Annegret Kapp*

La chapelle de l'Institut oecuménique de Bossey, près de Genève, où de jeunes adultes venus de cinq continents se sont rassemblés pour une méditation matinale, est un lieu de culte hors du commun. La lumière qui traverse les vitraux conçus par la communauté de Taizé, en France, éclaire une série de symboles religieux des plus disparates: icônes orthodoxes, croix luthérienne et tambour d'une communauté chrétienne africaine.

A l'écoute des chants, du texte biblique lu par une participante venue des Etats Unis et de l'interprétation qu'en donne sa camarade de Hongrie, on ne saurait attribuer cette célébration à une tradition confessionnelle particulière.

Mais le style oecuménique de cette célébration n'est pas ce qu'il y a de plus extraordinaire dans ce moment de culte et de spiritualité. Les jeunes qui sont là représentent une diversité encore plus grande que celle de la chrétienté mondiale ordinairement représentée à Bossey. On le devine en voyant les foulards de couleurs vives aux motifs à fleurs, ainsi que les kippot sur les têtes de certains des jeunes assis en cercle. En effet, le cours d'été du mois de juillet a réuni 21 jeunes juifs, musulmans et chrétiens venus du monde entier et leur a offert l'occasion de faire connaissance les uns avec les autres et avec leurs diverses spiritualités.

Les prières matinales de ces dernières semaines ne se sont pas toutes déroulées dans la chapelle. Deux salles de conférence de l'institut ont été transformées en "mosquée" et en "synagogue" improvisées, la première avec des couvertures et un tapis de prière étendus sur le sol en direction de la Mecque, l'autre avec des chaises - disposées à gauche pour les femmes et à droite pour les hommes - et un panneau sur lequel est inscrit un verset de la Torah avec les explications que les participants juifs en ont données à leurs condisciples.

Chaque jour, un groupe religieux préparait et présidait ce moment de prière et les autres étaient invités à y assister et à y participer dans la mesure où ils s'y sentaient à l'aise.

"Notre but n'est pas de mélanger nos religions pour en créer une nouvelle, globale, mais de mieux comprendre les identités des uns et des autres", déclare le Russe orthodoxe Morris Gagloev.

Pour Steven Bell, qui va être ordonné prêtre l'été prochain dans l'ordre nord-américain des Pères Paulistes, l'expérience de la spiritualité des autres peut aussi contribuer à affermir la vie de prière personnelle. Il a été impressionné par la richesse du chant et de la psalmodie du judaïsme et par la discipline de la prière musulmane.

Valeria Gatti, catholique romaine du Pérou, l'exprime ainsi : "Voir votre ami s'approcher de Dieu à sa manière, c'est si beau!"

Les amitiés qui se sont créées à Bossey ont joué un rôle important dans le processus d'apprentissage chez les participants. Elles ont favorisé les discussions franches lors des cours et des ateliers quotidiens, même lorsque l'on abordait des questions difficiles telles que la politique ou le genre.

Le fait que ces jeunes adultes ont passé ensemble un mois sous le même toit, en partageant des temps à la plage et à la cuisine, ainsi que dans la salle de conférences, est donc essentiel à ce que les participants ont appelé "une expérience unique".

Ils n'oublieront certainement jamais le repas du Shabbat préparé selon les instructions du chef juif qu'ils ont découvert parmi eux, pour lequel des musulmans pelaient les pommes de terre et des chrétiens coupaient les légumes.

Au vu du programme des étudiants, comprenant des discussions en groupes qui se sont souvent poursuivies jusqu'à neuf heures du soir, il est étonnant de constater l'attention soutenue avec laquelle ils ont participé aux cours proprement dits.

Ces discussions étaient inspirées par la forte présence de spécialistes locaux des trois religions abrahamiques, dont des enseignants des universités de Genève et de Lausanne; des experts internationaux ont aussi apporté leur contribution. Leurs origines diverses ont mis en lumière les divisions existant au sein de chaque groupe religieux; ainsi, les étudiants ont fait la connaissance avec les formes sunnite et chiite de l'islam, orthodoxe et réformée du judaïsme et la grande variété des dénominations chrétiennes.

Les participants eux-mêmes ayant beaucoup d'expériences à échanger, les enseignants devaient être prêts à répondre à une foule de questions et de remarques pertinentes. Ainsi, Said Abdalla a parlé à ses condisciples de la situation de son pays, le Kenya, et de la crainte du prosélytisme qu'y éprouve la minorité musulmane. Saba Wallace, participante issue de la minorité chrétienne de deux pour cent au Pakistan, s'est étonnée: "Comment le dialogue peut-il s'instaurer lorsque les partenaires ne sont égaux en rien?"

Cette jeune femme qui travaille pour des ONG dans le domaine de la défense des droits et du dialogue interreligieux dit qu'elle est venue à Bossey avec un grand nombre de questions de ce genre, qu'elle n'a aucune possibilité de poser dans son environnement habituel. Ses multiples identités - elle est pakistanaise, femme et chrétienne - font qu'elle se sent frustrée et méprisée tant en occident que dans son pays. Ce qu'elle dit explique pourquoi le père Ioan Sauca, directeur de l'Institut oecuménique, souligne la nécessité d'offrir un "espace sûr" à des jeunes venant de pays où les relations entre les religions ne sont pas toujours harmonieuses, afin qu'ils puissent parler de leurs préoccupations. La nature a renforcé son propos en offrant un symbole de la promesse de paix que Dieu donne dans le récit biblique de Noé: le premier jour de leur séjour en Suisse, les participants au séminaire interreligieux ont vu un arc-en-ciel au-dessus de Bossey.

Ont-ils donc réussi à former une communauté interreligieuse? Une discussion en petits groupes à propos d'un texte du COE sur les défis du pluralisme ramène les participants à cette question.

Eden Curtasan, étudiant en informatique et collaborateur au Muftiad de Roumanie, une vieille minorité musulmane turco-tatare, est sceptique lorsque l'on parle trop rapidement de communauté, comme le font souvent les politiciens. Cependant, il a été agréablement surpris par le cours d'été: "En fait, je suis venu en m'attendant un blabla ennuyeux sur la paix, mais pour finir, je n'ai même pas ouvert les livres que j'avais apportés parce que le programme était trop intéressant."

Le programme universitaire très intense était aussi la conséquence d'une demande des étudiants qui souhaitaient profiter au maximum du temps passé à Bossey. Pour Jihàd Omar, musulman d'Afrique du Sud, la pression des étudiants qui demandaient un programme plus fourni, bien que liée tout d'abord à une certaine frustration, a constitué une expérience de plus d'un effort en vue d'un but commun.

Valeria Gatti en est même venue à considérer comme un inconvénient pour ses compatriotes le fait que leur environnement presque exclusivement chrétien ne leur offre guère d'occasions de rencontres interreligieuses: "Cette expérience est comme une paire de lunettes neuves."

La plus grande surprise, selon Steven Belle, c'est que les jeunes des trois religions se trouvent confrontés au même dilemme: "Ils découvrent leur spiritualité, mais ils ne la retrouvent pas dans les édifices religieux - la mosquée, l'église, la synagogue - parce que ceux-ci sont tellement plongés dans les valeurs traditionnelles qu'ils n'ont pas de relation avec leur expérience personnelle."

Lors de la cérémonie de clôture les trois universitaires qui, avec le directeur de l'Institut, avaient imaginé ce cours d'été il y a trois ans, ont salué l'empressement des jeunes à découvrir les racines de leur propre religion et à devenir plus profondément chrétiens, juifs et musulmans.

Le Rabbin Marc Raphaël Guedj, ancien Grand Rabbin de Genève et président de la Fondation Racines et Sources, Hafid Ouardiri, président de la Fondation Interconnaissance (Ta'aruf) pour la promotion de la connaissance de l'islam auprès des non-musulmans, et le pasteur Hans Ucko, responsable du programme Relations et dialogue interreligieux du COE, ont qualifié de succès cette première que Hafid Ouardiri a appelée une "plongée en apnée spirituelle", qui sera repris ces prochaines années.

Pour les étudiants la cérémonie finale du cours d'été était aussi le moment de prendre congé de leurs nouveaux amis qui allaient retourner dans des pays souvent perçus comme ennemis. Les témoignages de trois des participants à cette occasion symbolisaient à la fois les difficultés auxquelles ces pionniers de l'ouverture interreligieuse à Bossey avaient fait face et la souplesse avec laquelle ils les avaient maîtrisées: Grigory Gendelmann, participant juif d'Israël, a eu recours aux services de traduction de Shireen Nadjjar, Palestinienne d'Israël, pour exprimer sa gratitude pour "l'expérience de Bossey". Nicole Wood, méthodiste des Etats Unis, s'est souvenue des rires et des larmes partagés avec sa "petite famille de Bossey", et c'est bien ainsi que tous ont réagi lorsque Faizeh Mazandarani, d'Iran, a passé du farsi à l'anglais pour déclarer: "Je ne sais pas si nous nous reverrons sur cette terre, mais je suis sûre que nous nous retrouverons au ciel."

(*) Annegret Kapp, rédactrice web au COE, est membre de l'Eglise évangélique luthérienne du Wurtemberg, Allemagne.

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