Introduction

 

1. C'est avec un grand plaisir et une grande joie que je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité central, qui est la première à laquelle je suis appelé à présenter un rapport en qualité de secrétaire général. Pour commencer, je voudrais repartir de là où nous en étions restés lorsque vous m'avez élu le 28 août 2003. En conclusion de mon discours d'acceptation, je me suis adressé à vous, membres du Comité central, pour vous demander votre accompagnement spirituel, et je tiens à vous remercier cordialement pour votre réponse extrêmement positive. J'ai reçu de nombreux messages : parfois quelques lignes de prière ou un poème, parfois plusieurs pages de méditation spirituelle, parfois des livres de spiritualité et jusqu'à un paquet de plusieurs livres contenant des articles ou chapitres très enrichissants sur la spiritualité. Je tiens à vous faire savoir que, au cours de ces quatorze derniers mois, tous ces messages de soutien spirituel ont été pour moi de précieux compagnons. Je les reprends souvent et j'y trouve un grand réconfort. Ils constituent pour moi la source à laquelle je peux étancher ma soif spirituelle.

2. Le relais entre Konrad Raiser et moi s'est passé sans difficulté. Travailleur très discipliné et organisé s'il en fut, mon frère Konrad a veillé à ce que tout ce qui concernait le processus de transmission fût bien ordonné et organisé. Je lui en suis très reconnaissant. Mes collègues du personnel ne m'ont pas ménagé leur soutien et, ensemble, nous avons énormément travaillé au cours de la période sous revue. A ma demande, beaucoup d'entre eux ont également apporté des contributions à mon discernement spirituel. Les principales activités de programme présentées au Comité du programme constituent une bonne synthèse de la diversité et de la portée des activités exécutées par les différents secrétariats et équipes. Le Comité des finances a, de son côté, reçu un rapport sur les finances et la gestion ; ce rapport comporte des éléments nettement positifs, si l'on considère notamment que nous venons de traverser une période particulièrement difficile. Le redressement financier qui avait commencé à se dessiner avant que j'assume cette responsabilité s'est poursuivi, ainsi que vous pourrez le constater à la lecture du rapport du Comité des finances.

3. Mon rapport est en trois parties. En premier lieu, je voudrais informer le Comité central de ce que j'ai entendu au cours de mes visites dans différentes Eglises et régions. Ce faisant, je n'ai pas l'intention d'entrer dans les détails ; je vais plutôt essayer de dégager la manière dont les questions et les problèmes évoqués pourront alimenter et influencer nos discussions ainsi que notre conception de l'oecuménisme au xxie siècle.

4. Dans la seconde partie, j'évoquerai plus particulièrement trois domaines d'activité dont le Comité central a pensé qu'ils méritaient une attention particulière et devaient faire l'objet d'un traitement spécial : le dialogue avec les institutions de Bretton Woods, la Décennie « vaincre la violence » et l'Accompagnement oecuménique de l'Afrique. Chacun de ces thèmes a ses caractéristiques propres, et la manière de les aborder correspond à un modèle particulier capable de donner naissance à des points de vue et enseignements spécifiques. Dans chaque cas, nous sommes arrivés à un certain point de maturation mais, dans chaque cas aussi, il faut envisager d'aller plus loin, soit dans le cadre existant - c'est le cas de la DVV -, soit en passant à l'étape suivante, la précédente pouvant être considérée comme acquise - c'est le cas des institutions de Bretton Woods -, soit enfin pour relever une nouvelle série de défis qui nous imposent de passer à un niveau supérieur - c'est le cas de l'Afrique.

5. Dans la troisième partie, j'aborderai trois domaines de nature institutionnelle et organisationnelle. Tout d'abord, je parlerai de la Commission spéciale, pour montrer que nous sommes en train de récolter les fruits d'une des entreprises les plus importantes du Comité central. A ce propos, je parlerai brièvement de questions concernant le personnel et je présenterai les perspectives qui se dessinent dans la période précédant la prochaine Assemblée. De son côté, le Comité de planification de l'Assemblée présentera un rapport complet sur la préparation de celle-ci, mais j'ai pensé que, de mon côté, je ne pouvais conclure mon rapport sans vous faire part de la façon dont j'envisage l'Assemblée de Porto Alegre.

6. Enfin, j'évoquerai brièvement une question qui a retenu l'attention du monde entier, en raison de ses énormes retombées sur un très grand nombre de riverains de l'océan Indien. A propos du tsunami dans cette région, nous demanderons au Comité central de nous soutenir en envoyant des « lettres vivantes » dans le cadre d'un processus d'accompagnement des pays affectés par cette catastrophe.

 

I

 

Déplacements

7. Au cours de ma première année en fonction, j'ai choisi de consacrer une partie raisonnable de mon temps à me présenter aux Eglises membres et au monde et à les écouter. Je souhaite avoir visité toutes les régions avant l'Assemblée de février 2006. A la fin de ma première année, j'avais visité six régions. Il me reste encore à me rendre aux Caraïbes et au Moyen-Orient, ce que j'ai l'intention de faire dans le courant de 2005. Je suis très reconnaissant de l'accueil chaleureux que m'ont réservé les distingués dirigeants de nos Eglises membres au cours de mes voyages. J'ai pu constater personnellement que l'hospitalité oecuménique n'était pas un vain mot : elle fut réelle, que ce soit dans le Pacifique, en Amérique du Nord, en Amérique latine, en Asie, en Afrique ou en Europe.

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J'ai constaté une atmosphère d'inquiétude, née de l'insécurité, dans un monde marqué par la violence, la terreur et la guerre préventive. La désintégration des sociétés est source de préoccupation, ainsi que la crainte de voir des armes nucléaires tomber entre les mains d'acteurs non étatiques.

L'identité des populations prend de plus en plus d'importance ; parallèlement, des groupes religieux essaient de mieux voir comment les religions du monde pourraient entretenir entre elles des relations plus positives. Il apparaît désespérément nécessaire que s'établisse, à la base, un dialogue entre identités.

Le centre de gravité du christianisme est en train de se déplacer, démographiquement parlant, du Nord vers le Sud ; cette évolution s'accompagne d'une nette croissance du « secteur informel » du christianisme, représenté par des méga-Eglises et d'autres expressions du post-confessionnalisme, et notamment une « spiritualité » qui ne se rattache pas aux institutions traditionnelles.

Dans le domaine de l'économie, la capacité des pays d'Asie et du Sud en général à devenir des marchés et des centres de production nous amène à nous demander si le Nord est disposé à considérer d'autres régions comme des partenaires à part entière - économiquement, politiquement et militairement.

Les flux migratoires multiplient les occasions de voyager, d'apprendre et de commercer mais, en même temps, ils font que les personnes vulnérables sont confrontées à de sévères restrictions, à l'hostilité, à la xénophobie et même à un trafic qui peut aller jusqu'à un esclavage des temps modernes.

La confrontation historique entre l'Occident et le monde arabe a été exacerbée par la guerre en Irak et par la spirale de la violence dans le conflit entre Israéliens et Palestiniens. Il faut rechercher et saisir toutes les occasions d'une paix juste.

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9. Ces impressions que j'ai recueillies au cours de mes voyages peuvent paraître présenter un tableau triste et pessimiste du monde. Mais j'ai vu aussi beaucoup de signes d'espoir. De toutes les régions s'élèvent des voix pour affirmer : « Un autre monde est possible - De nouveaux cieux et une nouvelle terre ! » Cela témoigne de la montée d'une spiritualité de résistance et d'espoir, d'un monde dans lequel les personnes qui ont été marginalisées se prennent en main pour transformer leur environnement et leurs institutions. Cela nous permet d'entrevoir un monde dans lequel les gens vivront dans la dignité, dans des communautés durables. Par la grâce de Dieu, un tel monde est possible. Et cette perspective mérite que les Eglises la soutiennent, prient pour elle et agissent en conséquence.

10. Je n'ai pas l'intention, dans le cadre de ce rapport, de développer ni d'analyser ces questions plus en détail ou en profondeur. Je vais plutôt m'employer à réfléchir sur les implications qu'elles peuvent avoir pour l'oecuménisme au xxie siècle.

 

Reconfiguration du mouvement oecuménique

11. Depuis la dernière réunion du Comité central, nous avons fait avancer le processus de reconfiguration du mouvement oecuménique. Deux colloques ont eu lieu. Le premier s'est tenu en novembre 2003 à Antélias, près de Beyrouth. Y ont participé, à titre personnel, 36 personnes d'horizons divers. L'hôte de cette réunion était notre président, le catholicos Aram Ier, et elle a été précédée d'un colloque de jeunes consacré également à ce thème de la reconfiguration du mouvement oecuménique. Le rapport d'Antélias - je suppose que la majorité d'entre vous, sinon même tous, l'a lu, parce qu'il a été envoyé à tous les membres du Comité central - fait bien ressortir l'importance de cette question de la reconfiguration ; il énonce un certain nombre de questions qu'il convient d'examiner plus avant ,et il recommande que le COE organise une autre réunion à laquelle devraient participer des acteurs oecuméniques plus représentatifs.

12. Le second colloque s'est tenu à Chavannes-de-Bogis, près de Genève, du 30 novembre au 3 décembre 2004, suite à un processus de préparation soigneusement élaboré. Une étude préparatoire a été effectuée par une consultante, Jill Hawkey, qui présentera ultérieurement au Comité central les conclusions de son travail. Suite à cette réunion, nous avons écrit à toutes les Eglises membres du COE pour les inviter à nous faire part de leurs réflexions sur cette question de l'oecuménisme au xxie siècle. En troisième lieu, nous avons demandé à un certain nombre de personnes, originaires de différentes parties du monde et appartenant à différentes parties de la famille oecuménique, de réfléchir sur deux questions fondamentales : comment envisagez-vous le mouvement oecuménique au xxie siècle ? et : quelles sont les structures nécessaires pour mettre en oeuvre ces conceptions ? Nous n'avons pas oublié que le Comité central a demandé que la reconfiguration du mouvement oecuménique soit une entreprise menée par les Eglises. C'est pourquoi, conformément à cette instruction, 50% des 94 participants au second colloque représentaient des Eglises membres du COE. Les conclusions de ce colloque seront présentées cette semaine pour discussion et décision.

13. Dans le cadre de ce processus de reconfiguration, nous avions déjà constaté, à Antélias, que ce qui était en jeu, ce n'était pas seulement la multiplicité des structures oecuméniques, mais aussi la nécessité d'envisager ce que devrait être l'oecuménisme au xxie siècle. Ces convictions ont trouvé un écho dans les discussions que j'ai eues au cours de mes voyages dans différentes parties du monde. Cela m'a amené à réfléchir sérieusement et dans la seconde partie de mon rapport je vous ferai connaître mon avis personnel sur les défis qui sont en train de se dessiner dans le monde actuel et dont nous devons tenir compte lorsque nous discutons de l'oecuménisme au xxie siècle. Dans le même sens, j'évoquerai un certain nombre d'évolutions que l'on constate dans le paysage ecclésial et qui constituent des défis directs pour l'oecuménisme.

 

De nouveaux défis pour l'oecuménisme

14. En ces premières années du xxie siècle, nous voyons s'affirmer une nouvelle idéologie, qui a pour principal élément moteur non pas tant des idées sur la manière d'organiser et de faciliter une transformation positive de la société mais plutôt l'intention d'acquérir une plus grande capacité d'avoir la mainmise tant sur les gens que sur les ressources naturelles du monde. Cette idéologie s'inscrit dans la logique de la confrontation, de la concurrence, de la guerre et de la violence. De nos jours, le recours à la force s'accompagne du pouvoir d'interpréter le monde de l'autre en désignant les « nouveaux ennemis de l'humanité » d'une manière telle qu'elle légitime une culture de violence. A l'heure actuelle, la sécularisation triomphe plus que jamais dans l'hémisphère nord ou occidental ; en même temps, la désignation des prétendus « ennemis de la vie publique » s'accompagne d'un symbolisme religieux du bien et du mal, dans lequel on invoque - arbitrairement - Dieu pour justifier un programme d'agression particulier. Dans ce contexte, la vie de bien des gens, dans toutes les régions du monde, est marquée par la crainte et l'anxiété. Le monde actuel reste menaçant, il est en équilibre instable. Plutôt que de rechercher des manières pacifiques et justes de rectifier ces tendances, les sociétés préfèrent faire confiance à la force militaire. La recherche d'armes de destruction massive toujours plus sophistiquées devient, de plus en plus souvent, le seul moyen de garantir la sécurité des Etats nations dans le monde développé. Mais même les pays moins développés et moins riches cherchent à se protéger et veulent acquérir ces mêmes armes dangereuses de destruction massive que les riches et les puissants emploient pour étendre leur hégémonie dans le monde. Depuis quelque temps, on a de plus en plus tendance à mettre les principes économiques au service de considérations politiques et militaires plutôt qu'à celui des besoins essentiels auxquels ils devraient être consacrés ou qu'ils prétendent représenter. En d'autres termes, nous assistons à l'émergence de l'Etat militaire dont la justification s'appuie sur un discours démocratique qui a pour objectif premier de faciliter le changement de régime.

15. Dans ce contexte, c'est le multilatéralisme qui est visé. L'ONU n'est plus seulement attaquée, elle est affaiblie et même sapée à la base alors qu'elle devrait être un instrument de paix et de sécurité à l'échelle du monde. De ce fait, le climat social devient malsain, dans un monde où les ressources constituent un moyen de récompenser la fidélité aux riches et aux puissants. Consommés par ces désirs d'hégémonie, certains pays riches s'emploient en permanence à dessiner un monde nouveau dans lequel les petits et les pauvres n'auront guère ou pas le droit de se faire entendre. Une autre retombée négative de ces tendances et évolutions, c'est que la démocratie, qui avait progressé au cours de ces deux dernières décennies, commence maintenant à refluer. Pire encore, du fait que les pays riches et puissants se sentent en insécurité, les migrants sont persécutés et victimes de discrimination. Dans certains pays, l'introduction de la carte d'identité nationale est un moyen de ralentir l'immigration. La sélection sans recours des migrants, parfois détenus sans procès, l'utilisation de formes anti-humaines de technologie qui violent la vie privée des personnes deviennent de plus en plus à la mode dans le monde industrialisé. Des mesures excessives visant à contrer le terrorisme mondial ne font que créer une nouvelle forme de tyrannie contre les communautés migrantes de ces pays. La vulnérabilité des Etats nations, en particulier dans le Sud, en arrive aujourd'hui à affaiblir plus encore le domaine public et à réduire la capacité d'inventer des cadres d'engagement d'un autre type. Il est plus difficile de s'attaquer à ces nouvelles formes de tyrannie parce qu'elles tirent leur légitimité et leur autorité de la démocratie, donc du peuple. Au xxie siècle, l'une des tâches prophétiques qui incombera au mouvement oecuménique pourrait consister à aider les communautés humaines à trouver des moyens de dépasser la logique de la violence et de la domination pour instaurer des modes substitutifs non violents de résoudre les conflits.

16. Nous vivons aujourd'hui dans un monde où sont remises en question les catégories éthiques fondamentales applicables à la manière de comprendre ce que signifie être humain et d'agir en conséquence. Il s'agit donc, en partie, de rechercher des idées novatrices concernant l'authenticité et le changement de paradigmes. Je pense que c'est de cette manière que nous serons en mesure de définir l'identité et l'avenir du mouvement oecuménique. En conséquence, le processus de reconfiguration est une invitation adressée au mouvement oecuménique mondial à s'engager dans la voie nouvelle de l'auto-renouvellement et à renforcer sa volonté de s'attaquer aux problèmes et dilemmes auquel est confronté le monde actuel. Réaffirmer la vision originelle de l'unité de l'humanité dans le nouvel oikos de Dieu, telle est l'essence de l'aspiration des Eglises qui ont édifié entre elles une communauté fraternelle au sein du COE. Que les Eglises renouvellent leur engagement commun, cela signifie se concentrer sur des activités qui visent non seulement à promouvoir le respect des droits de la personne, mais aussi à développer plus encore une culture nouvelle de paix et de justice pour prévenir et vaincre toutes les formes de violence dans la société. Notre devoir permanent, c'est d'accompagner les Eglises dans la multiplicité de leurs ministères et initiatives, en énonçant des vues critiques et en réfléchissant sérieusement sur ce que pourra être l'avenir, compte tenu des tendances qui gouvernent actuellement le monde. Ainsi, nous devons avancer avec confiance vers une nouvelle définition de l'engagement oecuménique qui correspondra aux défis et aux possibilités qui se présentent à l'Eglise en ce début du xxie siècle.

17. Au cours de ces cinquante dernières années, le monde a vu se manifester de nouveaux phénomènes sociaux dont la légitimité s'est appuyée uniquement sur des méthodes informelles d'action. Avant qu'apparaissent les organisations non gouvernementales (ONG), c'étaient surtout les Eglises et quelques institutions et réseaux philanthropiques qui oeuvraient dans le domaine du développement. Puis sont entrés sur la scène de l'histoire des modes non formels et non organisés de répondre aux besoins des êtres humains, et leur arrivée en masse a été si phénoménale que ces institutions sociales font même concurrence, pour obtenir des ressources, à certains gouvernements du Sud, sans bien sûr parler des Eglises. S'il semble que les ONG épuisent l'espace social et que les complexités rencontrées et la politique de mobilisation des ressources les placent maintenant dans une situation difficile, l'Eglise institutionnelle est elle-même confronté à des problèmes nouveaux, posés par l'extraordinaire multiplication de formes non confessionnelles de communautés oecuméniques.

18. Il semble que nous soyons en train d'entrer dans une ère nouvelle de l'oecuménisme, dans laquelle les accords formels ainsi que les structures et prérogatives institutionnelles sont remises en cause par de formes nouvelles d'expression de la foi qui sont essentiellement fondées sur l'expérience personnelle. Ces manifestations, que l'on constate dans toutes les régions du monde, sont visiblement une contestation, d'une part, de ce qui est considéré comme un excès de bureaucratisation dans les Eglises historiques et, d'autre part, de leurs structures d'autorité. Depuis l'époque de la Réforme, les structures bureaucratiques n'ont jamais été à ce point mises en doute. On n'a jamais vu non plus tant d'individus passer de l'Eglise institutionnalisée à ce que j'appelle des structures informelles. Dans le tiers monde, ces expressions post-confessionnelles d'« être l'Eglise » attirent de plus en plus de jeunes et, dans une très large mesure, de personnes appartenant à la classe moyenne. Il faut l'admettre : les façons modernes d'exprimer la foi souffrent d'une grave lacune, et cela pousse les gens à adopter, pour mener un mode de vie chrétien, des valeurs plus créatrices, moins bureaucratiques et plus relationnelles. Sous-tendant ce phénomène, il y a la quête d'une spiritualité authentique, capable de nous mettre en rapport avec l'humanité. Ici, le problème est de savoir comment le post-modernisme continue à aliéner les êtres humains, à les priver de leur humanité. Si nous n'avions pas, fondamentalement, le désir d'établir des relations avec les autres et de partager avec eux ce que nous sommes en tant qu'êtres humains, le christianisme n'aurait guère de sens. Si le post-modernisme menace de nous priver de la capacité à être humains, comment pouvons-nous alors même prétendre être chrétiens ? Au xxe siècle, l'oecuménisme est né des mouvements chrétiens d'étudiants et de courants oecuméniques tels que Foi et constitution et le Christianisme pratique ; mais, de nos jours, ces mouvements ne suffisent plus à maintenir son élan. Pour pouvoir maintenir l'élan de l'oecuménisme au xxie siècle, il faudrait transformer en profondeur ces courants oecuméniques, et bien plus encore.

19. L'une des choses que j'ai souvent faites au cours de ma première année d'exercice a été d'écouter attentivement les jeunes. Je ne cesse de m'entendre dire que, de nos jours, les jeunes posent cette question : quelle est la base morale et spirituelle qui donne un sens à la vie ? Il nous faut trouver une forme de spiritualité qui reprenne tout ce qui est bon dans chaque tradition religieuse, en particulier lorsqu'il s'agit de l'éducation à la paix. C'est pour cette raison qu'il nous faut en permanence tenir ouvert un espace de dialogue entre différentes traditions religieuses et expressions de la foi. Il n'est pas rare, de nos jours, de rencontrer des jeunes issus de foyers chrétiens qui partent en quête de nouvelles manières de vivre leur spiritualité, parfois même en dehors de l'Eglise chrétienne. C'est pourquoi le mouvement oecuménique doit intégrer les principaux éléments de foi d'une manière telle que la jeune génération y voit satisfaits ses besoins en matière de spiritualité. En ce xxie siècle, le mouvement oecuménique est appelé à répondre aux aspirations spirituelles de notre temps, et en particulier à offrir à la jeune génération la spiritualité qu'elle recherche. L'oecuménisme doit établir une relation organique avec cette aspiration pour l'ouvrir à des dimensions de la foi qui correspondent mieux à l'expérience personnelle.

20. Il a toujours été indubitable que la spiritualité joue un rôle important dans le mouvement oecuménique. Nos amis orthodoxes et les responsables de ces Eglises ne cessent de nous le rappeler. Je suis personnellement convaincu que la spiritualité occupera une place plus importante encore dans l'oecuménisme du xxie siècle, et cette conviction a été renforcée, depuis mon élection, par deux expériences. La première a été une rencontre avec un groupe de jeunes Danois qui sont venus à Genève au début de 2004. Lorsqu'ils ont fait halte au Centre oecuménique, j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec eux, et je me suis rendu compte que chacun d'entre eux cherchait un sens à la vie plus profond que celui que leur offrait leur société. Pourtant, presque tous poursuivaient cette quête en dehors des chemins traditionnels balisés par leur Eglise ou par d'autres traditions. Pour eux, les anciennes formes de religion sonnent creux. Ils recherchent quelque chose de substantiel. Qu'est-ce donc que tant de religions établies n'arrivent pas à leur donner ? Le terme qui revient le plus souvent, lorsque l'on discute de ce phénomène, est celui de spiritualité, mais celle-ci apparaît comme distincte de la religion organisée.

21. Ma seconde expérience, ce fut une rencontre avec des jeunes de la Nairobi Chapel, à Nairobi, Kenya. On peut dire que, à l'heure actuelle, la Nairobi Chapel est la communauté locale qui se développe le plus rapidement au Kenya. Partie d'une toute petite chapelle de l'Université de Nairobi qui, il y a une dizaine d'années à peine, n'attirait qu'une poignée de fidèles, la Nairobi Chapel célèbre maintenant quatre cultes chaque week-end. Il y a aussi un culte en milieu de semaine, tout simplement parce que le nombre de fidèles ne cesse d'augmenter. Les membres de la Nairobi Chapel sont presque tous des jeunes qui ont quitté la confession à laquelle appartiennent leurs parents parce qu'ils ne pouvaient étancher leur soif de spiritualité dans les Eglises établies - notamment l'Eglise anglicane, l'Eglise méthodiste, l'Eglise presbytérienne et même l'Eglise catholique romaine ; en effet, la Nairobi Chapel compte bon nombre de catholiques. Je les ai interrogés sur leur identité confessionnelle, et ils m'ont répondu qu'ils étaient simplement des chrétiens qui se réunissent pour célébrer leur appartenance commune au Christ et parce qu'ils éprouvent profondément le besoin de se comprendre mutuellement en témoignant de ce que Jésus signifie dans leur vie personnelle. Ensemble, ils se sont lancés dans un processus dynamique d'écoute, d'apprentissage et de partage de la foi. Ce processus a approfondi leur spiritualité, pas uniquement sur le lieu de culte mais aussi sur leur lieu de travail ; la plupart d'entre eux ont en effet une bonne formation intellectuelle et professionnelle.

22. Ces deux exemples sont représentatifs d'un phénomène global : des jeunes chrétiens qui veulent s'identifier à leur foi et qui, plus généralement, cherchent à donner un sens profond à la vie. Si ces jeunes chrétiens du Kenya ont trouvé une réponse, la Nairobi Chapel, qui est devenue pour eux un lieu substitutif et une manière différente de pratiquer la religion, les jeunes Danois, eux, poursuivent leur quête. Pour moi, la Nairobi Chapel est un exemple représentatif du christianisme post-confessionnel. Pour ses membres, maintenir l'intégrité d'une doctrine ou même rester loyal à la confession de leurs parents n'influence en rien la manière dont ils vivent leur foi. Ils représente un nouveau type d'oecuménisme de la base, plein d'énergie et de vitalité. Ils participent très activement aux affaires du pays, et en particulier à la lutte pour la justice sociale, l'élimination de la pauvreté et un bon mode de gouvernement. Mais ce dont ils sont le plus fiers, comme ils me l'ont dit, c'est que leur vie et leur travail sont ancrés dans leur spiritualité.

23. Une autre réalité dont nous devons tenir compte, c'est que les évangéliques qui, par le passé, s'abstenaient d'intervenir dans le domaine sociopolitique, ne sont plus apolitiques. Comme nous l'avons vu lors des élections présidentielles aux Etats-Unis, ils sont maintenant politiquement engagés, et c'est là une évolution qui va probablement devenir une caractéristique permanente de leur responsabilité sociale. En outre, on voit se constituer de nouvelles « alliances oecuméniques » entre évangéliques et autres, qui se fondent sur des valeurs communes à propos de questions morales, sociales et politiques. J'ai parlé d'alliances entre guillemets parce qu'y participent des évangéliques qui appartenaient - et parfois appartiennent encore - à des Eglises protestantes historiques, d'une part, et à l'Eglise catholique romaine, d'autre part. Bien évidemment, la collaboration entre évangéliques et catholiques romains n'est pas nouvelle. Rappelons-nous : le document Evangelicals and Catholics Together a été publié en 1994 et, à l'époque, il n'a évidemment pas été très bien reçu dans certains milieux évangéliques et catholiques romains. Mais il est bien évident que cette alliance a constitué un cadre de collaboration à propos des questions culturelles, morales et sociales qui se sont posées au moment de la dernière élection présidentielle aux Etats-Unis.

24. Le processus de l'oecuménisme au xxie siècle doit tenir compte de ces réalités émergentes qui, manifestement, appellent à un renouveau de l'engagement oecuménique, lequel doit aller au delà des dialogues bilatéraux traditionnels pour englober l'ensemble des besoins spirituels locaux. Il faudra sans doute essayer de voir dans quelle mesure le Forum chrétien mondial pourra constituer la base d'un tel engagement, mais le temps est également venu de réfléchir aux défis que constituent ces réalités locales pour les organismes oecuméniques conciliaires, les conseils nationaux d'Eglises et les organisations oecuméniques régionales. Cela les oblige en particulier à accorder une plus grande attention et un plus grand soutien aux moyens d'aider les Eglises à exprimer clairement la relation entre la conception (ecclésiale) que différentes Eglises et communautés ont d'elles-mêmes et l'image (ecclésiologique) qu'elles donnent d'elles-mêmes.

25. En conclusion de cette partie, je voudrais répéter que les trois principales caractéristiques du post-confessionnalisme qui marqueront l'oecuménisme du xxie siècle sont : des communautés sans base confessionnelle, des alliances entre chrétiens qui seront fondées sur des valeurs communes à propos de problèmes moraux et sociaux et, troisièmement, la quête d'un sens spirituel et d'une orientation morale, en particulier - mais pas exclusivement - chez les jeunes, nonobstant les différences doctrinales. Ces trois éléments auront de profondes implications pour le Conseil oecuménique des Eglises, dont les membres appartiennent à des confessions établies, ainsi que pour les organismes oecuméniques conciliaires et les grandes dénominations nationales.

26. Pour ce qui est maintenant de l'avenir du COE, comment allons-nous relever ces défis, et quelle est la vision qui va nous aider à discerner les signes des temps et à tracer la route future du mouvement oecuménique ? Je suis convaincu que le thème de notre prochaine Assemblée nous donne la direction à suivre : «  Transforme le monde, Dieu, dans ta grâce ». Nous allons devoir suivre un processus de changement, mais ce n'est pas seulement une question de structures, de modes d'organisation et de dispositions pratiques. Il nous faut nous engager dans un processus de transformation qui ait pour point d'ancrage notre retour à la source de notre vie, qui est aussi la source de toute création : le Dieu Trinitaire que nous confessons ensemble.

27. Nous sommes persuadés qu'il y aura un avenir et que, effectivement, « un autre monde est possible » parce que nous avons placé notre confiance dans la grâce aimante de Dieu. Les êtres humains pécheurs sont appelés à devenir enfants de Dieu, unis dans le corps un du Christ et se mettant au service de l'humanité et de la création de Dieu, afin qu'elles prospèrent. Je suis convaincu que les discussions de l'Assemblée seront le reflet de ce que j'ai pu constater une fois encore lors des mes visites aux Eglises des différentes régions, à savoir que dans les Eglises convergent les différentes dimensions que j'ai précédemment évoquées : la volonté d'oeuvrer à l'unité de l'Eglise et de la demeure de vie qui appartient à Dieu, la disponibilité à franchir les limites de nos communautés respectives et à collaborer, pour la paix et la justice, avec ceux qui appartiennent à d'autres religions, à affronter le pouvoir avec vérité et à alimenter une spiritualité suffisamment solide pour résister aux tentations de notre temps et pour maintenir en vie nos communautés.

28. Il appartient au COE d'aider à la mise en oeuvre de cet engagement commun, d'assurer la cohérence du mouvement oecuménique et l'efficacité du multilatéralisme, et de faire entendre, dans le domaine éthique, une voix forte, claire et crédible qui soit capable de proposer une lecture différente de la réalité du monde.

 

II

Rencontres avec les institutions de Bretton Woods

29. En 1998, l'Assemblée de Harare nous a chargés de travailler sur la mondialisation en poursuivant et renforçant les initiatives déjà prises par des Eglises, des groupes oecuméniques et des groupes sociaux, en soutenant la coopération entre eux, en les encourageant à agir et à constituer des alliances avec d'autres partenaires de la société civile qui travaillent sur des thèmes en rapport avec la mondialisation, et en particulier qui proposent des solutions de rechange aux activités de sociétés transnationales telles que le Fonds monétaire international ou la Banque mondiale, afin de procéder à une évaluation compétente de l'impact - positif et négatif - de leurs politiques.

30. Ce mandat s'est traduit par un engagement à « élaborer, à l'intention des Eglises, des lignes directrices visant à aider les Eglises membres et les organisations oecuméniques à répondre de manière cohérente aux institutions qui favorisent la mondialisation économique » (Comité central, Potsdam 2001). Pour élaborer ces lignes directrices, le Comité central s'est appuyé sur un document intitulé : Lead Us Not Into Temptation : Churches' Response to the Policies of International Financial Institutions. Ce document a été communiqué aux Eglises ainsi qu'aux institutions de Bretton Woods (Banque mondiale et Fonds monétaire international). S'y référant, les institutions financières internationales (IFI) ont demandé à entamer un dialogue avec le COE.

31. La Banque mondiale et le FMI pensaient que ces rencontres auraient pour principal thème de discussion la manière dont les Eglises pourraient les aider à mettre en oeuvre leurs instruments, tels que les programmes stratégiques de réduction de la pauvreté ainsi que les objectifs de développement pour le millénaire (ODM), adoptés à l'initiative de l'ONU ; de son côté, le COE voulait que les discussions portent surtout sur les causes fondamentales des injustices actuelles. Il a bien souligné qu'il convenait en priorité de procéder à une analyse critique et de considérer les implications éthiques des politiques économiques néolibérales dans le monde actuel pour essayer de voir dans quelle mesure elles contribueront véritablement à résorber l'actuelle inégalité économique au niveau mondial ainsi que la violence qui l'accompagne. En abordant ce dialogue, le COE avait la conviction que l'actuel système est injuste et que d'autres solutions sont possibles. Donc, dès le départ, il y avait deux perspectives nettement différentes, et ces divergences se sont maintenues tout au long de nos rencontres.

32. En deux ans, il y a eu trois rencontres positives entre le COE, la Banque mondiale et le FMI, ainsi qu'une réunion au niveau interne avec des Eglises et des institutions liées aux Eglises. La première rencontre a eu lieu à Genève en février 2003. La seconde fut une réunion interne qui s'est tenue, à Genève également, en septembre 2003, pour préparer les Eglises à ce processus. La troisième rencontre s'est tenue en septembre 2003 à Washington DC, au siège de la Banque mondiale et du FMI. La quatrième fut une réunion de haut niveau qui s'est déroulée ici, au Centre oecuménique, en octobre 2004. Y participaient le président de la Banque mondiale, le directeur exécutif adjoint du FMI, le président du COE représentant l'Afrique, et moi-même. Y étaient également invités un groupe représentatif de dirigeants d'Eglise, des représentants d'institutions liées aux Eglises et des membres du personnel administratif de ces trois organisations.

33. Nous pouvons tirer plusieurs enseignements de ce processus complexe. Ces trois institutions se sont fixé pour but d'éradiquer la pauvreté (COE) ou de l'atténuer (BM/FMI). Le mandat de la Banque mondiale appelle de ses voeux « un monde libéré de la pauvreté » grâce à la croissance. Le FMI est appelé à atténuer la pauvreté par les moyens de la stabilité financière et de la croissance. Le Conseil oecuménique des Eglises a toujours souligné que le seul moyen d'éradiquer la pauvreté consiste à s'attaquer à l'injustice et à l'inégalité, qui ont pour source l'actuel ordre économique injuste. Il est apparu d'emblée que s'il y a, entre la position du COE et celle des institutions financières internationales, des points communs dans la manière d'énoncer les problèmes économiques et sociaux, il y a aussi de très nettes différences dans la manière de comprendre ces problèmes et d'envisager les moyens de les résoudre.

34. Le document final intitulé Common Ground and Differences ainsi que la déclaration commune font apparaître que la Banque mondiale et le FMI se refusent à abandonner l'idée que la croissance est le seul moyen d'atténuer la pauvreté. Ces institutions affirment qu'elles n'ont pas le mandat ni la capacité de promouvoir les droits de l'homme, lesquels, de leur point de vue, relèvent du mandat de l'ONU. Néanmoins, les institutions financières internationales considèrent que ce qu'elles font contribue à la promotion des droits de l'homme dans le domaine du développement économique et des politiques sociales qu'il implique et que, dans ce sens, leur activité vient compléter ce que fait l'ONU. Pour ce qui est du système des voix et des votes à la Banque mondiale et au FMI, elles persistent à penser qu'à l'avenir les votes continueront à dépendre de la puissance économique des pays participants.

35. Il s'agit maintenant de faire en sorte que ces rencontres s'intéressent à l'impact spécifique des politiques des institutions financières internationales sur le terrain ; aussi a-t-on défini quatre domaines auxquels seront consacrés des études de cas, portant sur des pays particuliers, qui auront les objectifs suivants :

 

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effectuer des études de cas au niveau de pays particuliers portant sur les documents relatifs à la stratégie de réduction de la pauvreté ;

mener des activités conjointes sur la question de la gouvernance ;

mener des activités conjointes sur la question des luttes des populations autochtones ;

mener des activités conjointes sur la question du VIH/sida ;

mener des activités conjointes sur les programmes de développement communautaire.

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36. Pour ce qui est de l'avenir, les institutions associées au COE et les Eglises membres du COE sont donc appelées à participer à cette entreprise. L'étude de cas consacrée au Honduras, déjà préparée par l'Evangelischer Entwicklungsdienst en collaboration avec l'organisation de recherche Südwind, pourrait constituer le point de départ de la poursuite de ce processus en 2005. Nos discussions futures avec les institutions financières internationales s'inscriront dans le cadre de la volonté qu'a le COE de mettre en oeuvre l'impératif évangélique de la justice sociale.

 

Décennie « vaincre la violence »

37. La Décennie « vaincre la violence » (DVV) constitue maintenant un cadre de référence pour un nombre toujours plus grand d'Eglises du monde entier qui veulent aborder le problème de la violence dans une perspective holistique et trouver des moyens novateurs de vaincre la violence. En s'appuyant sur l'expérience acquise au cours des cinq premières années de cette décennie, il est prévu, au cours de la prochaine phase, d'ouvrir différents points d'entrée pour les Eglises et les réseaux, de maintenir et de renforcer l'élan de cette décennie et d'affiner son cadre. La mise en oeuvre concrète se fait sur le terrain. La fonction de coordination de la DVV relève donc plutôt de la transmission que de la centralisation.

38. Les activités de la DVV sont axées sur des « accents spéciaux », et l'expérience a démontré l'efficacité de cette méthode. L'accent spécial permet aux Eglises de la région concernée de mieux percevoir les problèmes liés à la violence. Cela a été le cas pour les Eglises des Etats-Unis en 2004, où l'accent annuel était mis sur ce pays. L'accent thématique aide les Eglises à mieux définir leurs activités concrètes. Le programme « Power and Promise of Peace » a constitué un stimulant pour les Eglises des Etats-Unis et a apporté des éléments novateurs et dynamiques dans les réflexions et les activités qu'elles consacrent depuis plusieurs années à la lutte contre la violence. L'accent spécial offre un cadre dynamique qui facilite la mise en commun des ressources et la coordination des efforts des Eglises. Il permet également à d'autres membres de la famille oecuménique d'exprimer, sous diverses formes, leur solidarité. Dans le cas des Etats-Unis, des « lettres vivantes » ont apporté des messages du monde entier, qui ont constitué des contributions stimulantes et alimenté les discussions lors de la réunion de conclusion qui a eu lieu à Atlanta (Géorgie) en octobre 2004.

39. L'une des constatations faites au cours de cette première moitié de la Décennie « vaincre la violence », c'est que l'accent spécial a pris une importance cruciale pour la DVV : il ouvre des espaces nouveaux et crée de nouvelles synergies pour les Eglises et les communautés de la région à laquelle il est destiné, sans fermer la porte aux contributions du reste du monde ni à la solidarité et aux manifestations de sympathie des Eglises du reste du monde.

40. Une autre composante importante de la DVV est le recours à des colloques pour préciser et approfondir les questions liées à l'élimination de la violence. Le 6e colloque Willem Visser ‘t Hooft, organisé en collaboration avec l'Institut oecuménique de Bossey, s'est déroulé, une fois encore, dans le cadre de la DVV ; il avait pour thème « Religion, pouvoir et violence ». Ce colloque avait un caractère interreligieux et il se démarquait des colloques traditionnels en ce qu'il était spécifiquement axé sur le processus et l'interaction : les 30 participants, appartenant à des religions différentes et originaires de régions différentes, ont vécu et travaillé ensemble pendant six jours. Cette expérience exceptionnelle a fait ressortir des questions profondes liées au sens de la lutte contre la violence et aux problèmes qu'elle pose dans un perspective interreligieuse. La principale conclusion de ce colloque a été que la condition humaine que nous partageons précède notre identité religieuse, ethnique ou culturelle particulière.

41. En 2004, pour la première fois, le Conseil oecuménique des Eglises a appelé les Eglises membres à s'associer à la Journée internationale de la paix, le 21 septembre, lancée à l'initiative de l'ONU, en leur demandant d'observer une Journée internationale de prière pour la paix. Le site de la DVV sur la Toile proposait des propositions de prières et de liturgie, et on y trouvait également des messages de paix adressés par des personnalités et dirigeants religieux de tous les continents. Ces messages ont été transmis aux Eglises des Etats-Unis et repris sur le site de la DVV. Le nombre des visites sur ce site a atteint un chiffre record à cette époque, allant parfois jusqu'à six fois la moyenne habituelle - 250'000 pour le seul mois de septembre. Si la Journée internationale de prière pour la paix n'est pas la seule occasion de prier pour la paix proposée aux Eglises du monde entier, elle n'en reste pas moins une excellente occasion de s'associer dans la prière à des communautés de foi du monde entier, ce qui renforce les dimensions tant oecuménique qu'interreligieuse de ce que nous faisons ensemble.

42. La DVV continue à recevoir et à compiler des documents relatifs à la lutte contre la violence qui sont élaborés et testés par les Eglises. Cela montre que la DVV a bien avancé dans la voie définie par ce Comité central. La DVV n'est pas à proprement parler un programme du COE ; elle est plutôt devenue un instrument qui permet de mettre en valeur ce que des Eglises et des réseaux oecuméniques font pour vaincre la violence, et de le faire largement connaître.

43. Dans le cadre de ses activités, la DVV est en train de préparer l'accent spécial pour 2005, qui est consacré à l'Asie, en collaboration avec la Conférence chrétienne d'Asie (CCA). Nous profitons de cette occasion pour remercier le pasteur Ahn Jae Woong, secrétaire général sortant de la CCA, pour tout ce qu'il a fait et continue à faire, dans une perspective oecuménique, pour les Eglises d'Asie et du monde en général. Nous prions Dieu de le bénir.

44. Dans le cadre de la préparation de la Neuvième Assemblée, qui se tiendra à mi-course de la DVV, les travaux préparatoires sont en cours pour l'accent spécial de 2006. A ce stade, la DVV s'occupe en particulier d'inclure dans la Conférence mondiale sur la mission et l'évangélisation, qui se tiendra à Athènes en mai 2005, et dans la Neuvième Assemblée, des éléments relatifs à la lutte contre la violence. Enfin, la DVV s'est associée à la Décennie internationale des Nations Unies pour la promotion d'une culture de la non-violence et de la paix au profit des enfants du monde ; plus concrètement, elle participe à la Coalition internationale pour cette Décennie. Dans ce contexte, le COE et la DVV ont participé à la première exposition internationale d'initiatives pour la paix, qui a eu lieu à Paris.

45. Les fruits des cinq premières années de la Décennie « vaincre la violence » seront présentés en plénière à l'Assemblée, pour information sur la lutte contre la violence. Sur cette base et en fonction des discussions à Porto Alegre, l'Assemblée devrait donner des directives générales pour la seconde moitié de cette décennie.

 

Accompagnement spécial de l'Afrique

46. A l'Assemblée de Harare, dans leur « alliance avec Dieu », les Africains tant du continent que de la diaspora ont affirmé la richesse culturelle et sociale des Eglises d'Afrique ainsi que le remarquable apport que constitue leur foi à la communauté oecuménique mondiale. Suite à la plénière sur l'Afrique, le COE s'est engagé à accompagner les Eglises d'Afrique dans la lutte qu'elles mènent pour que la plénitude de vie devienne une réalité pour les populations de ce continent. Le thème du consensus, qui a été une constante de l'Assemblée de Harare, s'est enrichi du langage de l'oecuménicité dans le cadre des padare organisés au cours de cette Assemblée et qui ont servi de lieux d'échanges d'idées en vue d'édifier de nouvelles communautés d'espérance en Afrique.

47. L'Accompagnement spécial de l'Afrique (ASA) a été décidé par le Comité central suivant l'Assemblée de Harare. Il devait s'agir d'un processus qui se poursuivrait jusqu'à la Neuvième Assemblée. L'ASA a travaillé en étroite collaboration avec les Eglises d'Afrique et la CETA. Ce programme a servi de cadre pour ce qu'a fait le COE pour accompagner la CETA au cours d'une période très critique, lorsque la Conférence des Eglises de toute l'Afrique a connu de sérieuses difficultés de direction. Le Pèlerinage de l'espérance pour l'Afrique, qui a été le thème de ce processus d'accompagnement, a facilité les travaux sur l'enseignement de la théologie, la formation oecuménique, le changement démocratique, la paix et la réconciliation, le règlement des conflits ainsi que la justice économique, le développement et la manière d'aborder les questions d'actualité. En partenariat avec la CETA, des conseils nationaux d'Eglises et des communautés régionales, des travaux importants ont été réalisés au tour du thème général « Voyez, je crée une Afrique nouvelle », à propos plus particulièrement de problèmes éthiques, économiques et missiologiques. L'Initiative oecuménique de lutte contre le VIH/sida en Afrique (EHAIA), qui constitue le programme oecuménique le plus important mis en place à propos du VIH/sida, a été lancée dans le cadre de l'Accompagnement spécial de l'Afrique.

48. Il convient à ce stade de mentionner plus particulièrement notre accompagnement des pourparlers de paix au Soudan. C'est avec joie et reconnaissance à Dieu que nous nous sommes félicités de la signature, en janvier dernier, de l'Accord global de paix au Soudan. Dans le message de félicitations que nous avons adressé aux principaux acteurs du processus de paix, nous avons souligné que les dividendes de la paix devaient être partagés avec le Darfour, qui est actuellement le théâtre de la pire catastrophe causée par l'homme dans le monde.

49. Les fruits du processus de l'ASA seront présentés à la Neuvième Assemblée et feront l'objet d'un document spécial.

50. Depuis Harare, l'Organisation de l'unité africaine (OUA) est devenue l'Union africaine (UA) ; durant cette période également, le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD) est entré en vigueur, des zones économiques régionales ont été mises en place et un parlement africain s'est constitué. Ce sont là des signes qui montrent que l'Afrique entre dans une ère nouvelle d'espoir. Mais, parallèlement, cette évolution est freinée par la poursuite des conflits dans plusieurs régions de ce continent. Le fardeau de la dette continue à peser lourdement sur les épaules des Etats et des populations d'Afrique. Mais, sans aucun doute, le plus grave problème auquel est confrontée aujourd'hui l'Afrique est la pandémie du VIH/sida. Ses effets cumulatifs sont effroyables et poussent les hommes, les femmes et les enfants d'Afrique à adopter une attitude nihiliste.

51. Aujourd'hui, l'Afrique est le seul continent qui, économiquement parlant, connaît une croissance négative. Certains vont même jusqu'à la qualifier de continent perdu ! Pourtant, on voit se dessiner une tendance nouvelle dans les relations entre l'Afrique et une partie du monde. Après une période où l'Afrique semble avoir été négligée, la communauté internationale commence à « regarder l'Afrique d'un oeil neuf » - ce que le COE a commencé à faire il y a plus de dix ans.

52. Parmi les gouvernements du monde industrialisé, celui de Grande-Bretagne a pris la tête de la lutte contre la pauvreté en Afrique. Pour ce faire, il a défini des politiques claires qui ont pour objectif de donner des résultats tangibles au cours de la période définie par les Objectifs du millénaire pour le développement (ODM) fixés par l'ONU. La politique du gouvernement britannique a consisté en particulier à créer la Commission pour l'Afrique et à lancer l'idée d'un instrument financier international qui aura pour mandat d'accélérer les ODM en réunissant 50 milliards de dollars par an jusqu'en 2015. Le gouvernement britannique a essayé de voir comment les Eglises d'Afrique, qui disposent d'une importante infrastructure à la base, pourraient participer à ces efforts de développement. A cette fin, un haut responsable du Ministère britannique des finances (Paul Boeteng, ancien vice-président du Programme de lutte contre le racisme), est venu échanger des idées avec les responsables du COE. Une visite identique a été faite au Vatican. Considérant que les Eglises participent déjà à différents aspects du développement, nous avons décidé de nouer le dialogue pour essayer de voir ce que cela pourrait signifier dans la réalité des choses. La CETA participe à ce processus. Nous demandons au Comité central de nous donner des conseils sur les modes concrets que pourrait prendre l'engagement oecuménique dans ce processus important.

53. Au stade actuel de la préparation de la Neuvième Assemblée, nous constatons que l'accompagnement oecuménique de l'Afrique atteint un nouveau niveau dans le domaine de la paix et du règlement des conflits. En partenariat avec la CETA et Church World Service, qui dépend du Conseil national des Eglises du Christ des Etats-Unis, nous avons mis en place un cadre d'intervention organisé et durable : je veux parler du Programme oecuménique de personnalités éminentes pour l'Afrique. D'autres initiatives lancées dans le cadre du dialogue et de la coopération entre les religions manifestent des signes d'espoir dans une région où la politisation de la religion risque d'être source de conflit. Entre autres initiatives prises dans le cadre de l'ASA, je citerai la formation à l'oecuménisme, la recherche de nouveaux moyens d'« être l'Eglise » pour la jeune génération, l'élimination de la pauvreté et les problèmes liés aux changements climatiques.

54. Au stade actuel, il s'agit d'approfondir l'engagement oecuménique à l'égard de l'Afrique. Il n'est pas question ici de consacrer un autre programme d'accompagnement accent spécial à l'Afrique ; je veux simplement indiquer que cette région devrait demeurer l'une des principales priorités du COE dans un avenir prévisible.

 

III

La Commission spéciale

55. Petit à petit, les travaux de la Commission spéciale commencent à porter des fruits, que l'on constate dans les domaines théologique, institutionnel et relationnel de la vie du COE. La meilleure illustration en est peut-être l'ordre du jour de ce Comité central, auquel sont inscrites des questions d'une importance capitale pour le rôle actuel et futur du Conseil dans le cadre du mouvement oecuménique. Je vais vous en donner deux exemples.

56. Ecclésiologie. La Commission spéciale a accordé une attention toute particulière à la question de l'ecclésiologie. Nous avons aujourd'hui devant nous le Projet de déclaration sur l'ecclésiologie à l'intention de la Neuvième Assemblée, qui a été préparé par Foi et constitution. Ce document reprend et synthétise ce que Foi et constitution a discuté au cours de ces dernières années, il développe les déclarations d'Assemblées précédentes, il va plus loin que le document de Canberra sur l'unité et il concentre nos efforts et nos délibérations sur notre engagement fondamental : oeuvrer à l'unité de l'Eglise.

57. Je n'ai pas l'intention ici de commenter ce document dans sa totalité. Je voudrais simplement mettre en exergue, à titre d'exemple particulièrement représentatif, l'importance qu'il donne à la théologie baptismale. Il convient d'ailleurs de considérer ce traitement particulier à la lumière du document d'étude élaboré par le Groupe mixte de travail du COE et de l'Eglise catholique romaine intitulé Implications ecclésiologiques et oecuméniques d'un baptême commun, qui a pour but d'aider à alimenter et clarifier les discussions sur les implications ecclésiales et oecuméniques de la reconnaissance d'un baptême commun et de prendre les dispositions nécessaires pour manifester un plus grand degré de communion. Cette importance particulière accordée à la théologie baptismale doit également être considérée à la lumière des critères théologiques d'appartenance au COE, dont la rédaction a été l'une des conséquences de la création de la Commission spéciale et a été revue et précisée par le Groupe d'étude sur la qualité de membre. Ces nouveaux critères, qui seront intégrés dans le Règlement du COE, tentent de concrétiser les possibilités offertes par le fait de placer le baptême au coeur même de la communauté fraternelle et d'inviter les Eglises membres à s'engager dans un processus visant à reconnaître mutuellement leur baptême en tant qu'élément fondamental qui renforce et alimente cette communauté fraternelle.

58. A considérer globalement tous ces travaux, on peut dire qu'ils ne répondent peut-être pas entièrement aux espoirs formulés par l'Assemblée de Harare ou par la Commission spéciale ; pourtant, un remarquable progrès a été accompli et, pour les années à venir, les documents qui nous sont proposés sont prometteurs.

59. Cette promesse et cette invitation à aller plus loin encore se concrétisent dans la manière dont les participants à la réunion inter-orthodoxe préparatoire à l'Assemblée, qui s'est tenue à Rhodes (Grèce), ont attiré l'attention sur le fait que les Eglises et théologiens orthodoxes devraient commencer à étudier sérieusement et systématiquement les questions ecclésiologiques fondamentales soulevées par le rapport de la Commission spéciale. Ils ont jugé une telle étude « nécessaire et opportune, d'une part en réponse au respectueux défi lancé par la Commission spéciale et, d'autre part, pour parvenir à une plus grande clarté et une plus grande cohérence sur cette question au sein des Eglises orthodoxes. »

60. Consensus. Le Comité central sera invité, en premier lieu, à mettre en pratique, à titre expérimental, puis à adopter le nouvel Article XVI : Conduite des réunions (qui remplacera le « Règlement des débats ») ; ce faisant, il introduira un changement radical dans la vie institutionnelle du Conseil, où le système de vote parlementaire sera remplacé par un système visant à discerner le consensus.

61. Lors de sa réunion à Minsk (Biélorussie), le Comité directeur de la Commission spéciale a souligné à juste titre que « cette nouvelle méthode du consensus, fondée sur les délibérations et le discernement, est un pas vers une nouvelle éthique et une nouvelle culture qui requiert un changement d'attitude. Ce changement devrait renforcer et approfondir la communauté fraternelle entre les Eglises ». Certaines Eglises membres ont déjà constaté, dans leur vie interne et dans leur témoignage, que prendre des décisions par consensus était une meilleure manière de refléter la nature de l'Eglise telle que nous la présente le Nouveau Testament. Pour d'autres Eglises membres, il est certain que, dans un monde marqué par des conflits, des tensions et la guerre, le témoignage que le COE donne par ses programmes ne peut qu'être renforcé par la manière dont il fonctionne.

62. Il est certain que ce changement ne sera pas facile. Nombreux sont ceux qui craignent la paralysie du Conseil lorsqu'il faudra prendre des décisions sur des questions particulièrement délicates ou urgentes. Beaucoup soulignent qu'il faut prévoir une préparation et une formation adéquates, dans la mesure où le discernement du consensus et la prise de décisions se fonderont sur un nouveau mode d'agir et des façons nouvelles d'être ensemble. Beaucoup tiennent à ce que l'on prévoie, dans le nouveau Règlement, des « soupapes de sécurité », qui permettraient à l'institution, le cas échéant, de ne pas être bloquée et donneraient aux Eglises membres le sentiment d'être écoutées avec respect.

63. Ceux qui ont oeuvré à la rédaction de ce nouvel article du Règlement conviendront que l'on a dûment tenu compte de toutes ces inquiétudes légitimes. Et c'est ainsi que, maintenant, nous sommes prêts à aller de l'avant, avec humilité et avec la conviction que le passage à la méthode du consensus va renforcer la capacité du Conseil à être une communauté fraternelle d'Eglises, à affirmer un engagement spirituel qui interpellera toutes les Eglises membres et à continuer à parler de façon prophétique.

 

Personnel

64. Pour ce qui est du personnel, la situation, globalement, a beaucoup évolué au cours de ces dernières années et de grands changements sont intervenus. D'une part, le nombre des salariés permanents a nettement diminué ; par contre, le nombre des consultants extérieurs pour les programmes (Education et formation oecuménique, EHAIA) a augmenté ; des secrétariats ont été créés dans les régions (secrétariats du Moyen-Orient et du Pacifique ; programme des populations autochtones ; Réseau oecuménique de défense des droits des handicapés) ; des consultants spécialisés ont été invités à assumer certaines tâches concrètes (publications, reconfiguration) ; de nouvelles possibilités de recourir à du personnel détaché ont été étudiées et créées (finances, communications, affaires internationales) ; enfin, on a renforcé la pratique consistant à faire appel à de jeunes stagiaires. En outre, certains programmes ont invité des spécialistes ou employé des jeunes stagiaires dans le cadre de contrats à court terme ; enfin, des bénévoles ont généreusement proposé leurs services au Conseil.

65. Compte tenu de tout cela, on peut dire, dans un sens, que la structure générale du personnel a changé et que nous avons déjà élaboré une nouvelle manière de traiter les questions relatives au personnel. J'admets que ces changements sont manifestes et importants, mais je m'empresse d'ajouter qu'il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine. A cet égard, nous allons étudier soigneusement les conclusions et les recommandations que nous présente la partie du Rapport d'évaluation des programmes préalable à l'Assemblée consacrée à la gestion.

66. Je tiens à réaffirmer que la déclaration CVC est la meilleure expression de la vision du Conseil. La question fondamentale qu'il nous faut nous poser est celle-ci : quel est l'effectif de personnel nécessaire pour traduire cette vision en action dans les années à venir ?

67. Le Comité d'orientation du programme de l'Assemblée, d'abord, et le Comité central, ensuite, détermineront les priorités stratégiques et les domaines de programme du Conseil. Je suis parfaitement conscient du fait que, lorsque nous aurons écouté attentivement ces orientations et pris connaissance de ces décisions, il nous faudra alors pour les appliquer déterminer très soigneusement les besoins en personnel du Conseil.

68. De plus en plus, nous ressentons le besoin que le Conseil joue un rôle de pionnier pour étudier la nature et le caractère du mouvement oecuménique au xxie siècle et qu'il doit, pour cela, établir des relations novatrices avec de nombreux collaborateurs et partenaires du monde de l'oecuménisme. Notre tâche sera délicate : il nous faudra évaluer soigneusement la manière dont le Conseil devrait renouveler ses ressources humaines pour répondre aux exigences nouvelles et croissantes du mouvement oecuménique.

 

La Neuvième Assemblée

69. Depuis la précédente réunion du Comité central, la préparation de la Neuvième Assemblée a beaucoup avancé ; elle s'ouvrira dans un an, à Porto Alegre, au Brésil. Lors de notre précédente réunion, nous avons choisi le thème : « Transforme le monde, Dieu, dans ta grâce ». Depuis, cette prière n'a cessé d'inspiré nos travaux préparatoires.

70. Le rapport du Comité de planification de l'Assemblée (Doc GEN 5) présente au Comité central un aperçu du programme tel qu'il est envisagé à ce jour. S'il est vrai que cette Assemblée sera plus courte et comptera moins de participants, elle est riche de promesses de discussions en profondeur et d'une nouvelle manière de prendre des décisions. En outre, elle ne se contentera pas de rassembler le contingent réglementaire de délégués et de représentants mais elle attirera bien d'autres membres du mouvement oecuménique en général.

71. Ce sera la première Assemblée tenue en Amérique latine. Nos travaux au Brésil s'inscriront dans le cadre des témoignages des Eglises de tout ce continent et des problèmes auxquels sont confrontées leurs sociétés. Je me suis rendu dans cette région à la fin de 2004 et j'ai pu constater l'ampleur de l'espoir en un renouveau politique et économique, avec tant de gens qui s'efforcent de guérir les blessures de plusieurs décennies de régime militaire. Sur ce continent, on reconnaît et on apprécie beaucoup le rôle joué par le COE, qui a manifesté son soutien et sa solidarité avec la population latino-américaine au cours de cette période difficile. Pour beaucoup, l'Assemblée constituera une bonne occasion de témoigner au monde et de remercier le COE d'avoir exprimé sa solidarité critique au cours de cette pénible épreuve. L'Assemblée de Porto Alegre sera également une vitrine exposant le chemin parcouru en commun par les Eglises protestantes, pentecôtistes et catholiques d'Amérique latine, qui pourrait servir d'exemple à d'autres Eglises et leur faire découvrir de nouveaux horizons oecuméniques.

72. En outre, l'Assemblée sera marquée par un rite de passage pour les membres du Conseil oecuménique des Eglises. Les délégués vont se lancer à l'aventure en pratiquant le modèle de prise de décisions par consensus, dans l'espoir de trouver de nouvelles manières d'arriver à un accord sur des déclarations et décisions importantes que l'Assemblée sera amenée à prendre. Dans le même sens, les discussions qui ont eu lieu l'an dernier à propos de l'oecuménisme au xxie siècle ont fait apparaître que ce qui déterminera notre avenir oecuménique, ce sont des expériences et engagements partagés plutôt que l'appartenance à un même organisme. Cette Assemblée est, pour l'oecuménisme, le commencement d'une ère nouvelle.

73. Nous avons aussi voulu que cette Assemblée soit la plus jeune de l'histoire du Conseil oecuménique des Eglises. Comme on le dit souvent, les jeunes ne sont pas seulement l'avenir de l'Eglise, ils sont l'Eglise aujourd'hui. Ils sont aussi, sans doute, les dirigeants de l'Eglise et du mouvement oecuménique de demain. Si nous voulons vraiment préparer notre avenir, il est indispensable de permettre aux jeunes de nous montrer le chemin.

74. Les jeunes joueront un rôle clé à l'Assemblée de Porto Alegre. Il y aura des jeunes parmi les délégués, les représentants et les conseillers. En outre, 150 jeunes seront là à titre de stewards. Le comité d'accueil propose un « camp de jeunes » pour 250 jeunes du Brésil et d'Amérique latine. Avant l'ouverture de l'Assemblée, tous les jeunes se retrouveront pendant trois journées de préparation et de célébrations. Le Comité de planification de l'Assemblée a proposé d'inviter tous les jeunes assistant à l'Assemblée, à quelque titre que ce soit, à s'associer aux délégués dans leurs « conversations oecuméniques ».

75. Et pourtant, il faut aller plus loin encore. Du fait que beaucoup de délégations seront moins nombreuses, il se peut qu'il y ait, parmi les délégués, moins de jeunes que lors des Assemblées précédentes. Un moyen concret de pallier cette déficience pourrait se trouver dans la manière dont le Comité central affectera les 15% des sièges de délégués qu'il lui appartient de nommer.

76. Il y a quelque semaines, nous avons accueilli à Genève une toute nouvelle équipe « Jeunesse » : Natalie Maxson, qui sera secrétaire exécutive de cette équipe, Lukasz Nazarko, recruté comme consultant, et cinq stagiaires. Ils auront besoin de notre soutien et de notre bonne volonté.

77. Dans cette enceinte, nous avons avec nous 28 jeunes venus du monde entier, qui sont ici pour nous aider comme stewards. Nous tous qui préparons les décisions propres à faire avancer les préparatifs de l'Assemblée de Porto Alegre, nous devrions profiter de cette occasion pour les écouter.

 

La réaction du COE au tsunami qui a ravagé l'Asie

78. L'une des plus graves catastrophes naturelles de l'histoire contemporaine a bouleversé l'Asie du Sud et du Sud-Est en décembre 2004, le lendemain de Noël. Un formidable tremblement de terre, de magnitude 9, au large de l'île indonésienne de Sumatra, a provoqué des vagues qui ont traversé à 800 km/h l'océan Indien et le golfe du Bengale ; ce fut le tsunami connu le plus grave depuis celui qui a ravagé Lisbonne, capitale du Portugal, en 1755, faisant alors quelque 66'000 morts. Cette fois, le nombre de victimes s'élève officiellement à plus de 200'000. Ce qui rend plus accablant encore cet événement tragique, c'est qu'au moins un tiers des victimes étaient des enfants.

79. Dès l'annonce de cette catastrophe, le COE et l'Action commune des Eglises (ACT) s'en sont préoccupés, et nos collègues ont pris contact avec nos Eglises et conseils membres dans les pays affectés. Entre autres choses, les membres du Secrétariat de l'Asie ont interrompu leurs vacances et ont repris le travail le 29 décembre. Le Secrétariat de l'Asie a travaillé en étroite collaboration avec ACT et a répondu aux besoins exprimés par certaines Eglises membres et certains partenaires sur le terrain ; plusieurs Eglises et conseils nationaux d'Eglises nous ont régulièrement informés, et nous avons diffusé leurs informations aussi largement que possible au sein de la famille oecuménique. Le personnel a beaucoup fait pour essayer de répondre aux besoins humains, tant au niveau global qu'au niveau des pays particuliers. Le secrétaire pour l'Asie s'est rendu dans certaines zones touchées par la catastrophe, à Sri Lanka et en Inde, où il a été accompagné par des responsables des Eglises membres et conseils nationaux d'Eglises des régions affectées.

80. ACT a lancé deux appels, pour un budget estimé à 41.8 millions de dollars, d'ailleurs déjà couvert par les membres de famille oecuménique. Dans les pays touchés par le tsunami et dans les pays voisins, les Eglises locales ont également lancé des missions spéciales pour manifester leur solidarité avec les populations souffrantes des régions touchées.

81. Dans une lettre pastorale, le président du Comité central et moi-même avons exprimé notre solidarité avec les populations éprouvées par le tsunami. Nous y avons fait part de notre sympathie la plus profonde au nom du COE et nous avons pris acte, avec beaucoup de satisfaction, des efforts exemplaires déployés par nos Eglises membres pour répondre à cette tragédie. Dans nos prières, nous avons imploré Dieu de nous donner à tous la force de surmonter l'angoisse de vivre dans un monde ébranlé par les retombées du découragement, en nous associant aux fidèles d'autres religions pour implorer la grâce de la compassion. En fait, ceux qui sont venus au secours de notre frères et soeurs vivant dans les régions affectées, ce ne furent pas seulement des gens qui professent une religion mais l'ensemble de la communauté internationale. Ce fut une réponse sans précédent à une catastrophe sans précédent. C'est là une des leçons à tirer de cette tragédie : lorsqu'elle en a la volonté sociale et politique, la communauté internationale est capable de mobiliser toutes les ressources nécessaires pour répondre aux besoins de la population du monde. Sans doute s'agit-il là d'un acte exceptionnel, mais nous souhaitons qu'il puisse s'élargir et se prolonger pour vaincre d'autres tragédies auxquelles l'humanité est confrontée. Quoi qu'il en soit, nous en avons été témoins : la perte et la douleur peuvent elles aussi rapprocher la famille humaine et refuser le stigmate de la différence.

82. Une autre leçon à tirer du tsunami, c'est que nous vivons dans un monde fragile. Face à des bouleversements de portée mondiale, les êtres humains peuvent être impuissants. Le 26 décembre dernier, nous avons vu comment le déchaînement de forces cosmiques peut nous amener au bord de la désolation ; cela devrait nous rappeler notre vulnérabilité face à des tragédies de portée mondiale. Lorsque des choses terribles se produisent dans la vie, certains ont tendance à y voir des manifestations apocalyptiques. Certains se sont hâtés d'interpréter le tsunami comme une manifestation de la colère de Dieu contre une humanité pécheresse. Mais cela ne nous aide en rien ; en outre, lorsque ce sont des chrétiens qui avancent de telles idées, cela suscite des doutes dans les esprits des personnes traumatisées et au bord du désespoir. Ne rejetons pas la faute sur la victime.

83. Le tsunami a eu des conséquences immédiates, mais aussi à long terme. Les besoins matériels que provoque une telle catastrophe sont nombreux et immenses : nourriture, eau, vêtements, logements. Mais, en outre, cette catastrophe a eu des effets profondément traumatisants : les besoins psychologiques et émotionnels des individus, des familles et de communautés tout entières continueront à se faire sentir bien après que les médias auront cessé de parler de la situation. C'est en pensant à cela que nous nous proposons d'envoyer des « lettres vivantes » dans les pays affectés par le tsunami. D'après nos expériences passées, dont la plus récente est celle des Etats-Unis, où nous avons envoyé des « lettres vivantes » après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, nous savons que l'accompagnement spirituel dont ces lettres sont l'expression contribue grandement à la guérison et au rétablissement psychologiques de gens qui ont du mal à surmonter les effets de la tragédie. Nous espérons que, dans les prochains mois, nous serons en mesure de mettre sur pied une ou plusieurs équipes de dirigeants d'Eglise et d'autres chrétiens, originaires d'Asie et d'autres régions du monde, qui se rendront dans les régions affectées.