idéologies, car celles-ci ont des dimensions religieuses et celles-là des dimensions idéologiques, et il n'en est pas autrement du christianisme. L'apparition de nouveaux groupes religieux dans de nombreux pays a donné de nouvelles dimensions aux relations entre les religions et a également créé de nouvelles tensions. Gardant à l'esprit tous ces éléments, nous recommandons aux Eglises membres d'étudier et de discuter les lignes directrices présentées ici, de les mettre à l'épreuve, de les évaluer et de les adapter à chaque situation particulière.

1. Les Eglises devraient examiner de quelles manières les communautés chrétiennes peuvent engager le dialogue avec leurs voisins de reliions et idéologies différentes.

Elles devraient également découvrir des manières de répondre à des initiatives analogues prises par leurs voisins su sein de la communauté.

2. Les dialogues devraient normalement faire l'objet d'une planification concertée.

Lorsqu'ils sont organisés conjointement avec des partenaires d'autres convictions religieuses ou idéologiques, ils peuvent très bien être consacrés à des questions précises, théologiques ou religieuses, politiques ou sociales.

3. Les partenaires engagés dans le dialogue devraient faire l'inventaire de la diversité crue présente leur situation dans le domaine religieux, culturel et idéologique.

Ce n'est qu'en ayant conscience à la fois des domaines de tension et de discrimination et des chances de réaliser la communication et la collaboration dans leur propre contexte que les chrétiens et leurs voisins pourront créer des conditions favorables au dialogue. Ils devraient être particulièrement attentifs aux violations des droits fondamentaux de l'homme de minorités religieuses, culturelles ou idéologiques.

4. Les partenaires engagés dans le dialogue devraient être libres de "se définir".

L'une des fonctions du dialogue est de permettre aux interlocuteurs de présenter leur foi et d'en témoigner dans leurs propres termes. Cet élément a une grande importance car les exposés partiaux des convictions religieuses des autres sont l'une des causes des préjugés, des simplifications et de la condescendance. En écoutant attentivement la manière dont leurs partenaires se définissent, les chrétiens pourront plus facilement obéir au commandement qui leur enjoint de ne pas porter de faux témoignage contre leur prochain, que celui-ci se réclame d'une tradition religieuse, culturelle ou idéologique établie depuis longtemps ou qu'il soit membre d'un nouveau groupe religieux. Les partenaires engagés dans le dialogue devraient reconnaître que toute religion ou idéologie qui prétend à l'universalité a non seulement une conception de soi bien définie, mais aussi une conception qui lui est propre des autres religions et idéologies. Le dialogue ouvre la possibilité d'une mise en question mutuelle de la manière dont chacun des partenaires se conçoit lui et les autres. C'est de cette volonté réciproque d'écouter et d'apprendre que naît un dialogue significatif.

5. Le dialogue devrait encourager les efforts éducatifs dans la communauté.

Il arrive très souvent que les chrétiens, à partir de l'expérience du dialogue, doivent prendre des initiatives dans le domaine éducatif en vue de corriger l'image déformée de leurs voisins répandue dans leur communauté, et de faire progresser la compréhension chrétienne des adeptes d'autres religions et idéologies.

Même lorsque les chrétiens ne vivent pas en contact étroit avec des personnes d'autres traditions religieuses, culturelles ou idéologiques, ils ne devraient pas négliger d'étudier ces traditions et de s'informer à leur sujet.

Les Eglises membres devraient considérer quelles mesures elles peuvent prendre dans les domaines éducatifs suivants:

(1) Programmes d'enseignement dans les établissements primaires et secondaires et dans ceux qui se consacrent à l'éducation des adultes, en vue de favoriser la compréhension des traditions culturelles, religieuses et idéologiques; il conviendrait, dans le cadre de ces programmes, d'inviter le plus souvent possible des représentants de ces traditions à venir les présenter eux-mêmes.

(2) Programmes d'enseignement dans les séminaires et collèges théologiques en vue de préparer les ministres chrétiens à acquérir la sensibilité nécessaire à l'instauration du dialogue entre les religions.

(3) Créer des contacts avec les facultés universitaires et les hautes écoles qui proposent des programmes d'études supérieures des religions.

(4) Examiner le matériel utilisé et les notions enseignées à tous les niveaux dans les Eglises, sans oublier les séminaires et collèges théologiques, afin d'éliminer tout ce qui pourrait encourager le fanatisme et le manque d'ouverture face aux adeptes d'autres religions et idéologies.

(5) Créer du matériel d'enseignement religieux en vue de I'étude des autres religions et idéologies.

(6) Organiser des cours destinés à ceux qui doivent aller travailler dans des pays de culture différente ou qui vont les visiter en touristes, afin de favoriser leur compréhension des autres et leur ouverture d'esprit.

(7) Corriger de manière responsable les livres scolaires et les présentations des media susceptibles de donner du prochain une image déformée.

(8) Faire une utilisation créatrice des media (radio, télévision, etc.) chaque fois que c'est possible, en vue d'intéresser un plus large public aux efforts tendant à promouvoir une meilleure compréhension des adeptes d'autres religions et idéologies.

6. C'est là où les interlocuteurs vivent ensemble que le dialogue a le plus d'importance.

C'est dans les communautés existantes, où les familles se rencontrent en voisins et où les enfants jouent ensemble, qu'un dialogue spontané se développe. Là où des adeptes de religions et d'idéologies différentes ont des activités communes et partagent les mêmes intérêts intellectuels et les mêmes préoccupations spirituelles, le dialogue peut avoir une incidence sur la totalité de l'existence et devenir un style de vie en commun. Celui qui demande à son prochain adepte d'une autre religion de lui expliquer la signification d'une coutume ou d'une fête a déjà fait un premier pas en direction du dialogue.

Bien sûr, le dialogue entre des voisins qui se connaissent de longue date peut être entravé par des soupçons profondément enracinés; en outre, les hommes et les femmes qui s'engagent dans un tel dialogue devront compter non seulement avec les communautés qu'ils recherchent mais aussi avec celles qu'ils ont déjà.

7. Le dialogue devrait se poursuivre »ar des entreprises communes.

Les activités et les expériences communes constituent le cadre le plus propice à un dialogue sur les questions de foi, d'idéologie et d'action. C'est dans la recherche d'une juste communauté humaine que les chrétiens et leurs voisins pourront s'aider mutuellement à sortir de leur isolement culturel, éducatif, politique et social pour réaliser une société qui fasse davantage place à la participation. I1 se pourrait que, dans des circonstances particulières, de telles entreprises communes donnent naissance à des organisations et des comités interreligieux tendant à faciliter ce dialogue dans l'action.

8. Les partenaires engagés dans le dialogue devraient avoir conscience de leurs engagements idéologiques.

Le dialogue devrait contribuer à révéler et à faire comprendre les composants idéologiques des religions dans certaines situations. Lorsque des chrétiens se trouvent en communauté avec des adeptes d'autres religions, ils peuvent avoir des convictions idéologiques semblables ou différentes. Dans de telles situations, les interlocuteurs doivent être sensibles aux dimensions religieuses et idéologiques du dialogue en cours. Là où des chrétiens se trouvent en communauté avec des adeptes d'idéologies laiques, le dialogue pourra au moins mettre en lumière les contributions des uns et des autres à la recherche commune des objectifs provisoires d'une meilleure communauté humaine. Dans ce cas, 1e dialogue peut commencer par être une sorte de dialogue interne en vue de susciter une réflexion et une discussion explicites sur les questions issues de la confrontation de l'Evangile avec les facteurs idéologiques des diverses communautés où vivent les chrétiens, et avec les présupposés idéologiques des chrétiens eux-mêmes.

9. Les partenaires engagés dans le dialogue devraient avoir conscience de leurs attaches culturelles.

Il convient d'encourager le dialogue et l'ouverture au prochain dans le domaine des rapporte de la foi chrétienne avec les cultures. Cela s'applique particulièrement aux endroits où la culture populaire traditionnelle a été injustement méprisée et rejetée par les Eglises. Il ne s'agit pas d'avoir une vue trop romantique de la culture ni d'en faire un absolu, mais il n'en reste pas moins qu'elle peut souvent mettre en question la foi chrétienne et en enrichir l'expression. Une fois réalisés une interprétation et un choix attentifs, les cultures locales peuvent apporter des contributions importantes dans le domaine des symboles et de la liturgie, des structures sociales, des relations, des modes de guérison, de l'art, de l'architecture, de la musique, de la danse, du théâtre, de la poésie et de la littérature.

10. Le dialogue soulèvera la question de la participation aux célé-brations, aux rites. aux services et à la méditation.

Les communautés humaines se rassemblent, s'expriment et se renouvellent dans les rites et le culte, et le dialogue présuppose une attitude de respect à l'égard des expressions rituelles de la communauté de nos voisins.

Le dialogue implique parfois des invitations réciproques à titre d'hôtes et d'observateurs à des cérémonies, des fêtes et des rites familiaux et communautaires. De telles occasions peuvent faire progresser sensiblement la compréhension entre voisins.

Le fait de collaborer dans le cadre de projets ou d'activités communs, de se rendre mutuellement visite et de participer à des fêtes finira tôt ou tard par soulever là question délicate et importante de la participation plus complète de la prière, au culte ou à la méditation. C'est là un des aspects du dialogue qui est le plus discuté et qu'il convient particulièrement d'étudier.

Que de telles activités soient entreprises ou non, les partenaires engagés dans le dialogue devront affronter hardiment les problèmes qui se posent, en demeurant sensibles à l'intégrité de l'autre et en prenant pleinement conscience de la portée et des implications de ce qui se fait ou ne se fait pas.

11. Dans la mesure du possible, le dialogue devrait être planifié et entrepris au niveau oecuménique.

Les Eglises membre devraient collaborer en vue d'organiser le dialogue, ce qui pourrait signifier que les conseils d'Eglises régionaux et locaux auront des commissions qui se consacreront particulièrement au dialogue.

12. La planification du dialogue exigera les limes directrices régionales et locales.

Quand les Eglises membres du COE auront entrepris d'étudier, de tester et d'évaluer les présentes lignes directrices, elles ressentiront le besoin de définir pour elles-mêmes et en collaboration avec leurs interlocuteurs des lignes directrices adaptées à leur situation particulière. C'est en étudiant les traits universels du dialogue des chrétiens avec les adeptes de religions et d'idéologies particulières que le DEI pourra le mieux aider les Eglises membres dans les situations qui leur sont propres. A cet effet, il a l'intention d'organiser des colloques à l'échelle mondiale.

13. Le dialogue peut être encouragé par une participation sélective aux organisations et réunions interreligieuses mondiales.

Il existe actuellement de nombreuses organisations rassemblant les religions du monde entier et s'efforçant de leur permettre de collaborer à diverses fins telles que la lutte pour la paix et la justice dans la communauté et entre les nations. Les chrétiens engagés dans le dialogue doivent faire preuve de discernement dans leur participation aux réunions organisées par de telles organisations. Les représentants chrétiens doivent veiller à ce que l'intégrité de chaque religion soit reconnue et respectée. Il pourra parfois être nécessaire aux chrétiens de souligner que la participation n'implique pas ipso facto l'adhésion aux principes fondamentaux de telle et telle réunion ou organisation. Les chrétiens éviteront en général d'être identifiés à des alliances fondées pour combattre des religions ou des idéologies. Le COE est prêt à envoyer des observateurs consultants à certaines réunions de ce genre, mais il n'entend pas pour le moment prendre une part officielle directe aux structures institutionnelles d'organisations interreligieuses mondiales.

Pour engager le dialogue, il est nécessaire d'ouvrir son coeur et son esprit aux autres. C'est une entreprise qui exige de l'audace et un sentiment profond de la vocation. Elle est impossible si elle ne s'accompagne pas de sensibilité à la richesse et à la variété des formes de l'existence humaine. Cette ouverture, cette audace, cette vocation, cette sensibilité sont au coeur même du mouvement oecuménique et des plus profonds courants de la vie des Eglises. C'est pourquoi le Comité central, en proposant aux Eglises membres du COE ces lignes directrices (ainsi que la déclaration qui y est liée, est profondément convaincu de l'importance que le dialogue revêt pour elles.