"Ne vous faites pas d'illusions: Dieu ne se laisse pas narguer;
car ce que l'homme sème, il le récoltera." (Galates 6,7)

  1. Ces paroles de sagesse tirées de l'Ecriture doivent aujourd'hui servir de mise en garde dans un contexte très différent. Ce texte jette un éclairage moral sur une arme de guerre moderne, un instrument aveugle qui déjoue les intentions de ses utilisateurs et entraîne de terribles conséquences pour ses victimes. En tant que chrétiens, nous vivons dans la lumière de la promesse de Dieu que les épées seront transformées en socs, les lances en serpes, et qu'"on n'apprendra plus à se battre" (Esaïe 2,4). Face à ce vaste mandat de lutter contre la violence, l'usage de munitions en grappe constitue un défi particulièrement pressant. Conçues pour être utilisées au plus fort des combats, ces munitions frappent et frappent encore une fois que la guerre est finie; disséminées en un instant au cours des opérations, les bombes en grappe font une moisson mortelle pendant des décennies; conçues pour arrêter l'avance de troupes et de tanks, ces armes tuent en général des civils, les uns après les autres. Nous connaissons le cas d'une religieuse de Serbie qui avait ramassé des "bombettes" (sous-munitions) dispersées dans un champ et qui, sans se douter de rien, les apporta dans son couvent; le cas d'un Libanais qui déposa son enfant dans un arbre pour le mettre à l'abri des bombettes qui se trouvaient sur le sol, mais l'enfant fut tué par une bombette tombée de l'arbre pendant que le père allait chercher du secours; le cas d'une mère laotienne qui mourut dans son jardin, tuée par l'une des millions de bombettes dispersées dans son pays au cours d'une guerre qui se déroula avant sa naissance.
  2. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, les munitions en grappe ont été utilisées dans quelque 35 pays, dont l'Irak, le Koweït, l'Afghanistan, la Tchétchénie, l'ex-Yougoslavie, l'Angola, le Cambodge et le Vietnam. Lors de la guerre de 2006 entre Israël et le Liban, quelque 4 millions de bombettes furent dispersées dans le sud du Liban. Les Nations Unies estiment qu'un million de celles-ci n'ont pas explosé, dont les deux tiers sont disséminés dans des régions habitées. 98% au moins des victimes des munitions en grappe sont des civils.
  3. Une arme à sous-munitions en grappe est un conteneur dans lequel sont enfermées de nombreuses sous-munitions explosives. Ces sous-munitions (ou bombettes) sont dispersées pour tuer ou blesser des personnes dans un vaste rayon. Elles sont conçues pour exploser dans l'air ou au sol, mais nombreuses sont celles qui n'explosent pas, constituant ainsi des restes explosifs de conflit qui peuvent causer la mort d'enfants, de femmes et d'hommes vivant sur les lieux.
  4. Environ 75 pays possèdent des munitions en grappe. Dans les réserves sont accumulées des milliards de sous-munitions, souvent vieilles et peu fiables. Tout récemment encore, les gouvernements n'avaient pas entrepris de réflexion concertée sur la multiplication des munitions en grappe ni sur les problèmes que pose leur utilisation. Cependant, le recours massif et indifférencié à ce type d'armes vers la fin de la guerre au sud du Liban, alors qu'un cessez-le-feu avait été conclu, a suscité de vives préoccupations dans l'opinion mondiale, et cette tragédie a donné l'élan à des campagnes concertées. La nécessité de se préoccuper des munitions en grappe a fait son chemin dans les esprits au niveau international. Plus de 80 Etats et 250 organisations non gouvernementales ont maintenant uni leurs forces pour brûler les étapes en vue de négocier en 2008 un traité sur les munitions en grappe. Ce traité interdirait toutes ces munitions ou certaines d'entre elles, apporterait une aide aux survivants et aux communautés touchées et exigerait le déminage des zones contaminées.
  5. Nous estimons que les munitions en grappe doivent être éliminées parce que leur utilisation frappe aveuglément les civils. Ces armes à dispersion étendue ne répondent pas à deux dispositions importantes du droit international humanitaire destiné à protéger les civils lors des conflits : 1) l'obligation de distinguer entre civils et combattants et 2) l'obligation d'éviter toute perte civile hors de proportion avec des gains militaires directs. Les munitions en grappe mettent gravement en danger la vie des civils au moment de leur utilisation et pendant des décennies. Elles ont aussi des conséquences à long terme sur les opérations de maintien de la paix, sur la reconstruction à la suite des conflits et sur les moyens d'existence de la population civile.
  6. Les arguments en faveur de certaines exceptions à cette interdiction ne sont pas convaincants. Si des dispositifs d'autodestruction limitent le nombre de bombettes non explosées, ils ne sont pas infaillibles, notamment sur le terrain. Même en parvenant à un taux de sous-munitions non explosées de 1%, le danger de mort et de contamination qui subsiste sur le terrain demeure inacceptable. Un pour cent d'un million de sous-munitions représente 10 000 bombettes. Aucune des mesures proposées ne modifie le caractère indiscriminé et disproportionné de l'utilisation originelle. Les solutions techniques ne résolvent pas les problèmes humanitaires et moraux liés à l'utilisation des armes à dispersion. Ce qu'il faut, c'est un traité qui s'applique à toutes les munitions en grappe, sans exception.

En conséquence, et dans la perspective du "Processus d'Oslo" de négociation d'un traité sur les munitions en grappe cette année, le Comité central du Conseil oecuménique des Eglises, réuni à Genève, Suisse, du 13 au 20 février 2008:

A. condamne l'utilisation des armes à sous-munitions en grappe;

B. soutient l'élaboration d'un traité international juridiquement contraignant interdisant l'utilisation, la production, le stockage et le transfert de munitions en grappe et prévoyant des mesures d'assistance aux survivants, d'aide aux communautés affectées et de déminage des régions contaminées;

C. fait l'éloge des gouvernements qui ont encouragé et animé le Processus d'Oslo en cours sur les munitions en grappe, et notamment les gouvernements de Norvège, du Pérou, d'Autriche, de Nouvelle-Zélande et d'Irlande;et invite instamment les gouvernements non participants, dont les Etats-Unis, la Russie, la Chine, l'Inde, Israël et le Pakistan, à rejoindre et soutenir cette initiative multilatérale opportune de limitation des armes et d'action humanitaire;

D. fait l'éloge des activités de limitation des munitions en grappe menées par le Comité international de la Croix-Rouge et des groupes de la société civile au sein de la Cluster Munition Coalition (CMC), en notant que la coalition compte parmi ses membres plusieurs Eglises membres du COE et organisations liées aux Eglises;

E. encourage les Eglises membres du COE à s'informer sur la question des munitions en grappe et sur le processus en cours pour parvenir à un traité sur les munitions en grappe;

F. recommande que les Eglises membres s'associent aux efforts des Eglises du monde entier en vue de l'élaboration d'un traité efficace sur les munitions en grappe et qu'elles insistent auprès de leurs gouvernements pour qu'ils soutiennent activement le processus du traité.

 

APPROUVÉ.