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Dr Agnes Abuom, Geneva, 2019

Mme Agnes Abuom, modératrice du Comité central du Conseil œcuménique des Églises (COE), novembre 2019.

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Lors de la réunion du Comité exécutif du COE du 17 au 23 mai, sur quels versets bibliques avez-vous basé votre discours d’ouverture?

Mme Abuom: Je me suis basée sur Deutéronome (1,6-7): «À l’Horeb, le Seigneur notre Dieu nous a parlé ainsi: "C’est assez pour vous de rester dans cette montagne; tournez-vous pour partir…" »

Et également Psaumes 50,15: «Puis appelle-moi au jour de la détresse, je te délivrerai, et tu me glorifieras

La pandémie de COVID-19 a été déterminante pour l’humanité et sa relation avec Dieu à travers les Églises. Comment voyez-vous l’impact de cette situation sur votre travail?

Mme Abuom: En tant que membre de ce comité, il a été très enrichissant de participer à notre cheminement spirituel plus visible depuis l’année dernière. J’ai passé du temps à réfléchir à notre travail ensemble, à nos défis quotidiens et aux attentes des Églises membres.

Pouvez-vous vous référer à certains des points soulevés par les Églises membres?

Mme Abuom: Les questions les plus fréquemment posées sont les suivantes: «quand allez-vous élire un secrétaire général?», suivie de «dans quelle mesure êtes-vous sûrs que l’Assemblée aura lieu, étant donné le caractère changeant du contexte socio-économique, politique et religieux»? Une autre question posée par de nombreuses régions et surtout par des œcuménistes engagés est la suivante: «quel est, selon vous, l’avenir de l’œcuménisme et, en particulier, du COE»?

Comment avez-vous réfléchi à ces questions?

Mme Abuom: Ces questions m’ont amenée à me demander si la pandémie de COVID-19 et son impact positif et négatif ne nous incitaient pas à nous demander si nous ne sommes pas restés trop longtemps au Mont Horeb et s’il n’est pas temps de se tourner pour partir, et ce que cela signifie concrètement pour le COE. Le mouvement œcuménique est aussi nécessaire aujourd’hui qu’à l’époque de sa formation, même si les défis actuels sont différents de ceux du siècle dernier. Nous avons besoin les uns des autres, au sein du mouvement œcuménique et du COE, pour former un tout. Réfléchir à la manière d’aller de l’avant, proposer de nouvelles formes de partenariat et de dialogue, dans une approche à adopter à différents niveaux, est essentiel pour revitaliser l’œcuménisme et relever les défis urgents.

Sur quoi avez-vous décidé de concentrer votre attention, et pourquoi?

Mme Abuom: Alors que je me demandais quel devrait être le thème de mon intervention cette fois-ci, le texte du Deutéronome et le verset 15 du Psaume 50 me sont venus à l’esprit. Dieu attend de nous que nous fassions appel à Lui en ces temps incertains et troublés où les nuages sont si épais, où l’auvent donné par le ciel est invisible, et que nous fassions un acte de foi et agissions. D’une certaine manière, le symbolisme du Mont Horeb m’a frappée et a presque paralysé ma pensée.

Quelles sont ainsi les questions que vous avez soulevées? 

Mme Abuom: Je me suis penchée sur notre transition. J’ai dit que nous, les dirigeants du Comité central du COE, nous sommes fréquemment réunis, inquiets de voir s’estomper les frontières entre gouvernance et gestion. Heureusement, la ligne n’a pas été franchie, mais nous restons vigilants. Ce comité a fait ce qui était possible dans le cadre de son mandat. Nos délibérations ont porté sur la question de savoir s’il serait possible de réunir le Comité central en personne pour faciliter ses décisions de prérogative exclusive.

Avez-vous suggéré des solutions?

Mme Abuom: J’ai proposé d’élargir le champ de la réflexion: ne serait-il pas temps de réfléchir plus largement, et qu’est-ce que cela impliquerait? Lorsque nous avons partagé les informations sur le virus de la COVID-19 avec les dirigeants du COE en février 2020, il a été noté que les questions de santé/les décisions de l’OMS peuvent être et sont influencées politiquement.

Les textes bibliques cités ci-dessus dépeignent des personnes qui décident si elles doivent rester dans cette montagne ou poursuivre leur voyage. Peut-être en raison de forces maléfiques supérieures et d’un sentiment d’incertitude quant à la puissance de l’ennemi qu’ils pourraient rencontrer, la peur les laisse indécis. Le psalmiste leur rappelle que Dieu attend d’eux qu’ils fassent appel à lui dans ces moments difficiles. C’est ce que j’ai vécu, en particulier lorsque nous avons échangé sur les scénarios possibles pour aller de l’avant en l’absence de réunions du Comité central en personne.

Avez-vous examiné les réponses à la pandémie de COVID-19?

Mme Abuom: J’ai soulevé la question de l’accès équitable et juste aux vaccins. On entend qu’il faudra peut-être trois ans jusqu’à ce que toutes les personnes soient vaccinées. En plus des préoccupations exprimées concernant sa production, la distribution du vaccin pourrait devenir un jeu de pouvoir politique de la part des grandes nations et même de certains pays qui utilisent la production rapide de vaccins comme un soft power. Je sais que ce comité publiera une déclaration. Nous sommes invités à continuer de prêter attention à la diplomatie du vaccin.

Comment cela s’articule-t-il avec le Pèlerinage de justice et de paix?

Mme Abuom: En considérant le Pèlerinage de justice et de paix – en raison de la pandémie, nous sommes mis au défi de réfléchir une fois de plus au pèlerinage – je me suis demandé ce que signifie être un pèlerin et entreprendre des pèlerinages qui englobent la prière, la marche et le travail, dans les conditions de la COVID-19? Comment pouvons-nous participer à l’expérience, dans ses aspects négatifs, positifs et transformatifs – le Pèlerinage nord-américain pour la justice et la paix peut-il nous éclairer? Étant donné l’exacerbation des problèmes mentaux et autres problèmes sous-jacents et l’accent mis sur la santé et la guérison, comment le COE, avec les Églises, peut-il définir des options en faveur de la guérison?

Quels sont certains des obstacles à la guérison?

Mme Abuom: La dépendance à l’égard de la technologie peut en être un ; l’expression «Aller plus loin – Aller ensemble» est tentante. Certains observateurs estiment que plus la communication numérique et les réunions deviennent continues, en mode 24/7/365, sous les auspices de la pandémie, plus nous risquons de devenir dépendants au numérique. Cela risque d’affecter la qualité de nos vies et de nos relations; déjà, les téléphones portables sont perçus comme contribuant à briser les relations. De quelle manière pouvons-nous aller plus loin – et constituer ensemble un mouvement visant à améliorer la qualité de la fraternité et des relations, tout en minimisant les risques? Nous devons certainement le faire ensemble.

Les enfants sont-ils confrontés à des obstacles à la guérison dans le cadre de la pandémie?

Mme Abuom: Il doit y avoir un espace sûr pour les enfants dans le cadre de la pandémie, comme tentent de le faire des décrets gouvernementaux pour la sécurité des enfants, sur ce qu’ils peuvent faire et où ils peuvent aller, ou encore, quand et comment ils doivent étudier en observant les confinements et les couvre-feux. Les voix critiques des enfants et leur besoin d’un espace pour partager leurs propres expériences et histoires de la pandémie ne sont pas mis en avant. Les gouvernements ont à peine consulté les parents, les communautés religieuses ou même les enseignants. Du moins de mon point de vue, les services numériques destinés aux enfants n’offrent que peu, voire pas du tout, de nouveaux modes d’expérience spirituelle et cultuelle. Nous sommes mis au défi de soutenir les Églises qui innovent en partageant des ressources documentaires, notamment celles de notre programme sur la sécurité des enfants dans les espaces publics et de culte, tout en encourageant les Églises à être sensibles aux besoins des enfants et à leur laisser la possibilité d’avoir leur mot à dire et de participer.

Pouvez-vous nous parler des opportunités qui pourraient se présenter pour aider à résoudre cette situation?

Mme Abuom: Pour faire face à ce clivage croissant, imaginons une situation où les possibilités technologiques d’engagement sont élargies et approfondies horizontalement et verticalement. De nombreux jeunes sont déjà branchés sur des réseaux et connaissent bien la technologie. Mais qu’est-ce que cela exigerait de nous d’améliorer les connexions en les ciblant clairement, peut-être pour garantir la participation et l’engagement des générations actuelles et futures en tant qu’œcuménistes? Quels contenus et processus émergeraient? Que peut signifier pour les Églises et le mouvement œcuménique le fait de se tourner pour partir?

Y a-t-il une place pour le mouvement œcuménique dans ce scénario?

Mme Abuom: Étant donnée la vision de l’unité du COE, je pense que le mouvement œcuménique reste nécessaire à une époque comme celle-ci, où le monde demeure divisé selon des critères de race, de sexe et d’économie, et où les communautés sont ravagées par la pandémie. Le COE et ses thèmes de réflexion stratégiques peuvent être réévalués pour que soit déterminée leur validité et leur pertinence. La communauté fraternelle – la réflexion sur les perturbations potentiellement graves de la communauté fraternelle, la nature et la portée du rôle et du pouvoir de rassemblement du COE reste nécessaire – est vitale.

Pouvez-vous nous en dire plus sur la notion d’unité?

Mme Abuom: Dans de nombreuses Églises – unité dans la diversité – il y a des moments où apparaît pour moi un dilemme concernant l’unité. Si nous recherchons l’unité dans la diversité, l’augmentation du nombre d’Églises membres est-elle un sujet de joie et de célébration ou d’inquiétude? Prenons l’exemple d’un conseil national qui, au fil des ans, a admis de nombreuses petites Églises. Celles-ci sont devenues essentielles dans la prise de décision en raison de la puissance du nombre. Elles souhaitaient fournir un leadership susceptible d’écarter les membres fondateurs qui ont le pouvoir financier et d’action. Cela m’a rappelé la raison de la convocation de la Commission spéciale lors de l’Assemblée du COE à Harare en 1998.

Pouvez-vous citer certains des appels lancés à Harare?

Mme Abuom: Il y a le bateau œcuménique – le COE a eu un impact en dirigeant le bateau œcuménique et en s’assurant que d’autres montent à bord par le biais des piliers thématiques ; ceux-ci comprennent l’unité, la mission, la justice et la diaconie. Le Pèlerinage de justice et de paix a élargi le dialogue interconfessionnel dans le domaine de la construction de la paix. Cependant, au fur et à mesure que le bateau avance, sa visibilité pour beaucoup semble embrumée. La pandémie de COVID-19 contribue-t-elle à la minceur de la mémoire œcuménique? Et comment pouvons-nous nous en remettre?

Oui, comment s’en remettre?

Mme Abuom: L’intégrité du mouvement œcuménique, des Églises et des communautés est un facteur essentiel. Le mouvement œcuménique et le modus operandi du COE au cours des 70 dernières années ont principalement consisté à organiser des conférences, des réunions et des voyages pour exprimer la solidarité avec notre prochain, notamment dans des contextes difficiles. Ce mode de fonctionnement est de moins en moins viable. Un dilemme à trancher concerne peut-être la remise en question de cette approche de la diffusion par répercussion, qui offrait une participation limitée et était plutôt exigeante pour les membres, à partir des niveaux national, régional et mondial. De nouvelles formes de partenariat sont plausibles, dans lesquelles les contextes locaux, régionaux et mondiaux peuvent être vus comme autant de fleurs épanouies, comme une expression de l’unité dans la diversité. Cette approche est différente du modèle actuel de la diffusion par répercussion; il s’agit plutôt d’une méthode qui facilite l’expression saine du mouvement à chaque niveau et dans chaque espace, dans des relations interactives avec les autres. 

Alors, comment avez-vous conclu avec le Comité exécutif du COE?

Mme Abuom: J’ai sincèrement remercié le Comité pour son écoute et son soutien. Je leur ai dit: «Demandons-nous, alors que nous nous dirigeons vers l’avenir, s’il y a des domaines où nous sommes restés trop longtemps sur la montagne – quelles sont ces montagnes? Y a-t-il une raison de se tourner pour partir et d’ouvrir de nouveaux espaces – et quels pourraient-ils probablement être? Notre action sera analysée au prisme de l’histoire, et on se demandera ce que nous avons apporté à la présente génération et aux suivantes. Alors que nous nous dirigeons vers la prochaine Assemblée, que léguons-nous au mouvement œcuménique pour assurer la vitalité et la continuité du COE et du mouvement œcuménique? Nous nous tournons vers Dieu pour qu’il nous guide et nous débarrasse de la peur!»

Pour en savoir plus sur le Comité exécutif du COE

Le Comité exécutif du COE envisage l’avenir avec espérance, mais appelle à résoudre au plus vite les crises mondiales (Communiqué de presse du COE du 26 mai 2021)

Prière mondiale pour la Terre Sainte – en anglais

La 11e Assemblée du COE à Karlsruhe