Par Hanna Smidt

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L’article ci-après est publié dans le cadre de la campagne intitulée « Sur les ailes d’une colombe », organisée dans le monde entier, du 25 novembre au 10 décembre 2004, par des Eglises et des institutions liées aux Eglises. Au cours de cette campagne, des recueillements et des veillées de prière, des discussions et des expositions permettront de sensibiliser le public à la violence dont sont victimes les femmes et les enfants, pour essayer d’apporter justice et guérison aux victimes de la violence.

« Nous avons beaucoup souffert ; et même maintenant, nous souffrons encore », déclare Rita Wheazor, directrice de l’organisation des femmes victimes de la guerre au Libéria (War-Affected Women in Liberia, WAMIL). Comme beaucoup d’autres femmes du Libéria, Rita a souffert, au cours des 14 années de la guerre civile qu’a connue ce pays, d’une violence ciblée contre les femmes.

Au Libéria, la violence sexuelle et la discrimination des femmes ont été largement utilisés comme armes d’intimidations, comme c’est aussi le cas dans d’autres conflits et guerres. Rita a elle-même été violée pendant la guerre, et sa fille a été violée et tuée. Se rassembler et échanger des récits de souffrances avec d’autres femmes – voilà comment a commencé WAMIL, explique Rita : « Lorsque, la première fois, nous nous sommes réunies dans un garage, nous avons prié ensemble. Les femmes me disaient : "Tout est perdu, nous ne sommes rien. Personne n’est venu à notre secours. Nous pensons que Jésus ne nous aime plus". »

Mais Rita n’a pas voulu admettre que Jésus les ait abandonnées, qu’il ait accepté qu’elles soient victimes de la violence. Elle a voulu qu’elles se serrent les coudes et découvrent un sens dans le chaos. « Maintenant, nous sommes les femmes victimes de la guerre pour Jésus. Nous avons réussi à obtenir tous les documents officiels. Et parfois, des personnes et des organisations nous viennent en aide. »

WAMIL existe depuis moins de deux ans ; son travail consiste à apporter un soutien psychologique et une assistance matérielle limitée aux Libériennes qui ont souffert de la guerre. Dans un modeste abri, Rita rassemble les femmes pour qu'elles racontent en toute franchise leurs douloureuses expériences – des violences et des mauvais traitements qui dépassent l'entendement. L’action de WAMIL est soutenue par Concerned Christian Community, qui est une organisation indépendante, et par le Conseil des Eglises du Libéria. Cette action consiste à aller à la rencontre des femmes victimes de la guerre, qui gardent souvent pour elles ce qu’elles ont subi car cela est considéré comme honteux et déshonorant.

« Après avoir vécu cela suivi du viol et du meurtre de ma fille, j’ai voulu mourir. Je voulais me noyer. Mais des femmes sont venues partager ma douleur. Lorsqu’elles sont venues, nous avons toutes commencé à pleurer et à raconter ce qui nous était arrivé. Une femme disait qu’on avait tué son mari et violé ses deux filles devant elle. On a violé sa petite-fille âgée de sept ans ; elle a saigné pendant trois jours avant de mourir. Ce qui a donné naissance à notre organisation, c'est de se réunir, et de se raconter mutuellement nos histoires, les leurs et la mienne. » Rita Wheazor, directrice de War-Affected Women in Liberia.

Le viol systématique : une arme d’intimidation

En 2003, au bout de 14 ans, la guerre civile au Libéria s’est terminée par la signature d'un accord de paix entre les rebelles et le gouvernement provisoire. Actuellement, les Nations Unies supervisent les opérations de maintien de la paix, avec notamment le désarmement de dizaines de milliers d’anciens rebelles et le rapatriement de centaines de milliers de réfugiés et de personnes déplacées à l’intérieur du pays. Des élections sont prévues pour 2005.

Au cours de cette guerre, tout le monde au Libéria a souffert. Toutes les personnes que l’on rencontre racontent qu’elles ont perdu des membres de leur famille, qu’elles ont été obligées de fuir, encore et encore, que leurs maisons ont été pillées et incendiées, qu’elles ont été victimes de mauvais traitements et d’actes de violence, qu’elles ont été contraintes de travailler ou de se battre.

Mais les femmes étaient particulièrement visées par la violence, du simple fait qu’elles étaient des femmes. Souvent, les rebelles violaient les femmes et tuaient les hommes systématiquement. Parfois, ils violaient les femmes avant de les tuer. Dans le Libéria actuel, les femmes qui ont survécu jugent de leur sort selon qu’elles ont ou non été violées – ou « déshonorées », pour utiliser un euphémisme courant.

Cette violence, c’était le viol individuel ou collectif, mais aussi des « mariages » forcés avec les hommes qui les violaient, les femmes étant alors obligées de faire la cuisine, le ménage, la lessive et de se soumettre sexuellement à leur ravisseur. Au cours du conflit, certaines femmes ont également combattu, ce qui ne les a pas empêchées d’être aussi des esclaves sexuelles. Beaucoup d’entre elles, dont certaines n’étaient encore que des enfants, s’occupent maintenant des enfants nés de ces viols. Beaucoup de femmes ont été abandonnées par leur mari, à cause de la stigmatisation associée au viol ; d’autres sont maintenant considérées comme indignes de se marier, pour la même raison. D’autres encore souffrent de maladies sexuellement transmissibles, et notamment du VIH/sida ; ce qui fait que leur souffrance continue. Des femmes et des fillettes, plus nombreuses que celles qui ont été tuées, ne survivent qu’avec de profondes blessures physiques et psychologiques. Elles sont meurtries dans leur dignité, leurs sentiments, leur honneur et leur avenir.

« Nous sommes devenues des mendiantes, dit Rita. Entre nous toutes qui venons ici, je crois que nous avons 300 enfants qui ne vont pas à l’école. Nous n’avons pas les moyens de payer les frais de scolarité. Des femmes viennent me demander 5 ou 10 dollars libériens pour acheter du riz. On vient me demander du savon pour faire la lessive. »

Où est la justice ?

Alors que la situation reste tendue et instable, que les anciens combattants ont déposé les armes, que les rapatriements commencent et que l'on prépare les élections de l’année prochaine, les auteurs de ces violences restent impunis. Ils se promènent dans la rue, et leurs victimes les reconnaissent.

« 16 hommes armés ont sauté par-dessus la clôture, ils ont forcé la porte et sont entrés dans notre appartement. Ils ont pris les téléphones portables, l’argent, tout. J’avais avec moi mes enfants - mon fils, ma fille, mes deux neveux, ma nourrice. Un jeune homme armé d’un marteau s’est dirigé vers moi : « Celle-là est pour moi ». Il m’a frappé à la tête avec son marteau. Il m’a enlevé mon jeans pour me violer. Ma petite fille a commencé à hurler. Alors l’homme a attrapé ma fille qui criait, il l’a assommée et a commencé à la violer. Il me l’a carrément arrachée des mains, il l’a violée au point qu’elle en est morte, puis il l’a repoussée de côté. » Rita Wheazor

Non seulement les anciens combattants se promènent librement dans les rues mais, lorsqu’ils déposent leurs armes, ils reçoivent une compensation financière. On leur propose des ateliers pour guérir leurs traumatismes ou pour développer leurs compétences, on les incite à aller à l’école. De tels encouragements et possibilités ne sont pas offerts à la plupart des gens qui n’ont pas participé à la guerre. Pour que la paix ait une vraie chance de s’instaurer, il faut investir pour la paix. Il faut offrir à ceux qui ont choisi de faire la guerre de bonnes raisons de préférer la paix. Mais cela est difficile à accepter pour les femmes qui n’ont presque rien pour vivre, qui portent les stigmates de la violence dont elles ont été victimes et qui voient que, apparemment, on récompense ceux qui les ont violées.

Alors que la violence sexuelle et fondée sur la discrimination des femmes pendant la guerre est si largement attestée, pourquoi n’est elle pas punie? Et pourquoi les victimes ne reçoivent-elles pas les mêmes avantages que leurs violeurs? D’après Human Rights Watch, « les violences contre les femmes sont permanentes, systématiques et largement tolérées, sinon même admises » et « les auteurs de violences sexuelles continuent à jouir d’une impunité quasi totale ». On continue à n’accorder qu’une importance secondaire à la guérison des traumatismes subis par les femmes, à une assistance humanitaire préférentielle pour les femmes, au maintien de la paix et aux efforts de paix ainsi qu’à la prévention des conflits.

« Les rebelles et les combattants ont tué et violé - mais qui est venu à notre secours ? Eux sont libres. Je l’ai vu, l’homme qui a tué mon enfant! Je sais qui il est, et je ne l’oublierai jamais. Il portait de petits anneaux à l’oreille droite. Et on ne lui fait rien! Nous continuons à vivre avec les mêmes gens, nous les voyons tous les jours. Ils nous voient. Il n’y a pas de justice au Libéria. » Rita Wheazor

Trouver l’espérance en Christ

La violence sexuelle et fondée sur la discrimination hommes-femmes, aussi bien en temps de paix qu’en temps de guerre, relève des droits humains. A la guerre, les droits des femmes et des enfants sont violés parce que ce sont des femmes et des enfants. L’égalité sexuelle et entre les sexes est une question de droits humains et de justice.

Les organisations telles que WAMIL, qui s’efforcent de réunir des femmes pour qu’elles puissent raconter leurs souffrances et prier ensemble, n'en sont qu'à leurs débuts. Exprimer, raconter ce qu’on a vécu, c’est une partie importante de tout processus de guérison. De façon générale, les Libériens sont des gens très ouverts, ils veulent bien parler de la guerre, ils en sont capables, mais il est difficile d’exprimer des expériences de ce genre, qui sont considérées comme honteuses et déshonorantes.

Elle-même victime de la guerre, Rita rompt ce silence : elle ne se contente pas de rapporter des récits décourageants, voire désespérants: elle témoigne d'une exigence de justice dans un pays où elle paraît lointaine. Quoique accablée, elle insiste sur la dignité et les droits des femmes - même de celles qui ont du mal à surmonter leur honte et qui ne peuvent trouver des mots pour exprimer leur souffrance. Avec très peu de moyens et dans un environnement où tout le monde s’efforce de retrouver un semblant de normalité, Rita prend l’initiative. Elle rappelle aux autres les conséquences de la guerre qu’on a souvent tendance à oublier une fois les combats terminés, à savoir que les gens gardent des blessures, parce qu’ils y ont survécu.

"Maintenant, nous sommes les femmes victimes de la guerre pour Jésus", dit Rita. Les Eglises devraient prendre exemple et soutenir le travail libérateur de ces femmes, afin que ce ne soient plus seulement les femmes victimes de la guerre qui se tournent vers Jésus, mais que ce soit aussi Jésus qui, au travers d’Eglises, d’individus et d’organisations, se tourne vers ces femmes affectées par la guerre, la violence et la discrimination sexuelle.

Les Eglises ont encore beaucoup à faire pour veiller à ce que, en cas de violence, justice soit rendue aux femmes. Les Eglises doivent faire entendre leur voix et exercer leur influence pour condamner les violations des droits humains dont sont victimes les femmes du fait qu’elles sont des femmes. Elles doivent accepter d’en parler, de se prononcer sur ces événements même lorsqu’ils sont considérés comme honteux et inimaginables. Elles doivent continuer à le faire non seulement au Libéria, mais aussi au niveau international, en contribuant à créer des espaces dans lesquels on pourra parler de la violence sexuelle et de la discrimination et s’efforcer d’en guérir les conséquences.

Au Libéria, les femmes puisent bien souvent leur réconfort et trouvent un sens à leur vie dans leur foi en Jésus. Cette foi les aide, malgré leurs souffrances, à briser le silence et à se reconstruire. C’est l’une des choses miraculeuses qui se produisent au Libéria : que la foi en Dieu et la présence de Dieu dans la vie et les récits de bien des femmes témoigne, malgré ce qu’elles ont vécu, de la possibilité de croire en la vie et d'espérer, même lorsque des vies été ôtées et que l'espoir semble tué.

Hanna Smidt est stagiaire au Conseil œcuménique des Eglises. Elle est s’est rendue au Libéria du 14 au 25 octobre 2004, sous les auspices du Programme du COE pour lespersonnes déracinées en Afrique; elle s’est entretenue avec plusieurspersonnes pour essayer de mieux comprendre le rôle des Eglises et de la foi en temps de conflit.

NOTE HISTORIQUE

Le Libéria a été créé en 1847 par des anciens esclaves américains affranchis, qui ont acheté des terres aux chefs locaux. Les descendants de ces colons, appelés Américano-Libériens, ont détenu le pouvoir au Libéria jusqu’en 1980, année où le président fut assassiné au cours d’un coup d’Etat dirigé par un militaire, Samuel Doe. S’il a marqué la fin de la domination des Américano-Libériens, ce coup d’Etat a en même temps été le début d’une période d’instabilité.

En arrivant au pouvoir, Doe a suspendu la constitution mais a promis un retour rapide à un gouvernement civil. En 1984, il a autorisé le rétablissement des partis politiques, et il fut, en 1985, le premier président d’origine autochtone.

A la fin des années 1980, le gouvernement arbitraire et l’effondrement de l’économie ont débouché sur la guerre civile. En 1989, les dissidents du Front patriotique national de Charles Taylor ont pris le contrôle de la plus grande partie du territoire et ont exécuté Doe en 1990. Les combats se sont intensifiés du fait que les rebelles se sont scindés, se combattant mutuellement et combattant l’armée libérienne et les forces ouest-africaines de maintien de la paix.

En 1995, un accord de paix fut signé et Taylor finit par être élu président. En 1999, le Ghana, le Nigéria et d’autres gouvernements accusèrent Taylor de soutenir les rebelles de Sierra Leone; de son côté, Taylor accusait la Guinée de soutenir des rebelles libériens dans le nord du pays.

En 2000, les troupes gouvernementales remportèrent une victoire sur les rebelles autour de la ville de Voinjama, et des accrochages eurent lieu, sur la frontière, avec les forces armées guinéennes, ce qui provoqua le déplacement de milliers de personnes. En 2003, le conflit cessa lorsque, sous la pression internationale et gêné par les rebelles, Taylor démissionna et partit en exil.

Quelques mois plus tard, un gouvernement provisoire de transition était instauré pour préparer des élections qui doivent avoir lieu en 2005.

On trouvera deux photos illustrant cet article sous:

www.wcc-coe.org/wcc/what/jpc/liberiawomen.html

Les opinions exprimées dans les reportages publiés par le COE ne reflètent pas nécessairement la politique du COE. Ce texte peut être reproduit gratuitement, en indiquant le nom de l'auteur.