Image
PhotoByAlbinHillert_20180823_AH2_1183.jpg

Mme Agnes Abuom, modératrice du Comité central du Conseil œcuménique des Églises.

Photo:

Comment avez-vous vécu l’impact de la pandémie de COVID-19?

Mme Abuom: Au départ, l’impact de la pandémie de COVID-19 était faible en termes de personnes touchées et de taux de mortalité. Cependant, au cours de cette deuxième phase, le nombre de personnes testées positives a augmenté et le taux de mortalité a progressé, peut-être parce que davantage de personnes sont testées et que des groupes politiques ont organisé des rassemblements sans respecter des protocoles tels que le port de masques et la distanciation sociale.

En outre, la pauvreté est partout car les entreprises ont fermé ou réduit le nombre de travailleurs. Le niveau de pauvreté chez les jeunes était déjà élevé et les établissements informels sont plus touchés en raison du manque d’assainissement et de services connexes. De nombreux membres de ma famille sont privés de nourriture et j’ai perdu des amis et un certain nombre de responsables d’Église.

Trois autres effets doivent être soulignés. Premièrement, la violence familiale et domestique et la violence de genre. Certains hommes sont frustrés parce que le confinement signifie qu’ils doivent rester à la maison, ce à quoi ils ne sont pas habitués. En outre, sans emploi ni revenu pour subvenir aux besoins de leur famille, ils se sentent humiliés et leur dignité est mise à mal. Le COVID-19 a mis en évidence des niveaux élevés de troubles psychiatriques. Deuxièmement, la fermeture indéfinie des écoles à partir de mars 2020 signifie que les enfants sont confinés chez eux et il semblerait que de nombreux parents ne soient pas préparés à une si longue inactivité de leurs enfants. La conséquence en est que des jeunes filles sont mises enceintes par de jeunes hommes – ou exploitées par des hommes plus âgés – ou victimes de violence familiale ou d’inceste. Troisièmement, la pandémie a affecté la vie communautaire de l’Église, car les lieux de culte ont été fermés pendant plusieurs mois et, lorsqu’ils ont été rouverts, les personnes âgées n’ont pas été autorisées à se mêler aux autres. Ce manque de communion a un impact économique sur les finances de l’Église, ainsi que sur la vie pastorale et spirituelle. Les gens se sentent isolés chez eux ou à l’hôpital. Les pasteurs ne peuvent pas rendre visite aux malades et les familles ne peuvent pas organiser les enterrements et les derniers rites qui préservent la dignité de ceux qui sont décédés.

Qu’est-ce qui vous donne de l’espoir en ce moment?

Mme Abuom: En tant que femme de foi, ma bougie d’espoir doit brûler, que le contexte soit bon ou mauvais. En d’autres termes, la foi dans le Seigneur Jésus affirme que rien n’est permanent, car ce qui a une origine, a une fin. Le COVID-19 m’a rappelé qu’en tant que communauté humaine mondiale, nous appartenons à la même et unique maison de Dieu quels que soient notre race, notre sexe, la région ou le climat dans lesquels nous vivons ou notre richesse, car la pandémie n’a pas épargné les riches, les puissants, les pauvres, ni les enfants et les personnes âgées. Il n’y a donc aucun sens à exclure ou marginaliser qui que ce soit, ou une communauté quelconque. La devise des objectifs de développement durable pour 2030, «Ne laisser personne tomber», englobe toutes les choses créées. Comme le dit si bien le psalmiste: «Au Seigneur, la terre et ses richesses, le monde et ses habitants!» (Psaumes 24,1 TOB). La puissance de l’amour et la puissance du pardon poussent l’Église et les chrétiens à prier Dieu pour la guérison de l’esprit, de l’âme et du corps.

Image
Dr Agnes Abuom during a moment of prayer, June 2018.
Photo:

Malgré le confinement, les gens ont trouvé des moyens d’agir et de normaliser l’anormal. Par exemple, les Églises utilisent la technologie en ligne pour partager le message de la bonne nouvelle avec leurs congrégations. Nous avions lu des articles sur les Églises de maison dans certains pays asiatiques, mais la pandémie a ravivé les Églises familiales et de maison, les prières et le culte. Certaines remettent à l’Église les offrandes recueillies lors des réunions des Églises de maison.

Les 16 jours contre la violence sexiste ont débuté le 25 novembre. Pour parvenir à une paix durable et à un développement durable, la paix est le jumeau de la justice. Aujourd’hui, mon espoir est soutenu par les Églises, les croyants, les hommes et les femmes de bonne volonté qui s’engagent à surmonter le racisme, la xénophobie et d’autres formes d’injustice telles que l’injustice économique et écologique.

Oui, la situation aujourd’hui apporte de nombreuses préoccupations et je suis pleine d’espoir car je ne suis pas seule; j’ai des compagnons de route et surtout, notre Dieu promet qu’il ne nous lâchera pas et ne nous abandonnera pas (Hébreux 13,5). Grâce à cette assurance, nous pouvons relever les défis sans crainte.

Il y a de nombreuses raisons d’être optimiste, mais permettez-moi de souligner le réseau Green Faith International de la Communion anglicane qui encourage les gens à devenir ambassadeurs de la justice climatique. La Conférence des Églises de toute l’Afrique engage les jeunes à travailler à la restauration écologique. Les Églises du monde entier sont plus sensibles aux besoins des communautés qu’auparavant, en ce qu’elles les encouragent à définir leurs propres besoins et inventer les solutions elles-mêmes. Pour de nombreuses personnes, le service est une vocation divine profonde, et ils servent pendant de nombreuses années. Bien que le COVID-19 ait des effets négatifs considérables, l’espoir est présent si nous pouvons discerner ce que Dieu nous dit à nous êtres humains. Aucune personne ou région ne peut faire cavalier seul; nous devons renouer des relations saines et dignes les uns avec les autres, avec Dieu et avec la nature.

Comment imaginez-vous l’Église en 2040?

Mme Abuom: L’Église que j’envisage en 2040 est une Église qui célèbre le don de la vie à toute la création de Dieu. Une Église qui reconnaît qu’en tant qu’êtres humains, nous sommes tous vulnérables aux effets des abus que nous commettons les uns envers les autres et envers l’environnement. Une Église qui inclut pleinement tout le peuple de Dieu – un arc-en-ciel (Genèse 1,26) – et qui affirme que tous ont été créés à l’image de Dieu et sont merveilleusement faits. En 2040, l’unité de l’Église dans la diversité ainsi que la célébration et la valorisation des talents seront mis au service de la gloire de Dieu. Ce sera une Église qui brisera le silence sur de nombreux sujets tabous et qui construira des ponts entre les différentes personnes, les différentes religions et les différentes nations et États. L’Église de 2040 restera fidèle à l’appel de Dieu à proclamer la bonne nouvelle; une Église à la hauteur de son ministère et de sa tradition prophétiques au nom des personnes et des nations – un sanctuaire pour tous et une Église qui accompagne les nécessiteux par des services diaconaux. Une Église qui est la lumière et le sel de la société, et non pas une Église compromise par la classe politique ou le mammon économique. Une Église qui, bien qu’elle soit de haute moralité, ne condamnera pas les personnes de basse moralité comme étant damnées; au contraire, la haute moralité de l’Église accompagnera les personnes de basse moralité.

Quelle est votre vision du mouvement œcuménique de l’avenir?

Mme Abuom: Ma vision du mouvement œcuménique de l’avenir est une vision qui reste centrée sur la prière de notre Seigneur Jésus «que tous soient un […] afin que le monde croie» (Jean 17,20-21 TOB). Cette unité n’est pas une uniformité, mais une unité d’objectifs. Lorsque j’examine le paysage ecclésial, je constate qu’il y a davantage de confessions qui doivent encore développer leur compréhension de soi et leur coopération avec les autres. Les différents dialogues qui ont lieu entre les différentes communions sont essentiels. Je pense que dans le mouvement œcuménique, nous devons célébrer ensemble, accepter le baptême et l’eucharistie de chacun. Nous sommes sur la bonne voie; et il est également nécessaire de s’accorder sur les bases autour de ces aspects critiques de notre foi chrétienne.

Le futur mouvement œcuménique est un mouvement qui doit embrasser l’œcuménisme familial, local et organique, car ce phénomène est plus apparent, notamment en Afrique où une famille peut regrouper des croyants de différentes confessions; la transformation se fera également dans une dimension interconfessionnelle, avec la coopération pour la survie et l’affirmation du tissu de la vie. Enfin, l’œcuménisme vertical doit engager les mouvements horizontaux qui sont axés sur des questions telles que la paix et la justice. Un mouvement œcuménique dont la voix a un impact sur le discours dans l’espace public, parce qu’il valorise la contribution de chaque personne. Un mouvement œcuménique qui est en prière et qui a approfondi le dialogue intergénérationnel et multigénérationnel sur des questions préoccupantes. Un mouvement œcuménique en tant qu’espace apprécié, en tant que don, mettant à disposition des expériences diverses, des leçons apprises et des ressources.

Que signifie pour vous la justice dans la perspective du vivre ensemble et de la solidarité dans le monde?

Mme Abuom: Si le Christ a humanisé sa mission, la justice signifie l’évangélisation et la satisfaction des besoins de la population. Ainsi, l’Évangile est une force contraignante qui devrait nous rendre inquiets face à toute forme d’injustice et quelle que soit la sphère géographique où elle se produit. Le motif du pèlerinage nous permet de prendre des risques et de quitter nos zones de confort. C’est peut-être cette prise de risque et cet abandon du confort qui nous donnent l’élan nécessaire en tant que pèlerins de la justice. Ainsi, en tant que corps de croyants appelés par Jésus-Christ à servir l’humanité et à prêcher la bonne nouvelle du salut (Luc 4, 18-20), nous sommes appelés à servir individuellement, dans nos contextes locaux, et collectivement pour rétablir la justice. Par exemple, l’injustice économique alimentée par l’avidité, aux dépens de la majorité laissée dans la pauvreté, exige que les Églises interrogent et remettent en question ensemble le paradigme du développement qui exploite les ressources et les êtres humains pour un petit groupe en toute impunité. Nous rencontrons des cultures qui défendent la déshumanisation et l’infériorisation d’autres êtres humains au prétexte qu’ils seraient moins humains; nous avons besoin d’efforts concertés de solidarité les uns avec les autres pour surmonter ces injustices atroces. Nous travaillerons jusqu’à ce que nous soyons témoins de l’image qu’offre Amos 5,24: «Mais que le droit jaillisse comme les eaux et la justice comme un torrent intarissable!». Il s’agit de la justice pour tous et de l’engagement de tous pour la justice. Nous nous adressons aux oppresseurs comme Jésus l’a fait. Je suis sauvée par Jésus pour servir, et par le salut je suis équipée par les Écritures pour servir et témoigner contre les structures injustes.

Quelles images de la vie bonne et quelles images d’espoir sont importantes pour vous?

Mme Abuom: Au milieu de la récente guerre (2013) au Sud Soudan, l’image des femmes convergeant une fois par mois pour le jeûne et la prière a été une image puissante: elles défiaient les forces militaires et, implacables, continuaient à marcher une fois par mois, bien que beaucoup aient perdu leurs proches. Elles n’utilisaient pas les armes pour faire comprendre que la vie est sacrée et que la paix et la justice sont des impératifs. Au fil des ans, elles en appelaient à leur créateur par des lamentations, et également par des pétitions; de fait, elles ont également participé à des négociations de paix.

La deuxième image est celle où des de personnes de toutes classes sociales, races, sexes, âges, assises ensemble, réunies en Église et se faisant don mutuellement des fruits de la spiritualité et de leur humanité.

Une troisième image est celle d’une communauté d’hommes, de femmes, de garçons et de filles réunis sous un arbre et résolvant les conflits communautaires en utilisant des méthodes traditionnelles de médiation, de résolution des conflits, puis se tenant la main et priant ensemble.

Une quatrième image est celle du développement: des travailleurs et des responsables d’Église discutant des priorités avec les communautés et ceux du Nord acceptant d’écouter et d’offrir leur sagesse aux moments appropriés – mais n’agissant plus comme les maîtres du changement.

La cinquième est l’image d’un imam et d’un pasteur nigérian traversant le continent africain en prêchant la paix. Il s’agissait d’illustrer le fait que la cause des conflits n’est pas la religion, mais son exploitation et son détournement.

Comment pouvons-nous façonner les changements ou le changement ensemble?

Mme Abuom: Pour façonner le changement, nous devons avant tout comprendre qu’il est inévitable et que si nous ne prévoyons pas de le gérer, nous serons dépassés, voire détruits. Pour commencer, nous devons analyser le contexte, dresser la carte des différentes tendances et, lorsque nous envisageons un changement ou une transformation, il est important que nous prenions également en considération les autres personnes impliquées. Nous réfléchissons normalement aux problèmes et aux changements désirables à partir de notre propre position. Lorsque nous avons réfléchi à partir de nos propres intérêts et besoins, nous devons alors examiner les changements du point de vue de l’autre. Si nous restons honnêtes, nous sommes en mesure de prendre en compte les changements pertinents qui résultent d’un discours à plusieurs voix. Cela ouvre une fenêtre permettant de mieux apprécier les différents changements requis par les personnes concernées. Un facteur clé est d’écouter, de discerner la volonté de Dieu et des personnes à un moment particulier de l’histoire. Un autre facteur est d’éviter de faire fi des points de vue et des perspectives des autres. En d’autres termes, il faut créer des espaces permettant de déterminer les changements nécessaires et la manière de les réaliser.

Quels sont vos espoirs pour la 11e Assemblée du COE à Karlsruhe en 2022?

Mme Abuom: Le COE va revenir en Europe après 50 ans depuis la dernière assemblée tenue à Uppsala en 1968.

Beaucoup de choses ont changé en Europe et, dans le même temps, certaines des questions abordées à Uppsala sont toujours d’actualité ou sont revenues au premier plan. Tout d’abord, nous espérons que tous nos délégués et autres participants pourront y assister, surtout après ce COVID-19. Nous espérons que l’environnement sera propice à la prière, à la célébration, aux discussions, aux échanges de vues et d’idées. Nous espérons surtout avoir un aperçu de la vie de l’Église en Allemagne. En tant que mouvement œcuménique mondial, nous prions pour que l’Assemblée dynamise et inspire les Églises à continuer à travailler pour l’unité de l’Église et l’unité de l’humanité. Que de nombreux jeunes trouvent le COE et le mouvement œcuménique pertinents lorsqu’il abordera les questions qui les concernent. Nous prions pour que les participants à l’Assemblée donnent des priorités et des orientations en matière de programmes et de politiques pour l’avenir. Nous prions pour que les Églises s’engagent à nouveau dans la recherche de l’unité visible.

Interview: Marianne Ejdersten, directrice de la communication du COE