Reconstruire après la guerre
Dans une Europe d’après-guerre qui avait grand besoin de reconstructions et d’un nouvel élan culturel et spirituel, le COE créa à Bossey un centre de formation qui fut renommé «Institut œcuménique» par la suite. L’adjectif «œcuménique» de son nom fut choisi pour exprimer la double préoccupation du COE: la justice et la paix à travers le monde, et l’unité des Églises chrétiennes divisées.
La mission qui allait être confiée au centre de formation de Bossey était d’inciter les chrétien-ne-s laïques, en leur donnant les outils nécessaires, à unir leurs cœurs et leurs efforts pour apporter des solutions aux problèmes multiformes auxquels leurs sociétés et leurs Églises étaient confrontées au lendemain de la guerre. Qui s’inscrivit aux premières formations? «Nous avons accueilli des jeunes qui sortaient de camps de concentration, ou qui avaient servi dans l’armée, ou qui avaient joué un rôle actif dans les mouvements de résistance. Ces jeunes venaient de différentes régions d’Europe, et donc de pays qui avaient été en guerre les uns contre les autres.»
Les conférences de Bossey rassemblèrent durant ces premières années «des hommes et des femmes d’une même profession ou d’un même secteur d’activité dans la société laïque»: des juristes, des «industriels», des médecins, des artistes, des travailleuses et travailleurs sociaux, etc. L’objectif était de les aider à discerner et à affermir les dimensions publiques et spirituelles de leurs activités professionnelles. D’autres conférences et formations courtes abordèrent les grandes questions spirituelles et existentielles de l’époque, rassemblant pour ce faire philosophes, théologien-ne-s et sociologues.
À la fin de l’année 1949, 443 personnes originaires de 45 pays avaient participé aux cours et conférences de Bossey. Quatre ans plus tard, leur nombre avait considérablement augmenté, grimpant à 4400 personnes originaires de plus de 50 pays. En 1959, ils et elles étaient près de 10 000.
Aux frontières du monde moderne
Durant les années de guerre froide, de décolonisation, de progrès scientifiques et techniques et de sécularisation, Bossey resta fidèle à sa vision de départ, reliant le christianisme aux enjeux historiques contemporains.
Pour reprendre les mots d’un rapport datant de 1975, «tout le travail de l’Institut peut être qualifié d’activité d’avant-garde». Les pays du Sud fournirent de plus en plus d’étudiant-e-s et de participant-e-s. Il y eut ainsi 27 personnes originaires d’Inde et 16 venant de Corée entre 1952 et 1972; leurs cohortes s’élevèrent respectivement à 46 et 33 entre 1972 et 1992. Au total, 3500 personnes prirent part aux programmes de Bossey entre 1968 et 1975.
Le Cycle universitaire d’études œcuméniques de l’Institut de Bossey, certifié par l’Université de Genève, offrait à des étudiant-e-s de toutes cultures et de traditions chrétiennes très différentes l’occasion de suivre ensemble un semestre de formation en internat, leur donnant ainsi à vivre une expérience mêlant cohabitation, études et spiritualité.
Dans ce cadre intellectuel et géographique tout à fait unique, le corps enseignant et les étudiant-e-s exploraient un large éventail de thèmes pionniers, tels que la participation aux changements politiques et sociaux, le dialogue entre des religions et des idéologies politiques différentes, les relations entre l’Église, l’État et le pouvoir, ou encore la justice, la paix et l’écologie.
En parallèle, des «consultations spécialisées» plus brèves traitaient des thèmes d’actualité du même ordre: les politiques pénales, «avec le concours de criminologues, de psychologues et de directeurs et directrices de prison»; les capacités de changement, «avec le concours de scientifiques, de psychologues et de spécialistes de la cybernétique»; le prix du progrès, «avec le concours d’écologistes, de sociologues et de philosophes», etc.
Le dialogue en faveur de l’unité et de la paix dans un siècle de recrudescence des conflits
Malgré une longue bataille pour leur survie tout au long des années 1970, le centre de conférence du Château et l’Institut œcuménique trouvèrent les moyens de s’insérer dans l’esprit de changement qui caractérisait cette époque. On le perçoit dans l’importance qui fut dès lors accordée aux rencontres interreligieuses et au dialogue pour la justice, la paix et la protection de la nature. Bossey organisa dès 1978 sa première formation interreligieuse, qui rassembla 30 chrétien-ne-s et 30 personnes juives. Et il compte à son programme, depuis le début des années 2000, des universités d’été qui rassemblent pendant trois semaines des jeunes de religion juive, chrétienne et musulmane.
D’autres innovations s’inscrivant dans la continuité de la vision d’origine ont été mises en œuvre. Ainsi, toujours en coopération avec l’Université de Genève, le Cycle universitaire d’études œcuméniques a laissé la place à trois cursus organisés en parallèle qui débouchent sur un certificat universitaire ou un master en études œcuméniques. Le tabou de l’internat obligatoire a été levé avec l’offre de formations en ligne. Et la bibliothèque demeure une référence mondiale en matière de recherche œcuménique. Quant au centre de conférence, laissant en partie derrière lui son mode de fonctionnement familial d’autrefois, il s’est équipé pour devenir un lieu de rencontre professionnel ouvert aux organisations internationales et aux entreprises, avec plusieurs salles de réunion et un hébergement de qualité.
Lorsque le Conseil œcuménique des Églises a fait l’acquisition de Bossey, le Château ressemblait à un musée, avec ses portraits, ses scènes de bataille et ses caricatures de l’empereur français Napoléon. Les 80 dernières années ont fait de lui un lieu de référence en matière de changements historiques et de rencontres entre traditions chrétiennes. Pour ses 70 ans, en 2016, l’Institut œcuménique a marqué l’événement en accueillant dans ses murs le cheikh Ahmed al-Tayeb, grand imam de la célèbre mosquée et université d’Al-Azhar au Caire (Égypte). Deux ans plus tard, le pape François, visitant les lieux à son tour, a exprimé la reconnaissance de l’Église catholique romaine pour la contribution durable de Bossey au témoignage commun et à l’unité chrétienne dans et pour le monde.