Une importante sélection d'oeuvres du peintre et sculpteur ghanéen Kofi Setordji est présentée au Centre oecuménique, à Genève, siège du Conseil oecuménique des Églises.

Dans Les plaies de la mémoire, Setordji évoque le génocide qui a eu lieu au Rwanda en 1994 et au cours duquel 800 000 personnes ont été tuées en 100 jours.

Entouré d'oeuvres en bois, en métal et en céramique, son élément central est un lit de terre d'environ 5 m² dans lequel sont incrustés des masques d'argile et qui fait penser à une fosse commune. Un vautour de métal plane au-dessus.

D'autres oeuvres présentent des masques sur le front desquels est gravé un chiffre et dont les yeux sont bandés de fil de fer. Ce sont des statistiques, rendues impersonnelles et impuissantes par les auteurs du génocide.

Certaines des oeuvres relèvent de la satire amère. Devant trois bustes abstraits en bois repose un crâne humain portant l'inscription : Exhibit (pièce à conviction) ; cette oeuvre a pour légende : « Juges, quel rôle avez-vous joué ? » Pour une population sans défense, des sentinelles montent la garde - non pas dans des guérites mais dans des cercueils. Dirigeants politiques, religieux et militaires - Mascarades montre des personnages dont la poitrine est une boîte, avec une porte montée sur charnières ; les portes sont ouvertes, ce qui permet de voir que, à l'intérieur, il n'y a pas de coeur, il n'y a rien.

L'une des oeuvres les plus puissantes est un personnage en bois, sans titre ; son bras droit, puissant et massif, pend, le poing fermé, prêt à frapper. Le bras gauche, tendu à l'horizontale, tient la balance de la justice, vide, mais dont les plateaux sont en déséquilibre. Le visage de ce personnage est fait de métal, avec des yeux impitoyables, mais sans bouche. Il n'y a rien à dire aux victimes.

Lors de l'inauguration de cette exposition, le 26 août, pendant la réunion du Comité central du Conseil oecuménique des Églises, le pasteur Wilfried Steen, Directeur des relations publiques et des programmes du Service de développement des Eglises (EED) de l'Église évangélique d'Allemagne (EKD), qui a organisé cette exposition, a déclaré : « Devant la cruauté inimaginable des massacres perpétrés au Rwanda pendant la guerre civile, l'art doit faire preuve de créativité et d'intégrité pour nous permettre de faire autant que possible face au passé récent. Il sera impossible de guérir les mémoires sans faire l'effort de comprendre. »

Dans sa propre intervention, Setordji a déclaré : « Il y a neuf ans, j'ai été traumatisé par les images télévisées du génocide rwandais ; telle est l'origine des oeuvres présentées ici. J'ai dédié cette oeuvre à toutes les victimes de génocides dans le monde entier. »

Aux membres du Comité central, il a également dit : « Je veux croire que, lorsque vous rentrerez chez vous, vous encouragerez les autres à ne jamais faire partie de la foule des spectateurs passifs mais à prendre le parti de la paix et de la dignité humaine. »

Par ailleurs, Setordji a évoqué les images montrant des réfugiés à Goma et des cadavres flottant sur le lac Ituri : « En voyant tous ces cadavres dériver comme des vieux papiers, je n'ai pas pu m'empêcher de me demander :'Comment cela peut-il se produire au XXe siècle ?' Ces gens-là sont morts pour rien. Et j'ai voulu contester tout le système qui a laissé faire ce massacre, qui en a condamné les auteurs, mais qui n'a pas jugé ceux qui l'ont alimenté - les marchands d'armes et les grandes puissances pour qui c'était une affaire de pouvoir. »

Setordji pense que, si les Hutus ont pu commettre de telles actions, c'est que, en participant à des actions de groupe, ils avaient perdu le sens de leur responsabilité individuelle. Qualifiant cet état de « maladie », il a ajouté : « Cette exposition veut avant tout amener les gens à se regarder en face et à se dire : 'Nous aussi, nous sommes atteints par cette maladie'. Nous prétendons éradiquer la polio, mais nous refusons de nous regarder en face. Si cela a pu avoir lieu, c'est que les êtres humains sont utilisés comme des pions. Personne n'avait intérêt à ce que cela s'arrête. Mais je voudrais que cette exposition soit un panneau 'Stop', un signal qui oblige les gens à penser : 'Il ne s'agit pas de deux groupes ethniques, ni du continent africain. Il s'agit d'être humains'. »

A propos du rôle que la prière joue dans son oeuvre, Setordji a déclaré : « Dieu a créé le monde. La clef, c'est qu'il a créé l'homme à son image. Il a pris de l'argile et de l'eau et lui a insufflé le souffle de la vie. Dans notre travail aussi, il y a une dimension créatrice, et c'est ainsi que nous sommes à l'image de Dieu. »

Cette exposition montre qu'un tiers des oeuvres consacrées par Setordji au thème du Rwanda, qu'il a réalisées en deux ans et demi de travail intensif.

Présentée pour la première fois en juin dernier lors du Kirchentag de Berlin, l'exposition quittera Genève le 24 septembre et sera présentée à Kigali du 2 au 15 avril 2004.