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Genève, le 24 juillet 2006

L'Esprit du Seigneur Dieu est sur moi :

le Seigneur en effet a fait de moi un messie,

il m'a envoyé porter joyeux message aux humiliés,

panser ceux qui ont le coeur brisé, proclamer aux captifs l'évasion,

aux prisonniers l'éblouissement,

 

proclamer l'année de la faveur du Seigneur,

le jour de la vengeance de notre Dieu,

réconforter tous les endeuillés,

mettre aux endeuillés de Sion un diadème,

oui, leur donner ce diadème et non pas de la cendre,

un onguent marquant l'enthousiasme et non pas le deuil,

un costume accordé à la louange et non pas à la langueur.

 

Ils rebâtiront les dévastations du passé,

les désolations infligées aux ancêtres, ils les relèveront,

ils rénoveront les villes dévastées,

les désolations traînant de génération en génération.

 

Au lieu que votre honte soit redoublée

et que les outrages clamés par les gens soient votre part,

vous hériterez de leur terre une portion redoublée

et la jubilation d'autrefois sera votre apanage.

 

Car moi, le Seigneur, j'aime le droit,

je hais le vol enrobé de perfidie,

je donnerai fidèlement votre récompense :

je conclurai en votre faveur l'alliance de toujours.

Votre descendance sera connue parmi les nations,

vos rejetons seront connus au milieu des peuples ;

tous ceux qui les verront les reconnaîtront

comme une descendance que le Seigneur a bénie.

A NOS SOeURS ET FRERES BIEN AIMES DU CONGO

Je vous écris cette lettre, à vous en particulier - ainsi qu'à toutes nos Eglises et, en fait, au monde entier - paralysé par le chagrin et la colère, gémissant d'angoisse avec vous devant la dévastation insensée de votre pays et le massacre gratuit de votre magnifique population dans l'une des pires guerres de toute l'histoire africaine.

En réfléchissant à ces paroles fameuses du prophète Esaïe (61, 1-9), je me demande quel peut être le but ou la raison de ces deux guerres récentes dans votre pays, guerres auxquelles l'Occident est resté indifférent. Que devions-nous faire que nous n'avons pas fait ? Que devions-nous dire que nous n'ayons dit mille fois au cours de toutes ces années ? Tout ce que nous désirons, c'est ce qui appartient à l'ensemble du peuple de Dieu comme un droit inaliénable : une place au soleil dans notre Congo bien-aimé.

En lisant ces paroles du prophète, et les descriptions qu'il fait (dévastations du passé,…

désolations traînant de génération en génération,… gens de toutes provenance, fils de l'étranger,… honte redoublée et jubilation… moi, le Seigneur, j'aime le droit,

je hais le vol enrobé de perfidie…) tout cela nous fait penser au Congo. Ô Dieu, combien de temps cela va-t-il encore durer ? Combien de temps pourrons-nous encore continuer à lancer un appel pour que votre pays connaisse un ordre juste où tous seront pris en considération simplement en tant que personnes, des Congolais, créés à l'image de Dieu ?

Ces hécatombes - les pires qui se soient produites sur notre planète depuis 1945 - ont provoqué la mort de plus de 4.100.000 Congolais, dans une guerre pratiquement passée sous silence par les gouvernements et les médias occidentaux.

En fonction d'une analyse raciste trop répandue, on voit là un événement incompréhensible, obscur, conséquence logique d'une Afrique primitive et post coloniale. Je me souviens avec indignation de la question posée par The Economist au début du nouveau millénaire (13 mai 2000) : «  L'Afrique possède-t-elle une caractéristique qui la ferait régresser, la rendant incapable de se développer ? ». Ceux pour qui la seule solution à la difficile situation de l'Afrique consiste à libérer le continent pour l'intégrer au milieu « démocratique » mondialisé de l'Europe et de l'Amérique utilisent cet argument pour se disculper des champs de bataille du Congo.

Le jour de Noël 1999, l'archevêque Emmanuel Kataliko, qui était alors évêque catholique de Bukavu, province orientale, répondait à ces arguments absurdes en évoquant les mythes qui enveloppent l'histoire du Congo. Il disait que ces combats étaient une catastrophe humaine liée à la mondialisation, au profit, ainsi qu'à la manipulation et à la complicité de l'Occident.

« Des pouvoirs étrangers, avec la collaboration de certains de nos frères congolais, organisent des guerres avec les ressources de notre pays. Ces ressources, qui devraient être utilisées pour notre développement, pour l'éducation de nos enfants, pour guérir nos malades, bref pour que nous puissions vivre d'une façon plus humaine, servent à nous tuer.

Plus encore, notre pays et nous mêmes sommes devenus objet d'exploitation. Tout ce qui a de la valeur est pillé, saccagé, et amené à l'étranger ou simplement détruit. Les impôts collectés, qui devraient être investis pour le bien commun, sont détournés…Tout cet argent, provenant de nos productions, est directement prélevé par une petite élite venue d'on ne sait où…[et] certains de nos compatriotes n'hésitent pas à livrer leur frère pour un billet de dix ou vingt dollars. »

Quelques jours plus tard, l'évêque, qui était également vice-président de la conférence épiscopale du Congo, a été enlevé et déporté de son diocèse par le groupe rebelle qui contrôle la région, et il a passé sept mois en exil au Nord-Kivu. Il a repris ses fonctions à son retour, mais il est décédé peu après d'une crise cardiaque, à l'âge de 68 ans, au cours d'une visite officielle au Vatican, en octobre 2000.

Ce qu'il a dit du Congo était courageux et honnête.

D'ici quelques jours (le 30 juillet), les Congolais iront aux urnes pour des élections présidentielle et législatives démocratiques, alors même que la violence et le désordre se poursuivent. La dernière élection avait eu lieu en 1960, lorsque Patrice Lumumba, le leader charismatique, a été élu et, peu après, assassiné. Ce vaste pays, troisième pays d'Afrique par la taille, qui compte 61 millions d'habitants, est devenu une dictature et a été un allié loyal des Etats Unis, leur apportant ainsi constamment son soutien tout au long de la guerre froide.

Mais il faut sans doute examiner de plus près les origines des tourments du Congo et le rôle du capitalisme occidental à l'époque de la domination étrangère. En réalité, les Congolais ont été les victimes du plus grand génocide que le monde ait jamais connu, à son époque coloniale (belge), et cette histoire, elle aussi, a été pratiquement gommée.

Les Américains et les Européens pensent habituellement que le fascisme et le communisme ont été les deux maux du 20ème siècle. Mais ce siècle a en réalité connu trois grands systèmes totalitaires - le fascisme, le communisme et le colonialisme - ce dernier ayant atteint son degré le plus meurtrier en Afrique. L'Occident ne veut pas l'admettre, car il en a été complice. Des pays qui, en Europe, étaient démocratiques, ont pratiqué des massacres en Afrique, presque sans aucune protestation de la part des Etats Unis.

Après avoir obtenu son indépendance en 1960, le pays est allé cahin-caha d'une situation tragique à une autre : assassinat de Lumumba, trente années de dictature, le génocide rwandais en 1994 qui s'est étendu au Congo, la guerre qui a amené le renversement de Mobutu par Laurent Kabila, le meurtre de ce dernier, puis la deuxième grande guerre qui n'est pas vraiment terminée en dépit d'un cessez-le-feu en 2003.

Au cours des quatre-vingts années de gouvernement par le roi Léopold et l'administration coloniale belge, le Congo a été pillé au profit des gens d'au-delà des mers. Il ne faut pas s'étonner s'il y a eu ensuite d'autres décennies de pillage, par Mobutu et les sociétés multinationales dont il était l'allié. N'oublions pas non plus les ravages provoqués au cours des siècles précédents par l'esclavage. La démocratie est une plante fragile, même dans les circonstances les plus favorables, et dans l'héritage du Congo il n'y a pas de sol bien fertile pour lui permettre de pousser.

La guerre entre pays africains pour les richesses du Congo a fait rage de 1998 à 2003. Un cessez-le-feu a été signé le 10 juillet 1999 ; mais les combats se sont néanmoins poursuivis et les morts du Congo se sont accumulés jusqu'à atteindre plus de quatre millions. La plupart des décès étaient dus à des maladies consécutives à la guerre, à la famine, aux massacres. Selon les agences humanitaires, alors même qu'on est à la veille des élections, 1.200 personnes meurent chaque jour, notamment dans la partie orientale du pays, les combats y étant financés par les revenus provenant de l'extraction illégale de minerai. Peu avant la victoire de Kabila, des contrats miniers de milliards de dollars ont été signés avec De Beers et American Mineral Fields.

Kabila a été assassiné en janvier 2001 et son fils, Joseph Kabila, a été nommé chef de l'Etat. Le nouveau président a très vite commencé à faire des offres pour mettre fin à la guerre et, en 2002, un accord a été signé en Afrique du Sud. Vers la fin de 2003, on pouvait observer une paix fragile, avec un gouvernement de transition. Joseph Kabila a nommé quatre vice-présidents, dont deux avaient lutté jusqu'en juillet 2003 pour l'évincer. La plus grande partie du pays est dans l'insécurité et le gouvernement de Kinshasa n'exerce aucun contrôle sur de vastes territoires du pays.

Aujourd'hui, les troupes chargées du maintien de la paix (MONUC) sont en état d'alerte maximum. La plus importante et la plus coûteuse des opérations de maintien de la paix dans le monde, qui compte 19.000 soldats, a du mal à rester elle-même intacte, a fortiori à protéger la vie d'une population en proie à la terreur. On a également confié à la MONUC le soin d'organiser les élections, dans un pays presque aussi étendu que l'Europe occidentale (2.345.000 km²), où l'on manque de routes, d'électricité, de téléphone et d'autorités locales. Elle s'efforce aussi de venir en aide à deux millions de personnes déplacées à la suite du conflit au Congo oriental, d'écarter 20.000 membres des milices et de protéger les agences humanitaires, ce qui constitue le projet le plus ambitieux que cette institution mondiale ait jamais entrepris.

Et pourtant, un silence angoissant entoure cette guerre, la plus meurtrière de toutes celles qui existent dans le monde actuel. En février cette année, l'ONU et les agences d'aide humanitaire ont demandé au monde 682 millions de dollars (EU) pour les personnes déplacées, affamées et malades. Au moment où nous écrivons, elles n'ont reçu que 94 millions, soit 9,40 dollar par personne. En comparaison, l'appel de l'an dernier en faveur des victimes du tsunami avait rapporté 550 dollars par personne.

Dans des endroits comme Kisangani, Bunia, Goma ou Bukavu, demandez à n'importe qui pourquoi sept armées africaines ont fait deux guerres au cours des dix dernières années, on vous répondra qu'il s'agissait d'une guerre pour le pillage, le butin, l'exploitation. Une grande partie de ces armées sont aujourd'hui rentrées chez elles, mais la souffrance des populations demeure. La guerre est omniprésente. Plus dévastatrices encore sont les répercussions du conflit, les cicatrices laissées par la brutalité qui défigure la société congolaise et les infrastructures du pays, en proie à une absence d'assainissement, à la maladie, à la malnutrition, à la désorganisation. A bien des égards, le pays reste brisé, instable, dangereux.

Selon Médecins sans Frontières, pour chaque cas de décès du à la violence dans la zone de guerre du Congo oriental, il y a 62 morts dus à des causes non violentes : maladies traitables médicalement comme le paludisme, la méningite, la rougeole, le sida. Ce sont les déplacements qui tuent le plus de monde dans la fuite. Des gens désespérément pauvres sont arrachés à une existence de subsistance et projetés dans un environnement encore plus hostile où ils recherchent la sécurité tout au fond des forêts du Congo oriental.

La concurrence est énorme pour se procurer les ressources du Congo, son sol qui regorge de diamants, d'or, de cuivre, de cobalt, d'uranium (ou de coltan, ainsi qu'on l'appelle localement, qui est utilisé pour les téléphones portables et les ordinateurs). Les eaux des puissants fleuves du Congo pourraient alimenter tout le continent en énergie. La terre est luxuriante et fertile, les forêts tropicales couvrent une surface plus vaste que la Grande Bretagne.

Mais c'est cette richesse même dont l'archevêque Kataliko prophétisait si justement qu'elle était au coeur du désespoir du Congo. Actuellement, il est de bon ton de parler du syndrome de « l'état failli » en Afrique, du processus de criminalisation et de la perte de légitimité des institutions politiques. Mais le Congo contredit cette thèse. Les théoriciens de l'état failli minimisent l'importance du commerce international et de l'influence occidentale dans les faillites qu'ils déplorent. C'est la mondialisation qui a rendu possibles les guerres du Congo, et d'autres gouvernements africains y ont joué un rôle. En avril 2001, le rapport du groupe des experts de l'ONU sur l'exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo signalait que des sociétés étrangères « étaient prêtes à faire des affaires sans se préoccuper des éléments d'illégalité… Les sociétés commercialisant les minerais, qui constituent le moteur du conflit au Congo, préparaient le terrain à des activités minières illégales dans ce pays. »

C'est dans cette ambiance que le monde a exigé l'élection démocratique du président et du parlement. C'est presque comme si, en brandissant une baguette magique nommée démocratie occidentale, le Congo allait être sauvé alors que le démembrement est imposé par des politiciens faisant le jeu des sociétés minières occidentales.

Si tel est le cas, le monde doit prendre la responsabilité de bien voir clair dans ce qu'il a exigé. Les élections vont coûter près de 500 millions de dollars et elles devront se dérouler dans une atmosphère d'unité et de réconciliation nationale, mais il y a bien des chances pour qu'elles provoquent encore plus de division.

Le COE, ses agences et ses Eglises membres au Congo, la Conférence des Eglises de toute l'Afrique, l'Association des conseils chrétiens et des Eglises de la région des Grands Lacs et de la Corne de l'Afrique (FECCLAHA), le Forum oecuménique de la Région des Grands Lacs (GLEF) et ACT International se sont tous engagés à accompagner le Congo dans son itinéraire vers la paix, l'unité nationale et la réconciliation.

Bientôt, votre pays va connaître des élections nationales. Dans tout système démocratique, il est essentiel que les élections soient libres et honnêtes. Pour organiser une élection de ce type, il faut au moins quatre conditions importantes :

Un système judiciaire indépendant pour interpréter les lois électorales

Un organisme électoral honnête, compétent et impartial pour gérer les élections

Un système développé de partis politiques

Une acceptation générale des règles du jeu par le monde politique.

Par conséquent, une élection libre et honnête de ce type pourrait amener une manière de gouverner démocratique, pourvu que soient mis en place des façons de rendre des comptes, des partis politiques qui fonctionnent, l'indépendance de la magistrature, la promotion et la protection des droits et de la dignité de la personne.

En adressant ce message au peuple du Congo, je voudrais assurer ce pays, las de la guerre, de notre solidarité et de nos prières, de notre attachement et de notre action. En ce qui concerne le monde, nous l'exhortons à se repentir de la conspiration par laquelle il a exploité les ressources du Congo et sa population en vue du profit, à mettre fin à son indifférence et à reconnaître la honte de l'oppression.

L'effort consistant à conduire ce pays vers les élections est sans doute louable, et cela pourrait contribuer à mettre fin au cycle de la violence et du désespoir, mais il faut mettre un terme à l'impunité concernant la quantité épouvantable de violations des droits de la personne.

Sans argent pour reconstruire provenant du monde développé, sans augmentation des forces de maintien de la paix pour protéger les innocents, sans l'engagement sincère des responsables que le Congo choisira, quels qu'ils soient, et si les responsables eux-mêmes de l'Afrique ne viennent pas donner du pouvoir à ce coeur du continent, ces élections ne feront rien avancer, des millions de personnes seront mortes en vain, et des millions d'autres seront confrontées au même avenir.

Nous ne devons pas permettre que se poursuive l'indifférence de siècles d'oppression et d'exploitation.

Au nom de Dieu, il faut que cela cesse.

Dieu bénisse l'Afrique,

Qu'il garde ses enfants,

Qu'il guide ses chefs,

Et qu'il lui accorde la paix, au nom de Jésus Christ,

Amen !

Pasteur Samuel Kobia
Secrétaire général