Comment en êtes-vous venue à vous engager dans le domaine de la justice climatique?
Prof. Smith: Je considère l’action climatique comme le plus important des enjeux, et je voulais y consacrer l’équivalent d’un temps plein. La Commission des Églises pour la justice climatique et le développement durable mise en place par le COE m’a semblé être un excellent moyen d’y parvenir. Je suis également très impliquée dans mon Église, l’Église unie du Christ.
Je me sens appelée au ministère de la justice climatique et de la justice de l’eau. Je suis également avocate plaidante de métier. En tant que professeure, j’ai observé ce qui se passe dans le domaine des contentieux liés au climat. Dans de nombreux pays, les avancées les plus importantes ont souvent été obtenues grâce à des actions en justice, en général des poursuites à l’échelle nationale, et non internationale.
En quoi consiste votre travail au sein de la Commission des Églises pour la justice climatique et le développement durable?
Prof. Smith: Comme les autres membres de la Commission, la justice climatique me tient vraiment à cœur, et j’essaie de contribuer à ses travaux en développant les actions des Églises membres en faveur du climat. Je collabore avec le COE pour mettre au point des actions en justice stratégiques aux États-Unis. Le COE souhaite trouver un moyen de s’attaquer au financement des causes profondes du changement climatique. Dans le système américain, il est difficile de poursuivre les banques qui financent la destruction du climat: la plupart des actions en responsabilité civile n’atteindront pas les banques, parce qu’elles sont en retrait par rapport aux entreprises responsables des principales émissions de gaz à effet de serre.
Je suis également membre du groupe de travail «Terres, eau et alimentation» de la Commission, qui se consacre à la réalisation des droits fondamentaux à l’eau et à l’alimentation et des objectifs de développement durable qui leur sont associés.
Quels sont les dossiers qui vous intéressent le plus à l’heure actuelle?
Prof. Smith: Le dossier climatique qui m’intéresse le plus concerne les problèmes de santé provoqués par la fumée des incendies de forêt, car c’est un sujet que les juristes en responsabilité civile ordinaires abordent rarement. Ce qui les intéresse, ce sont les dommages importants, pas les «petits dégâts». Lorsqu’un incendie détruit des maisons, blesse ou tue des gens, ce sont des affaires qui rapportent beaucoup d’argent.
Dans ma région, il y a eu des incendies au début du mois de septembre 2020. C’était horrible. Tout est parti de feux de prairie qui ont traversé la chaîne des Cascades. Puis PacifiCorp n’a pas coupé le courant lorsqu’il y a eu des vents vraiment violents. Ces incendies ont produit des fumées très nocives. Il me semble évident que toute la population de la vallée de la Willamette a été exposée à des niveaux de fumée suffisants pour provoquer des lésions au cœur et aux poumons. Ce sont ces dommages qui m’intéressent le plus, personnellement.
Qu’en est-il des incendies qui ont récemment ravagé Los Angeles et ses environs, en Californie?
Prof. Smith: Les incendies de Los Angeles ont été attisés par le vent de Santa Ana, qui a majoritairement soufflé la fumée vers l’océan. Par conséquent, les dommages causés par la fumée ont été limités.
Je pense qu’il y a sans nul doute matière à poursuivre les principaux émetteurs de gaz à effet de serre pour les dommages causés par la fumée lors des récents incendies en Oregon. J’attends l’autorisation du conseil de mon Église pour que nous puissions nous associer à une action en justice liée au climat, ou en intenter une, à ce sujet. La fumée des incendies de forêt affecte surtout les enfants et les personnes âgées. À 71 ans, je fais moi-même partie d’un groupe vulnérable.
Qu’y a-t-il de si dangereux dans la fumée?
Prof. Smith: Pour vous donner une idée, les groupes les plus vulnérables commencent à courir un risque à partir d’un indice de fumée de 100. Or, pendant plusieurs jours, nous avons atteint un niveau de 750. Ce que nous avons vécu à Salem est loin d’être inhabituel. Tout l’Oregon a connu des incendies de forêt qui font monter les indices de fumée à un niveau dangereux dans les grandes villes et les petites villes rurales. Il y a même une ville située dans les Cascades, Oakridge, qui subit chaque année des fumées de ce type, encore et encore. Cela crée des risques sanitaires très importants.
Honnêtement, je pense que les incendies de Los Angeles seront jugés dans le cadre habituel du système de responsabilité délictuelle. Mais ce ne sera pas le cas des autres villes de l’ouest du pays qui ont souffert de la fumée. Dans leur cas, des poursuites pourraient être engagées contre les principaux émetteurs de gaz à effet de serre, qui ont créé les conditions extrêmement dangereuses à l’origine des incendies.
De quoi sont-ils responsables?
Prof. Smith: Peu importe que l’incendie ait été déclenché par la foudre, par un câble électrique ou par un feu de camp qui n’a pas été éteint. Le véritable argument contre les principaux émetteurs, dans le cas des incendies que nous avons connus, c’est la quantité de combustible qui a alimenté les incendies, parce que nos forêts et nos prairies sont désespérément sèches à cause du changement climatique. Il suffit d’un peu de vent et d’une étincelle, dans une situation déjà très dangereuse. Il faudrait vraiment appliquer des principes de responsabilité stricte contre la création d’un tel danger. Il est certain que le fait de créer ces conditions extrêmement dangereuses en connaissance de cause relève au moins de la négligence.
Pourquoi les Églises devraient-elles s’investir dans ce type de contentieux?
Prof. Smith: L’Église a pour devoir de s’occuper des personnes pauvres et marginalisées. Or, ce sont elles qui ont le moins de chances d’être indemnisées et protégées par le système actuel. Ces personnes ont déjà du mal à subvenir à leurs besoins, et elles doivent maintenant affronter aussi les conséquences des incendies sur leur santé.
Le contexte politique actuel aux États-Unis pose-t-il des difficultés?
Prof. Smith: Le gouvernement fédéral est censé nous protéger pour tout ce qui touche à nos conditions de vie et à notre liberté. Et le gouvernement fédéral ne remplit absolument pas cette mission à l’heure actuelle.
Il y a des gens qui commettent ce que je considère, en toute honnêteté, comme des crimes contre l’environnement; ce sont les personnes qui dirigent les entreprises responsables d’énormes émissions de gaz à effet de serre. Il faut dire les choses comme elles sont: c’est un homicide. Un homicide par négligence criminelle, purement et simplement. Les personnes responsables de l’exploitation du pétrole, du gaz et du charbon, ainsi que les banques qui les financent, savent qu’elles provoquent des incendies dévastateurs, des canicules extrêmes et des ouragans incroyablement dangereux. Ils et elles savent que des centaines de milliers de personnes meurent chaque année des suites de phénomènes rendus inévitables par la destruction de notre climat. Une action en justice permettrait de créer un espoir tangible, en cherchant à faire évoluer le comportement meurtrier des entreprises dans le sens de la vie, de la vie pour l’humanité et pour le reste de la création de Dieu.
Les Églises et les partenaires qui souhaitent se joindre au projet du COE «Action en justice des Églises au service de la justice intergénérationnelle» sont invités à envoyer un message à [email protected].