Un appel à établir des relations responsables dans la mission et à renoncer au prosélytisme

AVANT-PROPOS

Le souci du témoignage commun et de l'unité des Églises a toujours été prioritaire pour le mouvement oecuménique et le Conseil oecuménique des Églises, qui ont reconnu que le prosélytisme est un scandale et un contre-témoignage. de nombreuses reprises, des déclarations oecuméniques ont exprimé le besoin de plus de netteté dans la manière de vivre les relations dans la mission, de plus de fermeté dans l'engagement à témoigner dans l'unité et à renoncer au prosélytisme. Et pourtant, depuis près de 50 ans de compagnonnage oecuménique au sein du COE, le prosélytisme demeure une réalité douloureuse de la vie des Églises. 1

La question du prosélytisme resurgit aujourd'hui comme un facteur de division entre les Églises et même comme une menace pesant sur le mouvement oecuménique. Face à cette situation si complexe, le Comité central, réuni à Moscou en 1989, a demandé à l'ancienne Commission de mission et d'évangélisation d'"étudier cette question plus avant en vue d'une éventuelle action et d'examiner les déclarations existantes afin de les mettre à jour, le cas échéant". Une requête semblable émane de la Cinquième Conférence de Foi et Constitution (Saint-Jacques-de-Compostelle, 1993), souhaitant que l'on entreprenne "une nouvelle étude, plus étendue, sur la mission, l'évangélisation et le prosélytisme".

Le présent document a été élaboré par l'Unité II du COE pour répondre à ces demandes. L'Unité a entrepris un vaste processus de consultations et d'étude afin de donner une image précise de la situation actuelle et de rechercher comment avancer dans ce domaine. Sociétés missionnaires, Églises, missiologues et théologiens, paroisses locales et ordres religieux de diverses parties du monde y ont participé par correspondance. En outre, une série de colloques ont eu lieu: "Vers des relations responsables dans la mission" (Chambésy, 1993); un colloque orthodoxe sur "Mission et prosélytisme" (Sergiev Possad, Russie, 1995); "Appelés au témoignage commun" (Manille, 1995); "Le témoignage commun" (Bossey, 1996). On s'est tout particulièrement efforcé au cours de ces rencontres de favoriser le dialogue entre ceux qui font du prosélytisme et ceux qui le subissent et de s'assurer la participation non seulement d'Églises membres du COE, mais aussi de membres des communautés évangéliques, pentecôtistes et charismatiques.

Ce qui ressort des documents et des déclarations des Églises et d'autres organismes sur cette question a servi, après une analyse attentive, à l'élaboration du présent document. Un contact permanent a été maintenu avec le Groupe mixte de travail, dans un esprit de partage et de coopération. Son document d'étude "The Challenge of Proselytism and the Calling to Common Witness" (1995 - Le défi du prosélytisme et l'appel au témoignage commun) est l'un des textes fondamentaux utilisés dans la préparation de la présente déclaration. Cependant, l'étude de l'Unité II a bénéficié d'une participation plus large encore; elle insiste sur les conséquences d'ordre missiologique et pastoral que le prosélytisme entraîne pour la vie des Églises locales, en route vers le témoignage commun et l'unité des chrétiens. Une première version de la présente déclaration figurait dans la documentation de la Conférence mondiale sur la mission et l'évangélisation de Salvador de Bahia, Brésil (1996).

Nous présentons cette déclaration, persuadés qu'elle vient à son heure et qu'elle est importante pour les Églises, partout dans le monde. La manière dont elle a été élaborée reflète l'esprit du document "Conception et vision communes du COE", en ce sens qu'elle a permis une participation plus large que de coutume aux discussions oecuméniques.

INTRODUCTION

Au cours de ces dernières années, des événements dramatiques qui ont eu lieu dans différentes parties du monde ont obligé la famille oecuménique à reprendre plus en profondeur certaines questions relatives au témoignage commun et au prosélytisme. Pour le COE, la situation revêt un caractère d'autant plus urgent que des plaintes s'élèvent aujourd'hui à l'adresse de certaines des Églises membres ainsi que d'Églises et de groupements qui ne font pas partie de cette communauté d'Églises, au sujet d'activités relevant du prosélytisme.

Voici quelques-unes des réalités qui, aujourd'hui, font du tort aux relations entre Églises dans différentes parties du monde et qui exigent de la famille oecuménique une attention immédiate:

  • des activités missionnaires concurrentes, particulièrement en Europe centrale et orientale, en Afrique, en Asie et en Amérique latine, menées de manière indépendante par des groupes missionnaires, des Églises et des individus venus de l'étranger, visant souvent des membres engagés de l'une des Églises de ces pays et aboutissant à l'établissement de structures ecclésiales parallèles;
  • la résurgence des tensions entre les Églises orthodoxes et l'Église catholique romaine au sujet des Églises catholiques de rite oriental;2
  • l'accroissement considérable du nombre de nouveaux organismes missionnaires indépendants ayant leur siège dans les pays du Sud et qui sont à l' oeuvre dans d'autres régions du monde, souvent sans aucun contact avec les Églises de ces régions;
  • une frustration croissante dans les Églises, notamment celles des pays du Sud, dont les membres sont attirés vers d'autres Églises par des offres d'aide humanitaire;
  • les activités humanitaires auprès des immigrants, des pauvres, des isolés et des personnes déracinées des grandes villes, visant à les persuader de changer leur appartenance ecclésiale;
  • la montée du fondamentalisme et de l'intolérance dans le domaine religieux;
  • l'influence croissante des sectes et des nouveaux mouvements religieux dans de nombreuses régions du monde;
  • la déconsidération dont les Églises chrétiennes minoritaires établies sont l'objet dans les communautés multireligieuses.

La présente déclaration a pour but: (1) de rendre les Églises et les chrétiens conscients de la dure réalité du prosélytisme aujourd'hui; (2) d'inviter les personnes impliquées dans le prosélytisme à reconnaître les effets désastreux qu'il a sur l'unité de l'Église, sur les relations entre chrétiens et sur la crédibilité de l'Évangile, et d'y renoncer; (3) d'encourager les Églises et les organismes missionnaires à éviter la concurrence sous toutes ses formes dans le domaine de la mission, et de s'engager à nouveau à rendre témoignage dans l'unité.

A. TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN ET LIBERTÉ RELIGIEUSE
1. L'impératif missionnaire

En premier lieu et en définitive, la mission chrétienne est la mission de Dieu, missio Dei. Elle a pour centre le dessein éternel d'amour du Dieu trinitaire pour l'humanité et pour la création tout entière, qui a été révélé en Jésus Christ. La présence vivifiante de l'Esprit Saint est au c ur de la mission de Dieu; il poursuit la mission du Christ au travers de l'Église et demeure la source de son dynamisme missionnaire. L'Assemblée du COE à Canberra (1991) a défini une vision de la mission dans l'unité: "L'avènement d'une création réconciliée et renouvelée est le but de la mission de l'Église. La vision de Dieu unissant toutes choses en Christ est la force qui la fait vivre et l'incite au partage."3

En tant que corps du Christ, fondé, maintenu et dynamisé par la présence vivifiante de l'Esprit Saint, l'Église est missionnaire de par sa nature. Elle proclame qu'en Jésus Christ, Parole faite chair, mort et ressuscité, Dieu offre à tous le salut, don d'amour, de miséricorde et de libération.

La participation à la mission de Dieu est un impératif pour tous les chrétiens et toutes les Églises; il n'est pas réservé à des individus particuliers ou à des groupes spécialisés. Elle est une force intérieure, enracinée dans les exigences profondes de l'amour du Christ, qui pousse à inviter les autres à prendre part à la plénitude de vie que Jésus est venu apporter (cf. Jean 10,10) La mission conforme au Christ est globale, holistique, car la personne tout entière et la totalité de la vie sont indissociables dans le plan de salut que Dieu accomplit en Jésus Christ. Elle est locale "c'est à l'Église locale lorsqu'elle existe qu'incombe la responsabilité première de la mission, dans son lieu de vie".4 Elle est aussi universelle, c'est-à-dire qu'elle s'adresse à tous les peuples, par-delà les barrières des races, des castes, des sexes, des cultures, des États "jusqu'aux extrémités de la terre", dans tous les sens du terme(cf. Actes 1,8; Marc 16,15; Luc 24,47).

2. Le témoignage commun: la mission dans l'unité

De nombreux documents du COE ont rappelé qu'entre la crédibilité de la mission de l'Église dans le monde et l'unité des chrétiens existe un lien intrinsèque qui apparaît clairement lorsque Jésus prie: "que tous soient un ... afin que le monde croie" (Jean 17,21) et qui a déjà été réalisé dans la communauté des apôtres à Jérusalem, le jour de la Pentecôte. Le témoignage commun est "le témoignage que les Églises rendent ensemble, malgré les divisions qui existent encore entre elles, en particulier lorsqu'elles unissent leurs efforts et manifestent tous les dons divins de vérité et de vie qu'elles vivent et partagent déjà les unes avec les autres".5 On peut considérer ce témoignage comme "une vision eucharistique de la vie' qui rend grâce pour ce que Dieu a fait dans le passé, fait aujourd'hui et fera encore pour le salut du monde, en donnant à nos actes le sens d'une joyeuse offrande de nous-mêmes".6

Malgré les nombreuses barrières qui séparent les Églises, celles qui sont membres du COE ont été en mesure de reconnaître qu'un certain degré de communion ecclésiale existe entre elles, toute imparfaite qu'elle soit encore. En confessant "le Seigneur Jésus Christ comme Dieu et Sauveur selon les Écritures", elles cherchent, au travers du COE, à "répondre ensemble à leur commune vocation pour la gloire du seul Dieu, Père, Fils et Saint Esprit".7 Sur cette base, d'autres fondements du témoignage commun rendu devant le monde peuvent être affirmés ensemble. La reconnaissance mutuelle du baptême (telle qu'elle figure dans le texte du COE "Baptême, eucharistie, ministère") est le fondement de l'unité chrétienne et du témoignage commun.

Le témoignage commun authentique présuppose le respect et la compréhension à l'égard des autres traditions et confessions. Il faut insister sur ce qui est commun et ce qui peut être accompli ensemble, plutôt que sur les barrières qui divisent. Même lorsque des différences apparemment inconciliables demeurent sur certaines questions, il faut proclamer la vérité dans l'amour (Ép 4,15), pour l'édification de l'Église (Ép 4,12), et non pas pour faire triompher sa propre position sur celle des autres. Les facteurs d'unité sont plus nombreux que ceux qui divisent. Et ce sont ceux-là qu'il faut rechercher pour construire le témoignage dans l'unité.

3. La mission dans le contexte de la liberté religieuse

La vérité et l'amour de Dieu sont donnés dans la liberté et nous invitent à répondre librement. Le libre arbitre est l'un des dons les plus grands que Dieu ait confiés aux êtres humains. Il n'oblige personne à accepter sa révélation et ne sauve personne contre son gré. A partir de cette conception, le Conseil international des missions et le Conseil oecuménique des Églises - alors en voie de formation - ont défini la liberté religieuse comme un droit fondamental de la personne humaine. Cette définition a été adoptée par la Première Assemblée du COE à Amsterdam (1948) et par la suite, sur la proposition de la Commission des Églises pour les affaires internationales du COE, elle a été incorporée à la Déclaration universelle des droits de l'homme: "Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seul ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites". Le même principe doit s'appliquer au travail missionnaire.

La Cinquième Assemblée du COE (1975) a réaffirmé l'importance centrale de la liberté religieuse et a déclaré: "Le droit à la liberté religieuse a toujours été l'une des préoccupations majeures des Églises membres et du COE. Ce droit ne devrait toutefois jamais être considéré comme l'apanage exclusif de l'Église ... Ce droit est indissociable d'autres droits fondamentaux de la personne humaine. Aucune communauté religieuse ne devrait revendiquer sa propre liberté si elle ne s'engage pas à respecter réellement la foi et les droits fondamentaux des autres. La liberté religieuse ne saurait être prétexte à réclamer des privilèges. Pour l'Église, ce droit est fondamental si elle veut pouvoir assumer les responsabilités qui découlent de la foi chrétienne. L'obligation de servir l'ensemble de la communauté est au centre de ces responsabilités."8 La liberté d'une personne doit toujours inclure le respect et l'affirmation de celle des autres et la favoriser; elle ne doit pas aller à l'encontre de la règle d'or: "Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux"(Mt 7,12).

B. LE PROSÉLYTISME, UN CONTRE-TÉMOIGNAGE

Le terme "prosélyte" désignait à l'origine une personne qui devenait membre de la communauté juive en adhérant à la foi en Yahweh et en respectant la Loi de Moïse; plus tard, au début de l'ère chrétienne, on l'a utilisé pour désigner les adeptes d'autres religions qui se convertissaient au christianisme; au cours des siècles, le terme de prosélytisme a pris un sens négatif en raison des changements de contenu, de motivation, d'esprit et de méthode de "l'évangélisation".

On parle aujourd'hui de "prosélytisme" pour désigner le fait d'encourager des chrétiens, considérés comme membres d'une Église donnée, à changer leur appartenance confessionnelle par des moyens qui "vont à l'encontre de l'esprit de l'amour chrétien, violent la liberté de la personne humaine et amoindrissent la confiance que l'on peut avoir dans le témoignage chrétien de l'Église".9

Le prosélytisme est une "corruption du témoignage".10 A première vue, il peut apparaître comme une activité missionnaire authentique et enthousiaste. Certaines des personnes qui s'y livrent sont des chrétiens véritablement engagés et convaincus qu'ils travaillent à une mission conforme au Christ. Mais le but, l'esprit et les méthodes utilisées dans ces activités en font du prosélytisme.

Certains traits caractéristiques permettent de distinguer nettement entre témoignage chrétien authentique et prosélytisme; ce sont:

  • le fait de critiquer de manière déloyale ou de caricaturer les doctrines, croyances et pratiques d'une autre Église sans chercher à les comprendre ou à entrer en dialogue avec cette Église sur ces questions. On accuse certaines personnes qui vénèrent les icônes d'adorer des idoles; on en tourne d'autres en ridicule pour leur prétendue idolâtrie envers Marie ou les saints, ou on les juge parce qu'elles prient pour les morts;
  • le fait de présenter sa propre Église ou confession comme "la vraie Église", et son enseignement comme "la vraie foi" et la seule voie du salut, de rejeter le baptême des autres Églises comme non valable et de persuader les gens de se faire rebaptiser;
  • le fait de présenter sa propre Église comme possédant une moralité et une spiritualité supérieures, en contraste avec les faiblesses et les problèmes dont souffrent les autres;
  • le fait de profiter des problèmes qui peuvent exister dans une autre Église et de les utiliser à des fins déloyales pour gagner de nouveaux membres pour sa propre Église;
  • le fait d'offrir de l'aide humanitaire ou des possibilités de formation pour encourager les gens à devenir membres d'une autre Église;
  • le fait d'user de moyens de pression politiques, culturels et ethniques ou de recourir à des arguments historiques pour gagner des membres pour sa propre Église;
  • le fait de profiter de l'absence d'instruction ou d'éducation chrétienne de gens désarmés pour les faire adhérer à une autre Église;
  • le fait d'user de violence physique ou morale ou de moyens de pression psychologique pour pousser les gens à changer d'appartenance ecclésiale. L'utilisation de techniques médiatiques qui présentent une Église donnée de manière à exclure, discréditer ou dénigrer ses adhérents, le harcèlement par des visites répétées à domicile, les menaces d'ordre physique ou spirituel, et l'insistance mise à vanter la voie du salut "supérieure" qu'offre une autre Église en sont des exemples;
  • le fait d'exploiter la solitude, la détresse ou même la déception qu'éprouvent certaines personnes à l'égard de leur Église pour les "convertir".

Le témoignage commun est constructif: il enrichit, questionne, fortifie et construit des relations et une communauté chrétiennes solides. Par la parole et l'action, il met en lumière la pertinence de l'Évangile dans le monde contemporain. Le prosélytisme est une perversion du témoignage chrétien authentique, et donc un contre-témoignage. Il ne construit pas, mais détruit. Il est cause de tensions, de scandales et de divisions et constitue par là un facteur de déstabilisation de l'Église du Christ dans le monde. Il est toujours une blessure infligée à la koinonia et ne crée pas la communion, mais incite à l'antagonisme.

Toutefois, il faut admettre que certaines personnes passent d'une Église à une autre, poussées par une conviction réelle, sans avoir subi ni pression, ni manipulation relevant du prosélytisme, mais par une décision libre, déterminée par l'expérience qu'elles ont faite de la vie et du témoignage d'une autre Église.

Les Églises doivent sans cesse s'interroger sur la manière dont elles vivent, pour savoir si elles sont responsables de certaines des causes qui poussent les gens à changer d'appartenance ecclésiale.

C. POUR DES RELATIONS RESPONSABLES DANS LA MISSION:
QUELQUES LIGNES DIRECTRICES

1. Questions proposées à l'étude et à la réflexion

Pour que se développent, dans le domaine de la mission, des relations responsables, favorables à un témoignage commun véritable, permettant d'éviter le prosélytisme, il est nécessaire de poursuivre le dialogue, la réflexion et l'étude dans une série de domaines importants de l'ecclésiologie et de la théologie ainsi que dans d'autres domaines:

  • les facteurs historiques et sociaux, dont (1) la diversité de l'expérience vécue par les différentes Églises, (2) l'ignorance ou les interprétations différentes de l'histoire de sa propre Église et de celle des autres, et des souvenirs douloureux qu'elle a laissés, et (3) les perspectives et perceptions différentes selon que l'on appartient à une Église majoritaire ou minoritaire, dans des contextes où une seule Église a été identifiée à une nation, un peuple ou une culture donnée;
  • les conceptions différentes et même contradictoires du contenu de la foi chrétienne dans les domaines du culte, des sacrements et de l'autorité doctrinale de l'Église et des limites de la diversité légitime existant dans ces domaines;
  • les conceptions différentes concernant la qualité de membre de l'Église et la nature de l'engagement chrétien, en particulier lors de l'emploi d'expressions qui impliquent un jugement de valeur (comme par exemple "nominal", "engagé", un "vrai" chrétien, ou un chrétien "qui a passé par la nouvelle naissance", "détaché de l'Église", "évangélisation" et "réévangélisation"), qui sont souvent source de tensions entre les Églises et entraînent des accusations de prosélytisme;
  • les conceptions différentes quant au but de la mission, qui entraînent des divergences de comportements et de styles missionnaires, en particulier au niveau des notions de "croissance" et "d'expansion" de l'Église, qui semblent s'intéresser en priorité au nombre de "convertis" et encourager ainsi la mission auprès de ceux qui sont déjà membres d'une Église chrétienne;
  • les compréhensions divergentes de l'universalité de la mission, et notamment les questions relatives à la validité du principe de "territoire canonique", hérité de l'Église ancienne, selon lequel l'Église locale, déjà présente en un lieu donné, porte la responsabilité première de la vie chrétienne des habitants de ce territoire, aucun autre chrétien, groupe ou Église ne pouvant agir ou établir des structures ecclésiales sans en référer à l'Église locale et coopérer avec elle.

2. Pour avancer: quelques propositions pratiques

Malgré les problèmes qui restent à résoudre, la réflexion oecuménique menée au cours des dernières décennies et l'expérience acquise ont démontré que la réconciliation et la compréhension mutuelle sont possibles et que le témoignage rendu dans l'unité peut devenir réalité à une échelle plus grande encore.

Puisque des contextes nouveaux invitent à prendre de nouvelles initiatives pour annoncer l'Évangile dans un climat d'unité, les Églises partenaires dans la mission s'engagent à:

  • approfondir leur compréhension de ce que signifie être l'Église dans le monde d'aujourd'hui, accepter et célébrer les relations qui les unissent dans l'unité du corps du Christ (cf. 1 Co 12,12);
  • approfondir la conviction que c'est à la mission de Dieu que les Églises participent, en tant que ses collaborateurs, et non pas à leur propre entreprise;
  • s'efforcer de parvenir à une conception et à une vision communes plus vastes de leur rôle missionnaire dans la société contemporaine;
  • avancer ensemble sur les pas du Christ vers de nouveaux horizons missionnaires en s'écoutant, s'accompagnant, se ressourçant et s'accueillant mutuellement;
  • renouveler leur détermination à manifester ensemble la "vocation qui [les] a appelés à une seule espérance" (Ép 4,4), afin de participer plus pleinement au plan de salut de Dieu qui veut réconcilier et réunir tous les peuples et toutes choses en Christ (cf. Ép 1,9-10).

La route est encore longue, qui mène à l'évangélisation accomplie en partenariat et en communion oecuménique; c'est pourquoi les Églises partenaires dans la mission doivent:

  • se repentir de leurs erreurs passées et examiner d'un regard plus critique leurs relations mutuelles et leurs méthodes d'évangélisation, afin de surmonter tout ce qui, dans leur vocabulaire théologique et doctrinal et dans leurs orientations et stratégies missionnaires, témoigne d'un manque d'amour, de compréhension et de confiance à l'égard des autres Églises;
  • renoncer à toutes les formes de concurrence et de rivalité entre dénominations, et à la tentation de faire du prosélytisme auprès des membres d'autres traditions chrétiennes, ces choses allant à l'encontre de la prière de Jésus pour l'unité de ses disciples (Jean 17,21);
  • éviter d'établir des structures ecclésiales parallèles, mais stimuler, aider les Églises locales et coopérer avec elles dans leur travail d'évangélisation au sein de la société en général, et auprès de leurs propres membres, particulièrement ceux qui ne le sont que de nom;
  • condamner toute manipulation de l'aide humanitaire offerte à des chrétiens individuels ou à des Églises dans l'intention de pousser les gens à changer leur appartenance confessionnelle ou de promouvoir les objectifs missionnaires d'une Église au détriment d'une autre;
  • aider les personnes qui sont en train de changer d'Église à reconnaître la nature, bonne ou mauvaise, des motifs qui les poussent à le faire (par exemple la promotion sociale ou de meilleures chances dans la vie);
  • apprendre à se dire les uns aux autres "la vérité dans l'amour" lorsque l'on pense que d'autres font du prosélytisme ou se livrent à des pratiques d'évangélisation malhonnêtes.

Il ne sera possible de parvenir à cette communion, à ce partenariat, que si les chrétiens et les Églises:

  • s'écoutent mutuellement dans un réel dialogue dont le but est de surmonter l'ignorance, les préjugés et les malentendus, de considérer leurs différences dans la perspective de l'unité chrétienne, de renoncer aux accusations injustes, à la polémique, au dénigrement et au rejet des autres;
  • s'efforcent d'assurer une meilleure communication des informations, de se rendre mutuellement compte de leurs activités missionnaires, cela à tous les niveaux, et de discuter ensemble avant de lancer des programmes d'évangélisation;
  • s'encouragent, se soutiennent et se complètent mutuellement dans leurs activités missionnaires dans un esprit oecuménique et, avant d'entreprendre quoi que ce soit, se concertent avec l'Église de la région en cause sur les possibilités d'une collaboration missionnaire et d'un témoignage dans un climat d'unité;
  • se montrent prêtes à apprendre ce que les autres ont à leur enseigner par exemple leur dynamisme et leur joie missionnaires, leur sens de la communauté, leur exultation dans l'Esprit Saint, leur spiritualité;
  • recherchent avec plus de zèle le renouveau intérieur de leurs traditions et de leurs contextes culturels respectifs.

CONCLUSION

En accord avec la Conférence mondiale sur la mission et l'évangélisation à Salvador de Bahia, "nous refusons les pratiques de ceux qui réalisent leurs entreprises missionnaires par des méthodes qui détruisent l'unité du corps du Christ, la dignité humaine, la vie et la culture de ceux qui font l'objet de cette évangélisation'; nous les appelons à confesser leur prosélytisme et à y renoncer."11

Appelés à une seule espérance, nous nous engageons à répondre à notre vocation missionnaire commune et à travailler en vue d'une mission accomplie dans l'unité. Nous recherchons activement l'avènement d'une ère nouvelle de "mission conforme au Christ" à l'aube du troisième millénaire, où les dons de chacun enrichiront les autres et où nous serons unis dans l'Esprit Saint.

"Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu'ils croient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m'as envoyé; et moi, je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée, pour qu'ils soient un comme nous sommes un, moi en eux comme toi en moi, pour qu'ils parviennent à l'unité parfaite et qu'ainsi le monde puisse connaître que c'est toi qui m'as envoyé et que tu les as aimés comme tu m'as aimé" (Jean 17, 20-23).

RECOMMANDATIONS

Le Comité Central a recommandé le document "Vers un témoignage commun" aux Églises afin qu'elles l'étudient et agissent en conséquence; en outre, pour en faciliter l'application, il a approuvé les recommandations suivantes:

1. Recommandations aux Églises et aux organisations qui y sont rattachées:

a) faire de plus gros efforts pour inculquer à leurs fidèles dans les paroisses, les écoles du dimanche, les centres de formation et les séminaires, le respect et l'amour à l'égard des membres des autres Églises, qui sont leurs s urs et frères en Christ;
b) chercher activement à faire connaître les héritages et les apports des autres Églises qui, malgré les divergences, confessent le même Jésus Christ comme Dieu et Sauveur, adorent le même Dieu trinitaire et sont engagées dans le même témoignage au monde;
c) favoriser les efforts faits pour promouvoir la réconciliation en cherchant à soigner les blessures de l'histoire et à guérir les mémoires;
d) susciter (le cas échéant avec l'aide du COE) la rencontre et le dialogue aux niveaux local, national et régional avec ceux qui sont engagés dans un travail missionnaire perçu comme du prosélytisme, afin de les aider à comprendre leurs motivations, de leur faire prendre conscience des effets négatifs de leurs activités, et de promouvoir des relations responsables dans la mission;
e) chercher des occasions de travailler en collaboration avec d'autres Églises sur des questions pastorales et sociales qui touchent les communautés locales et les pays; et s'ouvrir à une coopération authentique avec d'autres quand il s'agit de répondre aux besoins des gens auprès desquels elles travaillent;
f) renoncer ensemble au prosélytisme, négation d'un témoignage authentique et obstacle à l'unité de l'Église, et appeler instamment à un témoignage commun, à l'unité et à la compréhension parmi les Églises qui proclament l'Évangile;
g) continuer à prier ensemble pour l'unité des chrétiens, laissant l'Esprit de Dieu conduire les Églises vers la plénitude de la vérité et une plus parfaite obéissance.

2. Recommandations au Conseil Oecuménique des Églises:

a) mettre davantage l'accent sur la formation oecuménique en faisant appel à toutes les ressources dont il dispose dans son secteur "éducation", face à la tendance de plus en plus forte au particularisme confessionnel et aux rivalités entre confessions;
b) entreprendre une étude sur l'ecclésiologie et la mission, puisqu'un grand nombre des points de tension et de division liés au témoignage commun viennent des vues divergentes qui existent sur ces questions.

Bien que l'on reconnaisse que la responsabilité première de l'application du document "Vers un témoignage commun" incombe aux Églises, le COE devrait jouer un rôle d'animateur et stimuler le dialogue au sein des Églises et entre elles sur cette question.

NOTES

1. La question du prosélytisme en tant que préoccupation de l' cuménisme s'est posée dès avant la fondation du COE. L'encyclique publiée en 1920 par le Patriarcat oecuménique, qui proposait la fondation d'une "koinonia" d'Églises, demandait la cessation de toute activité liée au prosélytisme. Lors des réunions préliminaires de Foi et constitution et du Christianisme pratique, au cours de la même année, on souleva à nouveau la question du prosélytisme. Depuis la fondation du COE, cette question a été reconnue comme l'un des obstacles à l'unité des chrétiens. En 1954 déjà, face aux problèmes qui affectaient les relations entre certaines Églises membres, le Comité central, réuni à Evanston, résolut de nommer une commission chargée d'étudier de manière approfondie la question du prosélytisme et de la liberté religieuse. Après une période d'étude semée de difficultés, la commission a présenté une première rédaction d'une déclaration sur "Témoignage chrétien, prosélytisme et liberté religieuse" dans le cadre du Conseil oecuménique; après avoir été amendée à deux reprises par le Comité central (1956 et 1960), cette déclaration a été approuvée par la Troisième Assemblée du COE (Nouvelle Delhi, 1961). Les questions relatives au prosélytisme et au témoignage commun ont aussi figuré à l'ordre du jour du Groupe mixte de travail de l'Église catholique romaine et du COE; celui-ci a rédigé trois grands documents: "Le témoignage commun et le prosélytisme"(1970); "Témoignage commun" (1982 trad. française: 1983); "The Challenge of Proselytism and the Calling to Common Witness" ("Le défi du prosélytisme et l'appel au témoignage commun"), 1995.

En outre, de nombreux documents et déclarations au sujet du témoignage commun et du prosélytisme ont vu le jour récemment; ils sont le fruit de dialogues bilatéraux entre Églises, au niveau local et international. La Conférence des Églises européennes et le Conseil des Églises du Moyen-Orient ont également entrepris des études sur la question.

2. Les Églises catholiques de rite oriental tirent leur origine des groupes de chrétiens anciennement orthodoxes qui sont entrés dans la pleine communion de l'Église catholique romaine, rassemblée autour de l'évêque de Rome, mais qui ont gardé diverses traditions liturgiques et canoniques orientales, héritées de leurs Églises d'origine.

3. Signes de l'Esprit, Rapport officiel, Septième Assemblée, WCC Publications, Genève, 1991, p.110.

4. Conférence mondiale sur la mission et l'évangélisation, "Appelés à une seule espérance L'Évangile dans les différentes cultures", Salvador, Brésil, 1996, Rapport de la Section IV.

5. Thomas Stransky, "Common Witness", dans Dictionary of the Ecumenical Movement, Genève, WCC Publications, 1991, p.197.

6. Cinquième Conférence mondiale de Foi et Constitution, Saint-Jacques-de-Compostelle 1993, Rapport de la Section 4, introduction 4 (document polycopié p.33).

7. Base du COE, dans Constitution et règlement du Conseil oecuménique des Églises.

8. Cf. Briser les barrières, Rapport officiel de la Cinquième Assemblée du Conseil oecuménique des Églises, L'Harmattan, Paris, 1976, p.225. Voir aussi le rapport du Colloque orthodoxe sur "Mission et prosélytisme", Sergiev Possad, Russie, 1995.

9. Cf. Le rapport sur le colloque de Sergiev Possad, sur "Mission et prosélytisme".

10. "Rapport révisé sur le thème "Témoignage chrétien, prosélytisme et liberté religieuse dans le cadre du Conseil oecuménique des Églises'" dans Minutes and Reports of the Central Committee of the World Council of Churches, St Andrews, Scotland, August 1960, Genève, COE, 1960, p.214.

11. Conférence mondiale sur la mission et l'évangélisation, Salvador, Rapport de la Section IV.