Par Stephen Brown (*)

L'expérience des théologiennes africaines a été cruciale pour aider les communautés religieuses à faire face au problème du VIH et du SIDA en Afrique, affirme la coordinatrice d'un réseau œcuménique de lutte contre la pandémie sur le continent.

"Un grand nombre des problématiques auxquelles nous nous attaquons aujourd'hui - les principaux vecteurs du VIH tels que la violence, les aspects culturels, l'interprétation erronée des Ecritures - tout cela a été traité au cours des discussions des théologiennes africaines", a expliqué la pasteure kényane Nyambura Njoroge, coordinatrice de l'Initiative œcuménique de lutte contre le VIH et le SIDA en Afrique (EHAIA).

La pasteure Njoroge a été interviewée à Vienne, où elle participait à la XVIIIe Conférence internationale sur le SIDA. Elle est coordinatrice de l'EHAIA pour le Conseil œcuménique des Eglises (COE) depuis 2007.

L'EHAIA compte également cinq coordinateurs régionaux et deux consultants théologiques basés dans toute l'Afrique. L'initiative a été lancée en 2002 afin de permettre aux Eglises d'avoir accès aux informations, aux formations et aux ressources nécessaires pour les aider à faire face au VIH et au SIDA dans leurs communautés. Au cours de ses quatre premières années, l'EHAIA a atteint les 9000 participants.

"Notre objectif est de faire en sorte que les Eglises et les institutions théologiques soient compétentes en matière de VIH", a déclaré Nyambura Njoroge, qui, à 53 ans, est pasteure ordonnée de l'Eglise presbytérienne de l'Afrique de l'Est.

Arrivée au COE en 1999, la pasteure Njoroge a commencé en tant que coordinatrice du programme sur l'éducation théologique. A ce poste, elle s'est rapidement rendu compte de l'importance de l'éducation théologique pour former des théologiens et des pasteurs compétents en matière de VIH.

Une série de colloques a alors été organisée, conduisant à la création de l'EHAIA.

"Avec le recul, je vois que mon ministère a été façonné par la dynamique du VIH, en particulier dans le contexte africain", a affirmé la pasteure Njoroge. "Pour moi en tant qu'Africaine, cela revêt un caractère personnel. J'ai arrêté de compter le nombre de personnes que nous avons perdues dans notre famille élargie."

La pasteure Njoroge, qui est titulaire d'un doctorat du Séminaire de théologie de Princeton sur "La théologie africaine et l'éthique sociale chrétienne", a également apporté à l'EHAIA son expérience au sein du Cercle des théologiennes africaines engagées, un réseau fondé en 1989 à Accra, au Ghana.

"Il était évident que la plupart des personnes touchées sur le continent étaient des femmes, parce c'est nous qui nous occupons des malades et parce c'est nous qui en faisons les frais", a affirmé la pasteure Njoroge. "La majorité des séropositifs sont des femmes. Nous ne pouvions donc pas omettre de nous demander pourquoi il existe un déséquilibre entre les sexes."

En tant que théologiennes africaines, "nous avons bataillé avec ces problématiques", a indiqué Nyambura Njoroge, "et aujourd'hui, nous avons dû les présenter aux ateliers à des pasteurs qui ne sont pas familiarisés avec ces questions."

Pourtant, a-t-elle souligné, la défense de la cause en matière de VIH n'est pas toujours facile pour les responsables d'Eglise, à cause de la dynamique et de la complexité de la pandémie, ainsi que de la nécessité de "parler de sexualité et de toute sa diversité".

C'est là l'une des raisons pour lesquelles, selon elle, l'éducation théologique est si importante, "pour que, lorsqu'on se rend à l'église, on n'ait pas peur de ces problématiques."

VIH, genre et homosexualité

A Vienne, la pasteure Njoroge était l'une des intervenantes lors d'une pré-conférence multireligieuse qui s'est tenue avant la Conférence sur le SIDA. Elle s'est également exprimée pendant la conférence principale, lors d'un atelier intitulé "Les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et leurs besoins dans les pays à bas et moyen revenus."

"Nous sommes passés par plusieurs étapes. Nous avons commencé par la question du genre", a-t-elle expliqué. "Nous avons fait beaucoup de progrès. Je pense que la plupart des gens s'accordent à dire que c'est là une problématique qu'il faut traiter ... L'homosexualité fait désormais partie des questions incontournables."

Ces derniers mois, cependant, certains responsables d'Eglise de pays comme l'Ouganda et le Malawi se sont prononcés en faveur de sanctions pénales à l'encontre des homosexuels. Pour les militants du VIH, cela pourrait contraindre les personnes menacées par la maladie à se faire extrêmement discrètes.

La pasteure Njoroge a reconnu une contradiction avec le fait que, dans de nombreuses régions d'Afrique, ce sont les Eglises qui prodiguent les soins et offrent un accompagnement aux séropositifs.

"Il s'agit d'une question sur laquelle nous ne nous mettrons jamais d'accord, sur laquelle il y aura toujours plus d'un seul point de vue", a-t-elle souligné. "Mais comment amener quelqu'un à faire un test de dépistage si cette personne vit dans la clandestinité à cause de ce qu'on dit sur elle?"

Pour la pasteure Njoroge, des "espaces protégés" sont nécessaires pour permettre aux responsables religieux d'aborder ce genre de questions avec les personnes directement concernées. "La leçon que nous en avons tiré, c'est qu'il faut parmi nous des gens qui sont séropositifs, et qu'il y ait parmi nous des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes."

Par ailleurs, la pasteure Njoroge a suggéré de poursuivre les recherches sur l'attitude qu'avaient les communautés traditionnelles africaines vis-à-vis de ces questions. "Pouvons-nous en tirer des leçons?"

Elle affirme puiser son inspiration dans l'attitude qu'a eue le COE face au VIH dans les années 1980 en devenant l'une des première organisations internationales à réagir à la maladie.

Sous la direction de son secrétaire général d'alors, le pasteur Emilio Castro, le COE avait élaboré des directives pour réagir au SIDA, notamment l'affirmation du "droit à l'accompagnement médical et pastoral, quels que soient le statut socio-économique, la race, l'orientation sexuelle ou les relations sexuelles".

Emilio Castro "savait que la tâche serait ardue. Mais il ne s'est pas laissé intimider", a affirmé la pasteure Njoroge. C'est cette attitude qu'il convient d'adopter: "Avons-nous le courage de montrer la voie?"

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(*) Stephen Brown, directeur de la rédaction de ENI (Nouvelles œcuméniques internationales), faisait partie de l'équipe de médias œcuméniques à la Conférence internationale sur le SIDA.

Initiative œcuménique de lutte contre le VIH et le SIDA en Afrique

Informations complémentaires sur l'action militante d'inspiration religieuse à la Conférence internationale sur le SIDA (en anglais)

Enregistrements audio et vidéo de l'atelier (en anglais)

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