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Le père Emanuel Youkhana lors de la présentation de l’étude conjointe au siège de l’ONU à Genève. © Ivars Kupcis/COE

Le père Emanuel Youkhana lors de la présentation de l’étude conjointe au siège de l’ONU à Genève. © Ivars Kupcis/COE

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Le père Emanuel Youkhana déplore que, pour le troisième Noël d’affilée, les cloches de l’église ne retentiront pas à Mossoul.

Aux alentours de juin 2014, raconte-t-il, les minorités religieuses telles que les yézidis et les chrétiens installés autour de la deuxième ville d’Irak ont commencé à subir les atroces assauts du groupe qui se fait appeler l’État islamique, ou Daesh, en arabe.

Mossoul était jadis l’un des principaux foyers du christianisme en Irak, or la ville est redevenue un lieu de génocide des chrétiens, a-t-il affirmé.

«Mossoul a été libérée en octobre, voilà deux mois», rappelle le père Youkhana, mais beaucoup d’appréhension demeure quant à ce qui se passera une fois que Daesh aura été vaincu sur le plan militaire.

«Nous nous réjouissons de la reconquête de nos terres, que des milliers de chrétiens et chrétiennes avaient été contraints de fuir face aux extrémistes, mais l’avenir nous préoccupe grandement», a déclaré le père Youkhana aux Nations Unies à Genève le 12 décembre.

Le père Youkhana, chef des chrétiens assyriens et responsable du Programme d’aide chrétienne dans le nord de l’Irak (CAPNI), s’est exprimé ce 12 décembre à l’occasion d’une conférence de presse suivie d’un séminaire portant sur un rapport présenté par le Conseil œcuménique des Églises (COE) et l’Aide de l’Église norvégienne (NCA), membre de l’Alliance ACT.

Le rapport, initialement publié en anglais à Oslo le 28 novembre, est intitulé «Les besoins en protection des minorités de Syrie et d’Irak». Il a été financé par le ministère norvégien des Affaires étrangères.

«Nous étions certains qu’un jour nous pourrions rentrer chez nous dans nos villes et nos villages. Nous vivons dans cet espoir», explique le père Youkhana.

Une bonne partie des minorités religieuses d’Irak vivent dans le nord du pays, notamment les chrétiens et les yézidis.

Les chrétiens assyriens, qui constituent le plus gros contingent chrétien en Irak, parlent leur propre langue et ne se considèrent pas nécessairement comme des Arabes, explique le rapport. Par conséquent, ils se voient et sont vus comme un groupe ethnique distinct.

Les yézidis sont essentiellement kurdophones et vivent en Irak et au Kurdistan irakien. Depuis 2003, la majeure partie du fief yézidi de Sinjar est contrôlé par les autorités régionales kurdes, bien qu’officiellement le territoire soit placé sous l’autorité du gouvernement central irakien.

Si de nombreux yézidis s’identifient volontiers comme kurdes, ils se voient comme un groupe ethnique distinct. Cependant, ils ont été malmenés par Daesh et, déjà avant cela, ils «étaient accusés sans aucun fondement d’être des adorateurs du diable».

Le père Youkhana a rappelé qu’à la date de novembre 2016, il resterait moins de 250 000 chrétiens en Irak, selon les responsables chrétiens du pays.

D’après les estimations du rapport du COE et de la NCA, environ 70% des chrétiens d’Irak ont quitté le pays depuis 2003 et la plupart de ceux qui sont restés dans le pays ont été déplacés à l’intérieur des frontières.

Le père Youkhana a montré des photos qu’il a prises des dégâts causés dans les régions chrétiennes, expliquant que des messages sectaires avaient malheureusement été peints sur certains murs par des membres de l’armée nationale irakienne.

Il a même relevé qu’il y avait des messages en allemand, «laissés là par des djihadistes allemands».

«Nous sommes bien entendu heureux que les opérations militaires aient commencé, mais nous espérons que les vainqueurs n’essaieront pas de modifier la structure démographique de la région», a dit le père Youkhana. «Il se peut que nous ne réussissions pas à rétablir la population chrétienne à son niveau précédent, mais nous pouvons restaurer les valeurs chrétiennes et ajouter de la valeur à cet endroit.»

Il a souligné que la région de Mossoul comptait un certain nombre de minorités religieuses et ethniques importantes: la communauté autochtone irakienne, la communauté juive, les mandéens (adeptes de Jean le Baptiste), les yézidis et les chrétiens.

«Toutes ces communautés vivaient en Irak avant l’arabisation.» Aucun de ces peuples n’est présenté dans les programmes scolaires irakiens.

«On se désintéressait de nous déjà avant que Daesh ne vienne nous dégager physiquement. Je ne veux pas que cela se répète.»

Il a expliqué que pendant plus de cent ans, sa famille a été confrontée sur trois générations à des tentatives de génocide: tout d’abord à l’époque ottomane, puis après la création de l’État irakien, en 1933, et maintenant par Daesh.

Pour Peter Prove, directeur de la Commission des Églises pour les affaires internationales du COE, l’Irak doit faire face à une «épreuve décisive» après la fin de la bataille de Mossoul. «La diversité de la société est le meilleur rempart contre le sectarisme», a-t-il affirmé.

Le rapport du COE et de la NCA, «The protection needs of minorities from Syria and Iraq»

Éliminer Daesh ne suffira pas à garantir le retour des minorités irakiennes et syriennes, selon un rapport du COE