par Sara Speicher

cf. Press Update, Up-01-02, du 12 mars 2001

cf. Communiqué, PR-01-07, du 8 mars 2001

"Nous sommes une minorité minuscule." Voilà comment les chrétiens du Bangladesh se définissent. Le fait est que dans ce pays de plus de 130 millions d'habitants, il n'y a que 400'000 chrétiens, soit 0,3% de la population. 88% sont musulmans, 10% sont hindous, tandis que les bouddhistes, les chrétiens et les adeptes d'autres religions constituent les 2% restants.

La communauté des chrétiens du Bangladesh n'est pas seulement minuscule, elle est aussi divisée. Avec 200'000 à 250'000 fidèles, l'Eglise catholique romaine est la plus importante; les Eglises protestantes comptent 150'000 membres au total, répartis en 51 dénominations, selon le Conseil national des Eglises du Bangladesh (NCCB).

Avant la guerre d'indépendance de 1971, le Bangladesh comptait 13 dénominations protestantes. Mais, comme l'explique Sudhir Adhikari, président du NCCB, les campagnes d'évangélisation d'Eglises et de sociétés missionnaires venues notamment des Etats-Unis, d'Allemagne, d'Australie, de Malaisie, de Singapour et de Corée ont entraîné une prolifération des Eglises, qui s'explique aussi par la pauvreté et les problèmes rencontrés par une minorité chrétienne qui doit lutter pour sa survie. Toutefois, le nombre des chrétiens, lui, n'a pas augmenté. Les chiffres du recensement montrent que depuis 1974, leur pourcentage est resté stable. "Bien que le nombre des Eglises ait augmenté de plus de 300%", souligne M. Adhikari, "la population chrétienne est demeurée au même niveau. Ces nouvelles Eglises sont constituées par des membres d'anciennes communautés, comme l'Eglise baptiste Sangha du Bangladesh et l'Eglise du Bangladesh."

Ce morcellement oblige les Eglises du pays et celles de l'extérieur à poser quelques questions critiques.

Une question de survie

Le Bangladesh est l'un des pays les plus pauvres, les plus peuplés et les moins développés de la planète. La surpopulation, les catastrophes naturelles, la corruption et la dégradation de l'environnement expliquent pourquoi la très grande majorité des habitants de ce pays de l'Asie du Sud-Est n'ont pas accès au développement économique et social.

Les membres des Eglises estiment que la mauvaise situation économique du Bangladesh, et la pauvreté des chrétiens en particulier, sont à l'origine de cette multiplication des dénominations. L'aide des missions étrangères est nécessaire à la survie des fidèles et constitue la cause principale de la prolifération d'Eglises parfois concurrentes et d'organisations non gouvernementales.

"Le personnel des ONG et les responsables des nouvelles Eglises et des organisations qui leur sont proches touchent les salaires les plus élevés et constituent un groupe privilégié dans la communauté chrétienne", déclare M. Adhikari. "Créer une ONG ou une Eglise représente la meilleure manière de gagner de l'argent. Les gens ne changent pas de religion parce qu'ils sont convaincus du bien-fondé de la doctrine de la Trinité, du salut ou de la rédemption, mais avant tout pour assurer leur survie physique, sans laquelle il ne peut y avoir de valeurs spirituelles ni de dignité sociale."

Face à la lutte désespérée des gens pour assurer leur subsistance, la multiplication des Eglises n'est pas forcément considérée comme un mal par leurs responsables. Toutefois, les tentatives passées et présentes de "convertir" les fidèles pour les faire changer d'Eglise et le souci de protéger les intérêts de chaque Eglise ont débouché sur la méfiance, la désinformation et l'absence de coopération entre les nombreuses petites Eglises qui luttent pour leur survie matérielle et spirituelle.

Les organisations oecuméniques connaissent bien cette méfiance. Prince Sanjay Saha, membre du Mouvement chrétien des étudiants, déclare: "De nombreux responsables d'Eglises n'aiment pas que les jeunes fidèles fassent partie d'un groupe oecuménique, de peur qu'ils n'adhèrent à une autre Eglise ou n'en fondent une nouvelle."

Albert Samadder, secrétaire général de l'Eglise du Bangladesh et membre du Comité central du Conseil oecuménique des Eglises (COE), évoque aussi le problème de l'évangélisation et de la différence qui existe entre la volonté de faire connaître le Christ aux gens et le désir de prouver à un donateur étranger que votre Eglise est en pleine croissance. "Si vous avez assez de force morale et de courage, pourquoi ne convertissez-vous pas les gens au lieu de voler des fidèles à d'autres Eglises?"

M. Adhikari affirme que "la coopération et la compréhension entre les Eglises anciennes et les nouvelles progressent lentement", mais que "les activités d'évangélisation toujours plus agressives des Eglises 'indépendantes' et des groupes assimilés à des Eglises mettent en danger les anciennes relations interecclésiastiques et suscitent la méfiance et les malentendus entre les dénominations. [...] Ces nouvelles Eglises créées avec l'aide de missions étrangères ne font rien pour améliorer la qualité de la vie spirituelle mais se bornent à assurer une existence confortable à quelques dignitaires. [...] Le dollar est puissant et peut créer instantanément de nouveaux dignitaires en ouvrant une nouvelle église."

Faire comprendre l'oecuménisme

En mars 2001, le pasteur Konrad Raiser, secrétaire général du COE, s'est rendu au Bangladesh et a invité les Eglises à surmonter la méfiance et les rivalités et à multiplier les occasions de collaborer. Les membres du Comité exécutif du NCCB estiment cependant qu'il faut tout d'abord que les fidèles comprennent ce que signifie "la collaboration oecuménique".

"Nous avons du mal à travailler ensemble", admet M. Adhikari. "Le NCCB essaie bien de faire comprendre que nous ne voulons pas nous mêler des affaires internes des autres, mais la volonté de communiquer n'est pas très forte. Comment instaurer un dialogue là où il n'y a que des monologues?"

Parmi les nombreuses dénominations protestantes, 6 seulement sont membres à part entière du NCCB, qui fut créé en 1949 sous le nom de Conseil chrétien du Pakistan oriental et changea de nom en 1972 après l'indépendance. Ces membres à part entière sont l'Eglise baptiste Sangha du Bangladesh, l'Eglise chrétienne Bogra, l'Eglise du Christ au Bangladesh. l'Eglise de Dieu (Isharer Mondoli), l'Eglise presbytérienne du Bangladesh, l'Eglise unie du Bangladesh et la Communauté évangélique baptiste du Bangladesh. Six autres sont membres associés: l'Association médicale chrétienne du Bangladesh, le Fonds d'affectation spéciale de l'Eglise méthodiste du Bangladesh, la Commission chrétienne du développement du Bangladesh, la Société biblique du Bangladesh, le Programme de soins de santé communautaires et la Fondation Dishary.

Depuis la visite du pasteur Raiser, l'Eglise du Christ a adhéré au NCCB en tant que membre à part entière et deux ou trois autres envisagent d'en faire autant. Mathews George Chunakara, chargé du programme "Asie" au COE, a multiplié les efforts pour encourager la collaboration oecuménique aux niveaux régional et national. Des discussions sont en cours pour essayer de mettre fin à la séparation entre l'Eglise du Bangladesh et le NCCB.

"Au Bangladesh, ce ne sont pas les problèmes dogmatiques ou théologiques qui font obstacle à la coopération et à la communauté oecuméniques", déclare M. Chunakara. "Ce sont les querelles et les conflits de personnes entre certains responsables d'Eglises qui empêchent la jeune génération de jouir des bienfaits d'un climat oecuménique. La majorité des responsables et des chrétiens plus jeunes sont favorables au renforcement du mouvement oecuménique. Ces derniers temps, des signes d'unité et de collaboration oecuménique sont apparus, et le COE encourage tout ce qui peut favoriser cette évolution."

Comme une Eglise doit compter au minimum 25'000 fidèles pour être membre à part entière du COE, seule l'Eglise baptiste Sangha du Bangladesh, qui en a 33'000, a pu demander son admission. L'Eglise du Bangladesh, avec 15'000 fidèles, est membre associé.

De nombreux responsables d'Eglises demandent aide et conseils au COE pour surmonter leurs divisions. "Les organisations ecclésiastiques du Bangladesh considèrent le COE comme un symbole de l'unité en Christ", déclare M. Adhikari. Le fait d'avoir des contacts avec une communauté mondiale d'Eglises leur permet aussi de porter un regard nouveau sur leur situation. "Nous devons être à l'écoute des autres pays pour découvrir comment ils ont surmonté les divisions de leurs Eglises. "Certaines voix s'élèvent aussi pour affirmer que nous sommes trop petits pour nous permettre de ne pas collaborer".

A l'occasion d'une visite de membres du personnel du COE, un service oecuménique avec communion a eu lieu le 27 janvier, pour la première fois depuis plus de 10 ans. Il avait été organisé par le NCCB et incluait l'Eglise du Bangladesh. Les réactions ont été si favorables que beaucoup de gens ont demandé pourquoi cela ne se faisait pas plus souvent. Voilà un petit pas, mais qui peut être décisif pour célébrer le Christ en commun.

Sara Speicher, spécialiste de la communication, travaille dans l'équipe "Information" du COE. Elle s'est rendue au Bangladesh en janvier 2002 pour une réunion mondiale de spécialistes de la communication, ce qui lui a permis de rencontrer des représentants d'Eglises et d'organisations oecuméniques du pays.

Les photos accompagnant ce Document COE sont publiées sur notre site web