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Elles sont là chaque jour, chaque mois de l’année – et cela depuis 13 ans. Elles sont devenues un élément naturel dans le chaos de la vie en Israël et en Palestine. Leur présence est appréciée, qui promet sécurité et stabilité. Leur seule arme, c’est la plume – ou une caméra. Leurs membres voient et écoutent, ils analysent et rendent compte.

Ce sont les équipes du Programme œcuménique d’accompagnement en Palestine et en Israël (EAPPI), créé en 2002 et qui contribue à freiner la violence et à promouvoir le respect du droit international. La présence de ces équipes est une expression de solidarité concrète avec des groupes vulnérables – tant palestiniens qu’israéliens. L’auteure de cet article s’est rendue en Terre Sainte en mars 2015 avec une délégation représentant les hauts responsables du Comité central du Conseil œcuménique des Églises.

L’EAPPI est une réponse concrète donnée par le Conseil œcuménique des Églises à un appel que leur avaient lancé en 2002, depuis Jérusalem, des dirigeants d’Églises. Ils écrivaient dans une lettre: «Nous vous demandons respectueusement de protéger toutes les personnes afin d’aider au rétablissement de la confiance mutuelle et de la sécurité pour les Israéliens et les Palestiniens. En outre, nous appelons toutes les personnes éprises de paix, dans le monde entier, à venir participer avec nous à une manifestation pour une juste paix.»

Le Conseil œcuménique des Églises a pris cet appel à cœur et, avec des Églises locales et des Églises d’Europe et des États-Unis d’Amérique, il a mis en place ce programme d’accompagnement, lequel se fonde sur la présence dans le pays et sur des analyses et des rapports sur ce qui se passe sur place.

«Plus de 70 Églises, organismes et agences œcuméniques de 22 pays d’Afrique, d’Amérique du Nord, d’Amérique latine, d’Asie et d’Europe participent activement à ce programme. Près de 1 500 personnes ont servi comme accompagnateurs et accompagnatrices. Nous allons bientôt recevoir le cinquante-huitième groupe», déclare Manuel Quitero Pérez, coordinateur de l’EAPPI au COE.

Ces accompagnateurs et accompagnatrices sont recrutés dans leurs pays d’origine. Depuis le début, le soutien et l’engagement des Églises membres ont été tout à fait remarquables. Les accompagnateurs/accompagnatrices doivent avoir au moins 25 ans mais moins de 70 ans, avoir l’habitude de travailler avec les gens et parler couramment anglais. Pour être accepté, trois conditions sont requises. La mission dure trois mois; les accompagnateurs/accompagnatrices travaillent dans des équipes internationales et vivent dans des endroits tels que Hébron, Jéricho ou Jérusalem.

Visite de solidarité en Terre Sainte

À l’occasion de la visite de solidarité organisée en Terre Sainte par le Conseil œcuménique des Églises en 2015, nous avons rencontré une dizaine d’accompagnateurs/accompagnatrices. Nous avons rencontré une équipe à Jéricho, un Norvégien et un Suédois qui constituent l’une des équipes basées dans cette ville. Ils nous ont expliqué que, la veille, ils avaient appris que l’armée démolissait des maisons. Ils avaient reçu cette information par SMS et s’étaient immédiatement rendus dans le secteur. Les déplacements sont longs et il est parfois difficile de trouver son chemin.

En arrivant, ils trouvent une famille de Bédouins avec de nombreux jeunes enfants; on leur a demandé de s’éloigner et de rester assis dans la chaleur brûlante et le soleil éblouissant, sans abri. Ils supplient qu’on les laisse amener les enfants à l’ombre, mais cela leur est refusé. Les accompagnateurs restent avec la famille, leur donnent de l’eau et essaient de discuter avec l’armée du sort des enfants. Mais leur maison est rasée; tout ce qu’ils possédaient est détruit, y compris la nourriture, les vêtements et les manuels scolaires. Les enfants fréquentent une école établie dans le secteur par les Nations Unies, et il est indispensable de posséder les manuels pour la fréquenter. Pas de manuels, pas d’école.

Lorsque, le lendemain, nous retrouvons cette famille avec l’équipe d’accompagnement, ses membres, durement touchés, accueillent chaleureusement l’équipe. Ils nous font volontiers le récit de ce qui s’est passé la veille. Ils nous montrent les ruines de ce qui, la veille, était leur foyer. Désormais, il ne reste plus rien.

«Bien sûr, nous voulons en parler, dit le père de famille. Parler nous aide à digérer les événements traumatisants d’hier. Le fait que le Conseil œcuménique des Églises soutient les accompagnateurs/accompagnatrices nous donne de l’espoir pour l’avenir: il y a quelqu’un qui s’inquiète, quelqu’un qui nous soutient dans cette partie perturbée du monde, mutilée et déchirée».

C’est là un récit entre des milliers, peut-être des millions d’autres, qui racontent ce genre d’histoires ordinaires. Les accompagnateurs/accompagnatrices ont pour tâche de voir, d’analyser et de rendre compte.

Accompagner des enfants à l’école ou les personnes âgées à l’hôpital

«L’organisation qui les envoie ici commence par les former dans leur propre pays avant de les envoyer en Israël ou en Palestine, dit M. Quintero. La communication et la défense des causes constituent une partie fondamentale de notre travail.»

L’un des accompagnateurs que nous rencontrons nous explique que ce travail comporte de multiples dimensions et défis, mais qu’il en retire beaucoup: des souvenirs et des ami(e)s pour la vie.

Il explique que la journée de travail commence entre 6 et 8 heures du matin, selon ce qui est prévu ce jour-là. Certain(e)s accompagnent des enfants pour le passage du poste de contrôle afin qu’ils arrivent à l’école à temps et sans problème, sans être harcelés. D’autres accompagnent les personnes âgées à l’hôpital; d’autres encore sont présents sur des points chauds, où existent des tensions entre différents groupes, ou réagissent quand des maisons sont détruites par l’armée.

«J’ai parfois l’impression que ce que je fais ne suffit pas. Il y a de nombreux problèmes concrets auxquels nous sommes confrontés, et tout prend tellement de temps! Parfois, une visite à un point de passage prend cinq heures. Je ressens profondément la responsabilité d’être sur place. Je sais que ma présence compte beaucoup pour les Palestiniens de ce village».

Il souligne qu’il se sent coupable de ne pas avoir le temps de faire ses rapports comme prévu. «Je donne toujours la priorité aux rencontres personnelles, avant tout et par-dessus tout. Je vais essayer de rattraper en partie le retard de mon courrier avant de devoir rentrer chez moi dans quatre semaines. J’espère pouvoir faire part ici ou là de ce que j’ai vécu».

L’accompagnateur poursuit: «Cette période a définitivement changé ma vie. Je ne suis plus le même depuis que je suis arrivé ici. J’ai acquis un nouveau regard sur la vie. J’ai vu tant de mal. Parfois, je me sens impuissant et accablé; alors, mes collègues de l’équipe internationale sont extrêmement précieux. Ensemble, nous pouvons digérer nos impressions, nous encourager mutuellement pour ne pas tout laisser tomber mais pour pouvoir faire survivre notre espoir d’une paix juste».

Les accompagnateurs/accompagnatrices nous montrent le mur de 9 mètres de haut qui coupe le secteur et rend difficile le passage d’un endroit à l’autre. Parfois, les différents points de contrôle sont complètement fermés. Dans certains cas, pour franchir le mur, il faut faire de longs détours. On nous parle d’une femme qui avait besoin de soins médicaux d’urgence, mais elle n’a pas franchi le mur au bon endroit. Elle a été obligée de faire un détour, mais ce fut trop pour elle: elle est morte avant d’atteindre l’hôpital.

Leur présence est une expression de solidarité concrète

Il y a maintenant treize ans que ces responsables d’Églises ont écrit leur lettre au Conseil œcuménique des Églises en demandant une présence concrète. L’un des initiateurs de cette lettre fut l’évêque luthérien. «La présence d’équipes d’accompagnement dans cette région signifie beaucoup pour les personnes vulnérables, explique Munib Younan, évêque de l’Église luthérienne en Terre Sainte et en Jordanie. Elles sont synonymes de sécurité et donnent aux gens l’espoir que quelqu’un s’occupera d’eux.»

La pasteure Isabel Apawo Phiri, secrétaire générale associée du Conseil œcuménique des Églises et responsable du témoignage et de la diaconie, considère que ce programme d’accompagnement est une dimension essentielle de la nécessité de donner une voix aux gens qui n’en ont pas.

«Le programme d’accompagnement est une façon relativement nouvelle de pratiquer la défense des causes, en partie par le moyen d’une présence concrète et pratique, en partie par des analyses personnelles et des rapports permanents dans le cadre du programme global. Mais, par-dessus tout, il est demandé à chaque accompagnateur/accompagnatrice d’écrire des bulletins, des blogs, des tweets et d’employer les médias sociaux pour faire connaître son expérience. Cela signifie que, par ce biais, différents pays peuvent suivre les comptes-rendus des gens qu’ils ont envoyés dans cette région.»

La pasteure Phiri ajoute que, grâce à ce programme d’accompagnement, les Églises membres assument ensemble la responsabilité d’œuvrer à une paix juste et durable dans cette région. Bien entendu, tout ce qui est fait dans le cadre de ce programme est loin d’être suffisant mais vient compléter les discussions avec les représentants du gouvernement, entre les responsables religieux et avec les Nations Unies.

Le Conseil œcuménique des Églises travaille activement dans cette région en collaboration avec les responsables d’Églises et le Conseil des Églises du Moyen Orient.

Marianne Ejdersten, directrice de la communication, COE

Membres du COE basés en Israël/Palestine

Programme oecuménique d'accompagnement en Palestine et en Israël (EAPPI)

La paix et les initiatives interreligieuses au cœur d’une visite de solidarité de responsables du COE en Israël et Palestine (communiqué de presse du COE du 12 mars 2015)

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