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NOUVELLES POSSIBILITÉS POUR LA RECHERCHE DE L'UNITÉ VISIBLE
CONTRIBUTION DES ÉGLISES ÉVANGÉLIQUES D'AMÉRIQUE LATINE

J. Norbert Saracco

Tu appartiens à la même Eglise que moi
Si tu te tiens au pied de la croix,
Si ton coeur est semblable au mien,
Donne-moi la main, tu es mon frère, ma soeur. 

Pendant des décennies, des millions d'évangéliques, dans toute l'Amérique latine, ont chanté ce refrain. C'était comme une sorte de chant à thème qu'on retrouvait dans les réunions et les activités où se rencontraient des frères et des soeurs de différentes dénominations. Sa théologie oecuménique est simple : si tu es au pied de la croix, tu appartiens à la même Eglise que moi ; si ton coeur bat au rythme du mien, tu es mon frère, ma soeur. 

La simplicité de cette affirmation réduit à un minimum des siècles de discussions oecuméniques, mais elle masque aussi la réalité de nos divisions. 

La diversité et la pluralité des valeurs que nous avons héritées de nos origines protestantes ont connu une dérive vers la fragmentation et les polarisations. Celles-ci sont caractéristiques des Eglises évangéliques et constituent presque, pour les Eglises pentecôtistes, la marque de leur spiritualité.

Pourtant, la situation est aujourd'hui différente. Ces dernières années, ce sont les Eglises évangéliques, et en particulier pentecôtistes, qui ont travaillé le plus à la recherche de l'unité visible de l'Eglise. Le renforcement des alliances ou fédérations nationales d'Eglises, la création de conseils pastoraux dans des milliers de villes, ou les projets conjoints de mission et d'évangélisation ne sont que quelques exemples de ce phénomène. Nous savons que la situation n'est pas la même dans tous les contextes et qu'il reste beaucoup à faire, mais il serait injuste de ne pas reconnaître que c 'est là une réalité.

Pour les Eglises évangéliques, l'unité se fonde sur la fidélité à la Parole de Dieu et sur la mission. C'est ce qu'affirme la Déclaration de Lausanne : « Nous affirmons que Dieu veut que son Eglise soit, de façon visible, une dans la vérité. L'évangélisation, de son côté, nous exhorte à être unis car l'unité renforce notre témoignage, tandis que nos divisions dévaluent l'Evangile de la réconciliation. 

Pour les Eglises évangéliques, l'unité ne repose pas sur la reconnaissance d'une autorité hiérarchique, ni sur des dogmes, ni sur des accords institutionnels. Nous devons admettre que cette voie oecuménique a atteint ses limites. Nous nous connaissons les uns les autres mieux que jamais auparavant, nous nous sommes dit tout ce que nous avions à nous dire et nous comprenons très bien les causes profondes de nos divisions. Quel doit être le pas suivant ? L'ordre du jour oecuménique devra se dégager du passé et s'ouvrir à un oecuménisme de l'avenir. Dans une Eglise vivante et dynamique comme l'est celle d'Amérique latine, il existe un oecuménisme du Peuple de Dieu qui dit, comme la chanson citée au début de cet exposé : si toi et moi, nous nous tenons au pied de la croix, nous appartenons à la même Eglise ; alors, donne-moi la main, cheminons ensemble, tu es mon frère, ma soeur. J'admets que cette simplicité oecuménique peut avoir des effets troublants, mais elle n'a pas d'autre but que de secouer l'inertie d'un oecuménisme fatigué. 

Pourquoi ne pas nous ouvrir aux millions de chrétiens qui ne comprennent rien à nos divisions ? En fait, durant les dernières décennies, nous avons assisté à l'affaiblissement des structures confessionnelles. Une mondialisation de l'expérience religieuse s'est produite. L'autorité, la fidélité et la spiritualité sont comme des lignes transversales passant au travers des diverses confessions. Nous ne fermons pas les yeux sur les dangers que peut comporter cette nouvelle situation, mais nous nous demandons aussi : n' y aurait-il pas là, peut-être, un souffle de l'Esprit ? Dieu ne serait-il pas en train de créer quelque chose de nouveau, sans que nous nous en rendions compte? 

On nous pose cette question : comment les Eglises évangéliques peuvent-elles entrer en relations avec la communauté de celles qui font partie du Conseil oecuménique des Eglises ?

Si on pose la question de cette façon, la diversité des Eglises évangéliques et celle des Eglises membres du Conseil ne permettent pas d'y répondre. 

Pourtant, nous pouvons proposer quelques pistes permettant de rendre ces relations possibles.

1. Nous devons adopter les uns envers les autres une attitude honnête, empreinte de respect et d'appréciation mutuels. Dans le passé, nous, Eglises évangéliques d'Amérique latine, avons « évangélisé » en démasquant les faiblesses de l'Eglise catholique romaine. Aujourd'hui, il n'en est plus ainsi. Nous n'avons pas non plus compris, à l'époque, la lutte de nos frères et de nos soeurs qui, dans les années 1970, ont risqué leur vie pour être témoins de Jésus Christ, de sa justice, de sa vérité. Depuis lors, nous nous en sommes repentis à maintes reprises, en privé et en public. Mais l'unité devient difficile lorsque nos frères nous traitent de sectes, considèrent les pentecôtistes comme un danger et voient dans la croissance des Eglises évangéliques une avancée de la droite favorable à la guerre. Ce n'est pas par des caricatures ni par des préjugés qu'on construit l'unité. 

2. Il faut comprendre que la carte mondiale des religions a changé et que celle du christianisme a changé elle aussi. Le centre de gravité de l'Eglise s'est déplacé du Nord vers le Sud. Le fait même que cette Assemblée se réunisse dans cette ville n'est pas le produit du hasard. Nous avons donc, nous autres chrétiens de cette partie du monde, une occasion à ne pas manquer de rendre visible notre unité en Christ, dans l'engagement quotidien de la mission. Nos peuples appauvris, nos terres dévastées et nos sociétés prisonnières du péché nous interpellent. Un oecuménisme missionnaire est possible, dans la mesure où Jésus Christ est annoncé comme Sauveur et Seigneur et où l'Evangile est présenté dans son intégralité. Nous croyons que la centralité de Jésus Christ marque la différence entre la mission de l'Eglise et la compassion religieuse. Soyons clairs : l'Amérique latine a besoin de Jésus Christ, et nous devrions nous rencontrer dans la mission pour annoncer cette vérité.

3. Nous devons accepter notre diversité comme une expression de la grâce multiforme de Dieu. Il y a diverses manières d'être l'Eglise et, ces derniers temps, cette diversité s'est multipliée. Un bon exercice oecuménique pourrait être de chercher jusqu'à quelle limite nous sommes disposés à l'accepter. Mais il s'agit de nous accepter sans arrière-pensée, sans décréter qu'il y a des Eglises de première et de deuxième catégorie. Accepter sans jouer sur les expressions ecclésiologiques (communautés de foi, communautés ecclésiales, Eglises, etc.) qui cherchent à masquer notre incapacité à reconnaître l'autre comme faisant partie de l'Eglise une. 

4. Permettez-moi de conclure par une question : et si nous donnions une chance à l'Esprit Saint ? Nous avons fait couler des rivières d'encre et utilisé des tonnes de papier pour nos écrits sur l'unité. Ce temps, ces forces et ces ressources n'ont pas été perdus. Mais nous sommes arrivés aussi loin que nous pouvions. Le temps d'une nouvelle Pentecôte ne serait-il pas venu ? Seule une Eglise remplie de l'Esprit Saint verra tomber les barrières raciales, sexuelles, économiques et ecclésiales. Seules, des vies remplies de l'Esprit Saint cesseront de crier « impur » et « immonde » face à ce que Dieu a sanctifié, et à appeler « saint » ce qui est immonde.

L'unité de l'Eglise sera l'oeuvre de l'Esprit, ou elle ne sera pas.