Une délégation internationale de dirigeants d’Églises vient d’achever le 24 janvier une visite en Irak en insistant sur l’avenir des éléments les plus vulnérables de la société irakienne après la défaite militaire attendue de « l’État islamique ». Elle a sollicité une réponse d’urgence de la part de donateurs internationaux pour soutenir les efforts destinés à protéger, à stabiliser et à reconstruire les communautés et les sociétés concernées.
Cette délégation, composée de quatorze personnes, était organisée par le Conseil œcuménique des Églises (COE). Elle a passé cinq jours en Irak, à Bagdad et, au nord, dans la région du Kurdistan. Les délégués ont rencontré les principaux responsables politiques du gouvernement fédéral irakien et du gouvernement régional du Kurdistan (GRK) à Erbil, des députés représentant les minorités, les responsables de la Mission d’Assistance des Nations Unies en Irak, des représentants d’autres communautés religieuses dans ce pays, ainsi que les dirigeants des Églises chrétiennes d’Irak et de jeunes chrétiens.
La délégation du COE a salué l’engagement exprimé par les responsables politiques, à Bagdad comme à Erbil, en vue de préserver la diversité culturelle, ethnique et religieuse du pays.
Antje Jackelen, membre de la délégation et archevêque de l’Église de Suède, a déclaré : « Après avoir entendu les récits de personnes déplacées, chrétiennes et yézidies, nous apprécions énormément le rôle essentiel et exceptionnel joué par de nombreux citoyens et par le Gouvernement régional du Kurdistan qui ont accueilli, offert un refuge et proposé un soutien à des personnes de différentes communautés ayant fui leurs foyers pour échapper à Daesh vers le milieu de 2014 ».
Un autre membre de la délégation, le P. Michel Jalakh, Secrétaire général du Conseil des Églises du Moyen-Orient, remarque : « Les églises, les mosquées et d’autres institutions religieuses ont joué un rôle très important en accueillant et en s’occupant de personnes déplacées dans la région du Kurdistan, notamment au début de la crise. »
La crise humanitaire qui a suivi la conquête vers le milieu de 2014 de Sinjar, de Mossoul et de la Plaine de Ninive, continue aujourd’hui et la région du Kurdistan accueille encore plus de trois millions de personnes déplacées. Après que la délégation ait été informée par le coordinateur de l’ONU en Irak pour les questions humanitaires, le pasteur Frank Chicane, modérateur de la Commission des Églises pour les affaires internationales du COE, a fait remarquer : « Le soutien des donateurs au niveau international est déplorablement inadéquat pour faire face aux besoins incessants, ce qui en laisse le fardeau à la charge des communautés d’accueil et du Gouvernement régional du Kurdistan ».
Les communautés visées par « l’État islamique » - parmi lesquelles, les yézidis et les chrétiens – restent extrêmement vulnérables. Beaucoup parmi leurs membres, lorsqu’ils en ont les moyens – en particulier des chrétiens – continuent de quitter le pays, privant ainsi l’Irak de sa diversité culturelle et religieuse et compromettant l’avenir d’un christianisme autochtone, après plus de 1 700 ans d’histoire chrétienne dans la région.
Bien que les opérations militaires en vue de vaincre l’État islamique aient réussi ces dernières semaines à reprendre certaines villes chrétiennes dans la Plaine de Ninive, les responsables d’Églises irakiens et les représentants du gouvernement ont fait savoir aux membres de la délégation qu’aucun retour important n’était envisageable ou probable tant que la sécurité des chrétiens et d’autres minorités ne serait pas garantie.
« C’est de sécurité que nous avons le plus besoin » a déclaré l’archevêque catholique chaldéen Bashar Warda au cours d’une rencontre du groupe à Erbil. « La reconstruction de nos églises est ce qu’il y a de moins urgent. Ce qu’il faut d’abord, c’est construire des maisons pour que les gens puissent vivre dans la dignité, il faut aussi des infrastructures dans les villages. Mais tout cela ne sera possible que si nous sommes en sécurité. »
La délégation a rencontré plusieurs responsables politiques dans l’ensemble du pays, parmi lesquels le Premier ministre irakien Haïder al Abadi et le Président Fouad Massoum. Dans la région semi-autonome du Kurdistan, elle a rencontré des membres du gouvernement et le Vice-Premier ministre Qubad Talabani. Le groupe a également rencontré des fonctionnaires des Nations Unies, des travailleurs humanitaires, des députés à Bagdad et à Erbil et des militants politiques.
Au cours de ces rencontres, la délégation a fait part des conclusions d’une étude entreprise en commun avec Norwegian Church Aid, qui examinait les besoins spécifiques des personnes déplacées dans cette région. Publié en décembre, le rapport du projet, intitulé « Les besoins de protection des minorités de Syrie et d’Irak », présente des questions et des recommandations particulières en vue de garantir l’avenir de la diversité sociale et religieuse dans cette région et d’éviter la poursuite de l’émigration massive des chrétiens et d’autres groupes.
Selon Peter Prove, directeur des affaires internationales au COE, ces conversations sont venues appuyer les conclusions de l’étude : « Nous avons eu confirmation des conclusions et des recommandations du rapport. Nous avons découvert d’intéressantes différences d’opinion sur certains points, comme la meilleure forme de gouvernement autonome pour les collectivités concernées dans la Plaine de Ninive, ainsi que des nuances à propos de ce qui serait nécessaire pour que les chrétiens et d’autres groupes retournent dans les villages libérés. »
Mais l’unanimité s’est faite à propos des conclusions du rapport concernant la sécurité. « Il ne s’agit pas de sécurité seulement physique, mais également juridique et constitutionnelle. C’est une condition sine qua non pour réinstaller ces communauté dans leur lieu d’origine » a dit Prove.
La délégation était conduite par le pasteur Olav Fykse Tveit, secrétaire général du COE, qui a dit que ce voyage constituait « une occasion importante d’écouter, mais aussi de manifester la solidarité et le soutien des Églises du monde entier vis-à-vis de la population de l’Irak, notamment des personnes qui subissent une extrême violence de la part des activités terroristes. »
Il a également déclaré que cela avait permis à la délégation de « se demander ce que pouvait faire le COE pour garantir un avenir meilleur afin que les gens ne pensent plus que leur seul choix est de partir ailleurs pour survivre. Nous avons vu, nous avons appris que cette question est très urgente, qu’elle est opportune et que cela devrait conduire à un effort commun des Églises et des acteurs politiques. Il faut que les gouvernements voient que le moment est venu de reconstruire l’Irak, de rétablir la confiance au sein de ces communautés pour qu’à l’avenir elles continuent de faire partie de la grande mosaïque de l’Irak ».
Photos de la visite des chefs d’Églises en Irak, disponibles gratuitement
Antje Jackelen, archevêque de l’Église de Suède, parle de son voyage en Irak